Burundi
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Le départ de Bunyoni, une simple révolution de palais ?

Par Abbas-Mbazumutima et Antoine Kaburahe

Le plus « Kinois » des personnalités burundaises, le « sapeur » dont les chaussures et costumes aux boutons dorés ont défrayé la chronique, l’ex-Premier ministre, Alain Guillaume s’est « volatilisé ».

C’est le constat établi à l’issue d’une perquisition musclée menée par la police appuyée par les services de renseignement dans ses palais privés, notamment les deux luxueuses résidences dans la capitale économique et sur ses terres à Rutana, au sud du Burundi.

Ce qui est sûr, cette fois un palier a été franchi. L’appareil étatique a décidé de franchir le Rubicon après quelques mois d’une lutte feutrée entre les deux poids lourds : le Président de la République et l’ancien Premier ministre.

Mais quand l’armada de policiers a débarqué, l’oiseau s’était déjà « envolé ». Pour une destination jusque-là inconnue. En effet, comment imaginer une seule seconde que l’ancien maquisard allait se laisser cueillir chez lui, comme un néophyte ?

Homme des réseaux, que l’on dit très « riche », depuis sa chute, il se savait probablement filé. Selon nos sources, il était surveillé, suivi dans ses moindres déplacements, ses faits et gestes rapportés en haut lieu.

Si bien que certains estiment que les événements de ces derniers jours pourraient être un « game », un « mchezo wa ndani », pour reprendre une expression consacrée. Le « système » est passé maître dans l’art de la manipulation de l’info. On y reviendra.
Si ce n’était donc pas du « théâtre » comme le pensent beaucoup d’observateurs, l’arrestation ratée révèle en tout cas un certain amateurisme dans le procédé. Un échec patent pour les services de sécurité.

Ce ne serait pas la première fois. Souvenez-vous, de l’évasion en douceur de Hussein Radjabu constatée dans la matinée de lundi 2 mars 2015 après avoir purgé 8 ans sur les 13 ans de sa peine.

Agathon Rwasa à l’époque du FNL avait disparu de la scène politique pendant 3 ans pour réapparaître dans la matinée de mardi 6 août 2013. Selon plusieurs témoignages crédibles, il n’aurait jamais quitté Bujumbura. Et maintenant, voilà « l’envol de Bunyoni ».

La guerre des égos

Mais comment comprendre politiquement ces derniers événements. Sous couvert d’anonymat, un politologue burundais explique que c’est une ’’guerre des égos’’.

« Ces hommes forts ne se battent pas pour une question idéologique, un plan de développement du pays, il s’agit malheureusement d’une sorte de règlement de compte entre cercles politiques ».

Le politologue est très sévère : « Pour faire simple, c’est du ’’ôte-toi que je m’y mette’’ ». Pour l’analyste, le parti est complètement « militarisé » depuis une dizaine d’années et les civils ont été mis sur la touche. « Les civils ne comptent pas au CNDD-FDD », ce constat est accepté par de nombreux membres du parti.

Une source bien introduite dans les cercles du pouvoir explique par ailleurs que Alain-Guillaume Bunyoni n’aurait jamais « digéré » l’élection de « Ndayishimiye ». Il s’était considéré comme le « dauphin » naturel. L’on se souviendra qu’à côté de ’’Mutama I’’, feu Pierre Nkurunziza, AGB avait adopté le sobriquet de ’’Mutama II’’.

Pendant longtemps, Bunyoni s’est conduit comme un « alter ego » du Président : cortège monstre de véhicules avec des hommes armés jusqu’aux dents. Inauguration royale d’un palais dans le sud de la ville. « Tout cet étalage de puissance et de richesse a été vécu comme une sorte de provocation en haut lieu ».

Une source au sein du CNDD-FDD explique que Bunyoni a estimé que le Président Ndayishimiye n’avait pas, au contraire de Pierre Nkurunziza, une mainmise sur l’appareil du parti. Sur fond de rivalités interpersonnelles, chacun a essayé de se faire des alliés.

« Pendant un moment, certains ténors du parti auraient semblé vouloir basculer dans le camp Bunyoni, certains ont hésité avant de se raviser ».

Et puis, il y a eu un événement qui aurait été la goutte de trop faisant déborder le vase. Dans une petite Eglise de la périphérie de Bujumbura, l’épouse de Bunyoni a déclaré du haut de la chair que « Dieu est en train de préparer son mari à de plus hautes fonctions ».

