Burundi
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Abahuza : La désillusion

Six mois après leur mise en place, bon nombre de notables collinaires se plaignent d’un manque de moyens matériels et financiers pour accomplir leur mission. Dans certaines localités du pays, certains ont suspendu leurs activités pour exiger un meilleur traitement de la part des pouvoirs publics.

C’est une notable collinaire particulièrement remontée qui a accepté de nous parler. « A chaque fois que nous devons aller rendre justice, nous ne bénéficions pas de frais de déplacement alors que nous parcourons parfois d’assez longues distances ! »

Et de poursuivre : « Une fois arrivés au lieu de la tenue des séances de médiation, nous pouvons y passer une journée entière sans nous restaurer. Sans oublier le fait que nous sommes souvent amenés à communiquer entre nous pour des rencontres de travail. L’Etat ne nous octroie même pas des frais de communication ! », lâche J.X.

Résidant dans la province de Gitega, cette mère de famille indique que dans sa localité, bon nombre de notables collinaires ont complètement jeté l’éponge et font savoir ouvertement qu’ils ne vont plus accomplir leur tâche tant que le gouvernement ne leur en donne pas les moyens. « L’Etat ne nous donne absolument rien ! Même pas les feuilles et les stylos ! Ce n’est pas normal ! »

Des intrus chez les « Abahuza »

Bon nombre de notables collinaires se plaignent aussi du fait que des avocats viennent interférer dans leur travail. C’est ce dont témoigne T.I, un notable collinaire élu dans un quartier nord de Bujumbura : « Deux cas se sont déjà présentés dans mon secteur où des avocats sont venus plaider lors de nos séances de médiation. Quand nous avons fait remarquer à l’un des deux avocats que sa présence ne respecte pas les règles, il s’est montré très mécontent et nous a dit qu’ailleurs il avait été bien reçu par les Abahuza. Or, la loi précise bel et bien que leur place est dans les tribunaux. »

C’est ce que nous confirme Me Sébastien Ntahoturi, président du barreau de Gitega : « Lors d’une réunion que nous avons tenue récemment avec les acteurs du secteur judiciaire, il a été convenu que les avocats doivent plaider uniquement dans les cours et tribunaux pour ne pas interférer dans le travail des notables collinaires. Surtout que ces derniers rendent des décisions provisoires. »

Chevauchement entre les Abahuza et les conseillers collinaires

S.Z. est conseiller collinaire dans un quartier sud de Bujumbura. Il ne nie pas cette réalité mais met cela sur le compte de l’inexpérience des notables collinaires : « Au contraire des conseillers collinaires, les Abahuza n’ont généralement reçu aucune formation en matière de justice. »

Ce conseiller collinaire précise néanmoins que les notables collinaires apprennent petit à petit à connaître leurs missions. « Aujourd’hui, le travail des uns et des autres est bien défini ».

Aimée-Laurentine Kanyana : « Les notables ont fait le vœu de servir la population à titre bénévole »

L’ombudswoman estime qu’un travail de sensibilisation doit être mené pour que les notables collinaires connaissent la limite de leurs compétences.


Dans certaines localités, il a été observé des notables collinaires qui font parfois emprisonner des personnes. Votre réaction ?

Les notables collinaires n’ont pas de compétences pénales. Si l’un ou l’autre notable collinaire s’arroge le droit de faire emprisonner une personne, c’est une initiative personnelle qui n’a rien à voir avec les missions des notables collinaires. C’est un abus qui doit être considéré comme tel.

Que dites-vous du chevauchement qui existe entre le travail des notables collinaires et celui des conseillers collinaires ?

Ce chevauchement était prévisible parce qu’avant les conseillers collinaires avaient la compétence de réguler des conflits. Mais aujourd’hui, cette compétence a été attribuée aux notables collinaires.

Raison pour laquelle certains conseillers collinaires peuvent se tromper ou abuser en s’arrogeant le traitement de dossiers qui étaient hier de leur compétence mais aujourd’hui dévolus aux notables collinaires.

Un travail de sensibilisation doit être mené pour que les notables collinaires connaissent la limite de leurs compétences et aussi pour qu’ils maîtrisent leurs missions.

Quid des moyens de fonctionnement que sollicitent les notables collinaires ?

Les notables se sont fait élire et ont fait le vœu de servir la population à titre bénévole. Si aujourd’hui, ils ont besoin de moyens et qu’ils n’ont pas pu les avoir, il ne faudrait pas qu’ils en fassent une obligation face au gouvernement. Ce dernier ne leur a jamais promis de les rémunérer. D’ailleurs, la loi est claire et montre qu’ils travaillent à titre bénévole.

Ceux qui ne sont pas satisfaits de cette situation devraient démissionner et laisser cette charge à ceux qui sont animés de la volonté de servir le pays.

Quelle est votre appréciation du travail effectué par les « Abahuza » ?

Mon appréciation est positive parce que les notables incarnent une justice de proximité vis-à-vis de la population. En fait, on était habitué à des instances judiciaires qui sont déconnectées de la population et qui œuvrent le plus souvent dans les bureaux alors qu’au moins 90% des conflits sont liés à la terre, aux relations familiales et à des infractions mineures qui sont commises au sein de la communauté.

De plus, je pense qu’il n’y aura plus d’arriérés judiciaires ou bien des dossiers qui ne sont pas suffisamment documentés parce que tous les éléments nécessaires, toutes les preuves, auront été récoltés au niveau de la communauté là où se trouve l’objet du litige, là où l’événement qui constitue le litige s’est produit.

Quels sont les missions dévolues à l’institution de l’ombudsman ?

L’institution de l’ombudsman a aussi des volontaires au niveau des collines. Leurs compétences se limitent à la médiation entre la population et l’administration.

C’est-à-dire que quand des membres d’une communauté constatent qu’un responsable n’est pas en train de répondre à leurs requêtes, un médiateur communautaire peut aller plaider pour ces personnes auprès de l’administration concernée.
Les missions de notre institution au niveau local et national n’entrent pas en conflit avec le système judiciaire.

Au Rwanda, la professionnalisation accrue des « Abunzi »

Le mot « Abunzi » signifie les « réconciliateurs » ou les « rassembleurs ». Le but de ce système était de régler les conflits, de réconcilier les parties et de rétablir l’harmonie au sein de la communauté concernée.

La réintroduction du système « Abunzi » en 2004 a été motivée en partie par le désir de réduire les arriérés judiciaires et de décentraliser la justice. L’objectif était de rendre cette dernière plus abordable et accessible aux citoyens cherchant à résoudre des conflits sans avoir à payer de frais de justice. Aujourd’hui, les « Abunzi » sont pleinement intégrés au système judiciaire rwandais.
Les « Abunzi » reçoivent une formation sur la médiation des conflits domestiques, ainsi qu’un soutien logistique de la part d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, ceci afin de renforcer la qualité de leur travail.

Comme les « Abunzi » travaillent sur la base du volontariat, c’est-à-dire sans rémunération, ils reçoivent en contrepartie des compensations raisonnables. Le même rapport décrit qu’un total de 15.183 « Abunzi » et 56.799 personnes à leur charge ont bénéficié d’une assurance maladie communautaire complète. Un total de 13.030 « Abunzi » a bénéficié chaque mois de cartes de recharge téléphonique pour communiquer avec leurs collègues médiateurs et le personnel du ministère de la Justice.

Toujours durant l’année fiscale 2018-2019, un total de 8 100 « Abunzi » a reçu des bicyclettes pour faciliter leur travail au quotidien, ce qui porte le nombre total de bicyclettes fournies à 13.100.