Burundi
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Interview avec Dr Elie Maniragora :« Réhabiliter l’esprit et la lettre de l’Accord n’est pas seulement un souhait, c’est un impératif »

L’esprit et la lettre de l’Accord d’Arusha réhabilitables ? C’est la grande question autour de laquelle a planché une équipe de chercheurs, de politiques burundais et belges du 20-21 avril à l’Université libre de Bruxelles. Nous avons approché l’enseignant en droit public et chercheur en médiation pour savoir si, plus de 20 ans après sa signature, l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation, est toujours d’actualité.

L’esprit et la lettre de l’Accord d’Arusha réhabilitables ? Au regard du contexte politique actuel, un vœu pieux ou réalisable ?

L’Accord d’Arusha a le mérite d’avoir permis et fait comprendre aux Burundais que le bon vivre-ensemble est toujours possible. Cela est un acquis. Deuxièmement, même pour les plus sceptiques, ils doivent comprendre que cet accord n’est pas qu’un simple symbole, mais un texte politique fondateur d’un nouvel ordre politique fondé sur le partage du pouvoir. Troisièmement, les organisations internationales garantes de cet accord insistent toujours sur sa pertinence dans le contexte politique et socio-économique burundais actuel. En témoigne, l’arrêt de la Cour de Justice Est Africaine, via son jugement du 25 novembre, a rappelé que l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation ne doit jamais être mis au placard. Un tas d’éléments mis ensemble attestent que la réhabilitation de l’esprit et de la lettre dudit Accord n’est pas seulement un souhait, mais plutôt un impératif.

L’opinion soutient que le Cndd-Fdd, bientôt 18 ans au pouvoir, n’a jamais reconnu cet accord. Votre analyse ?

Le parti Cndd-Fdd n’a ni négocié ni signé l’accord d’Arusha. Acte volontaire ou exclusion du processus ? Ce qui est sûr, c’est qu’une fois arrivé au pouvoir en 2005, il semble avoir accordé plus d’importance à l’accord global de cessez-le-feu du 16 novembre 2003, plutôt qu’à l’Accord d’Arusha dans toutes ses clauses. Un élément qui a irrité et irrite encore les acteurs politiques présents lors des pourparlers, notamment les anciens membres des groupes G7 Hutu et G10 Tutsi. Mais cet accord semble contenir un élément explicatif. Parce qu’en reconnaissant qu’il fait partie intégrante de l’Accord d’Arusha, il ajoute qu’il en abroge toutes ses dispositions contraires au mouvement Cndd-Fdd.

En organisant cet événement (cette conférence académique), ne redoutez-vous pas que vous soyez accusés de raviver les rancœurs liées à la crise du 3e mandat de 2015, surtout que parmi les panélistes, aucun membre du parti au pouvoir ni du gouvernement ne figure sur la liste ?

On aurait aimé qu’il y ait une présence d’un membre du parti au pouvoir. Mais l’événement d’aujourd’hui se veut un cadre de discussion scientifique visant surtout à éclairer la portée et les limites de l’Accord d’Arusha dans la stabilisation du pays. Bien sûr, la question du 3e mandat pourrait être abordée d’une manière ou d’une autre. Cependant, l’événement n’a aucun intérêt de raviver les tensions, quelle qu’en soit leur nature.

Avec la Constitution promulguée en juin 2018, trouvez-vous que l’Accord d’Arusha a toujours sa place ?

L’accord d’Arusha reste un instrument irremplaçable dans la compréhension de l’évolution des institutions burundaises contemporaines. Il est vrai que la Constitution de juin 2018 a modifié certains principes constitutionnels prévus par l’Accord d’Arusha, notamment la durée et l’introduction du poste de la primature, mais cette Constitution reconnaît toujours, dans son préambule, cet accord.

Dans un jugement rendu le 25 novembre 2021, la Chambre d’appel de la Cour de Justice de l’EAC a invalidé le 3e mandat de feu président Pierre Nkurunziza. Actuellement, quelle peut être la portée politique d’un tel jugement ?

Ce jugement n’a pas d’incidence majeure sur le plan politique, même s’il constitue un outil important pouvant être exploité par les signataires et soutiens de l’Accord d’Arusha. D’ailleurs, il est à constater que depuis sa publication, on en parle très peu. Je pense qu’un tel jugement aurait pu avoir un grand impact s’il avait été rendu au cours du processus de médiation avorté mené par les différents médiateurs internationaux, comme Benjamin William MKAPA. En revanche, ce jugement est un acte précieux pour les victimes des répressions liées au 3e mandat au cas où ces dernières décideraient de réclamer les dédommagements pour les actes subis.

Le président du Sénat, lors de la célébration de la fête de l’Unité nationale, le 5 février dernier, a évoqué l’évaluation du système de quotas ethniques par les Burundais qui devront se prononcer pour ou contre son abrogation. Votre commentaire ?

La question des quotas en termes d’équilibre ethnique dans différentes institutions fait débat, depuis la signature de l’Accord d’Arusha. Je pense qu’il n’y a rien d’anormal si les institutions procédaient à une sorte d’évaluation de la portée même du principe dans le processus de consolidation de la paix au Burundi. Mais je pense que cette évaluation ne devrait pas concerner que les quotas ethniques, mais aussi tous les principes de l’Accord d’Arusha qui avaient été imaginés comme fondement de la démocratie burundaise, notamment l’alternance pacifique au pouvoir, la limitation du nombre des mandats et la durée de ces derniers.

Si jamais l’esprit et la lettre de l’Accord d’Arusha venaient à renaître de leurs cendres, qu’est-ce que le pays y gagnerait ?

Le retour aux principes fondamentaux de cet accord garantirait le retour au respect de la démocratie et de ses valeurs, le retour d’un État de droit, le renforcement des institutions de relance économique, sans oublier les aspects liés à l’éducation de la jeunesse burundaise à tous les niveaux.

Propos recueillis par Hervé Mugisha