Or, le mari est déjà Premier ministre… Les ambitions présidentielles d’Alain Guillaume Bunyoni étaient annoncées au détour d’un prêche. Désormais,  entre les deux camps, chacun va chercher des alliés.

Bunyoni, richissime, stratège, se prépare. Mais il a oublié que la Constitution du Burundi donne des pouvoirs immenses au Président.

Mais aussi, Alain Guillaume Bunyoni partait avec un autre handicap : il était très impopulaire, qualifié de « hautain et insociable », d’après plusieurs témoignages des membres du parti présidentiel. Pire, l’étalage indécent de sa richesse sur les réseaux sociaux dans un pays exsangue choque dans tous les milieux, même et surtout au sein du CNDD-FDD.

Pour le moment, le courant présidentiel semble avoir remporté la partie : le pouvoir au Burundi doit être monocéphale.

A maintes reprises, le chef de l’Exécutif a évoqué dans ses discours «  des proches collaborateurs qui tentent de saboter ses initiatives. »

Tout cela est derrière lui. Mais à quel prix pour le parti ? Souvenez-vous, il y a eu le départ de Hussein Radjabu, la défection d’une dizaine de députés, l’exil ou la mort de quelques grandes pointures, dont le Général Adolphe et celle du Président Nkurunziza…La maison CNDD-FDD ne s’écroule pas. Mais elle se lézarde. « Tout ceci laisse des traces », raconte une source.

Neva a-t-il désormais les mains libres ?

En mettant hors circuit celui qui était présenté comme le corrompu par excellence, le Président veut en faire un symbole. Il semble avoir l’aval dans ce « système » où, semble-t-il, il faut avoir un certain consensus pour sortir un membre du « fameux cercle fermé » des hommes forts de la rébellion.

Quel gain politique ? Arrivera-t-il à récupérer les « biens mal acquis » par Alain Guillaume Bunyoni ? Ce n’est pas sûr. A moins qu’il y ait un procès expéditif et que ses biens soient saisis par la Justice comme ce qui s’est passé avec les ’’putschistes et leurs collaborateurs’’.

Quel avenir pour l’ancien Premier ministre que certaines sources disent toujours ’’gardé quelque part’’ au pays. Ce qui n’est pas impossible. Dans tous les cas, au Burundi ou en exil, sa puissance est dans tous les cas amoindrie. Et ce n’est pas tout, les sanctions internationales et de probables autres mandats contre l’ex-Premier ministre réactivés risquent d’être mis en mode ’’alerte maximale’’.
Il ne reste qu’à souhaiter que l’ancien Premier ministre, s’il est détenu au pays, soit traité avec humanité. Que sa famille et ses biens soient protégés. Bref, que la justice s’exerce en toute transparence et équité. C’est seulement à ce prix que le Burundi pourra enrayer le cycle des violences.

Pour les Burundais, il n’y a pas lieu de pavoiser. L’histoire récente a montré que la mise à l’écart de l’ancien homme fort du parti, Hussein Radjabu, qui était accusé de tous les maux, n’a pas changé fondamentalement la donne.

La mise au vert d’Alain Guillaume Bunyoni va-t-elle changer les choses pour Neva ? Est-ce une simple révolution de palais ? L’avenir va vite nous le dire.

Rester froid face à l’emballement médiatique

Il a fallu attendre deux jours pour avoir une communication officielle. Entretemps, il y a eu un emballement médiatique incroyable où une « info » chassait l’autre.

Dans le tumulte, Iwacu est resté froid. « J’ai dit aux journalistes d’éviter la précipitation, de recouper la moindre info », explique le directeur du Groupe de Presse Iwacu, Léandre Sikuyavuga.

Avec beaucoup d’humour, sur Twitter, Antoine Kaburahe, le fondateur d’Iwacu citera Bernard Pivot « Dans la chasse aux scoops, il arrive que le lièvre pose un lapin aux journalistes et que le public soit enfumé comme un renard. »

« Courez… mais lentement », a encore conseillé Kaburahe. « L’expérience nous a montré que les services de sécurité burundais savent très bien organiser la fuite de fausses infos, il faut être trois fois prudent. Bref, douter, toujours douter. » Il faut faire très attention, témoigne pour sa part Abbas Mbazumutima, journaliste senior et directeur des rédactions.