Burundi
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Marchés publics : Une reconversion professionnelle remise en cause

Dans son Conseil des ministres du 10 mai dernier, le Gouvernement a indiqué que les sociétés privées qui emploient les personnalités précédemment licenciées de leur poste au sein de l’Etat doivent résilier leur contrat avec ces dernières. Une mesure qui suscite des crispations.

C’est une note qui fait beaucoup de bruit. Dans son Conseil des ministres du 10 mai, le Gouvernement a indiqué que des surfacturations ou des retards dans l’exécution des marchés. « Il arrive même que des marchés ne soient jamais exécutés mais pour lesquels des paiements sont exigés ou des doubles paiements sont effectués, avec la complicité de certains fonctionnaires de l’Etat ».

Le Conseil fait savoir que cette complicité est due au fait que certains fonctionnaires ou cadres de l’Etat sont des actionnaires de ces sociétés ou occupent des fonctions de consultants, ou entretiennent des rapports privilégiés avec les responsables de ces sociétés, ce qui nuit aux intérêts de l’Etat. « Des sanctions ont été prises pour enrayer ce phénomène et certains fonctionnaires ou cadres de l’Etat ont été destitués », informe le Gouvernement sans plus de précisions sur l’identité et le nombre des mis en cause.

Ensuite et c’est l’aspect qui soulève le plus de crispations sur la toile, le Gouvernement avance que ces sociétés engagent ces fonctionnaires défaillants dans leurs entreprises après leur limogeage et maintiennent leur partenariat préjudiciable à l’Etat. « L’Etat burundais considère que cette forme d’engagement est une rétribution pour les services que ces personnalités ont rendu aux sociétés qui les engagent. Cette société risque de continuer de nuire à l’Etat avec cette personne qui est un ancien employé de l’Etat ».

Au final, la note ministérielle exige aux sociétés qui ont engagé des personnes qui ont été destituées, licenciées, démises et/ou limogées de leurs fonctions par l’Etat pour manquements graves, de résilier sans délais leurs contrats si elles souhaitent maintenir un partenariat avec l’Etat.

« Ils ont le droit de continuer leur vie privée et professionnelle »

Selon Me Janvier Bigirimana, expert en droit du travail, exiger aux entreprises privées de licencier les personnes précédemment destituées dans le service public est illégal : « S’il est admissible qu’un agent soit destitué pour des raisons d’ordre professionnel, mais aussi lorsque pour des raisons politiques, un agent n’a plus la confiance de l’autorité qui l’a nommé par décision discrétionnaire, il n’est pas admissible que de telles décisions sortent du cadre légal. »

Selon ce juriste, les agents qui sont destitués ne doivent pas subir des sanctions qui n’ont pas été prévues par la loi. « Ainsi, si un agent a été destitué ou sanctionné conformément aux dispositions légales, ce qui est d’ailleurs une présomption normale, il ne doit cependant être soumis à d’autres sanctions non prévues par la loi ».

D’après Me Bigirimana, la législation burundaise ne prévoit nulle part qu’une personne qui a été destituée de ses fonctions au sein de l’Etat soit, à cet effet, l’objet de poursuites dans sa vie professionnelle et privée future.

Et de conclure : « Les agents de l’Etat peuvent être destitués par erreur ou par injustice et même pour des motifs politiques mais ils ont le droit de continuer leur vie privée et professionnelle, de trouver un autre emploi que ce soit dans le secteur privé ou public. »

Que dit le code des marchés publics ?

Juvénal Ntirandekura : « Ceux qui octroient ces marchés cherchent avant tout à enrichir leurs amis »

La loi n°1/01 du 04 février 2008 portant code des marchés publics du Burundi stipule en son article 142 sur les conflits d’intérêt que les représentants et membres des autorités contractantes de l’administration des autorités chargées du contrôle et de la régulation des marchés publics et de délégations de service public et plus généralement l’ensemble des personnes morales, de droit public et de droit privé, ainsi que toute personne intervenant à quelque titre que ce soit dans la chaîne de passation des marchés publics et des délégations de service public, soit pour le compte d’une autorité contractante, soit pour le compte d’une autorité d’approbation, de contrôle ou de régulation, sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires prohibant les pratiques frauduleuses et les conflits d’intérêt dans la passation des marchés ou obligations de service public.

L’article 55 revient sur les cas d’inéligibilité et précise que ne peuvent postuler à la commande publique les personnes physiques ou morales qui ne se sont pas acquitté les droits, taxes, impôts, cotisations, contributions, redevances ou prélèvement de quelque nature que ce soit, ou à défaut, ne peuvent justifier par un document de l’administration concernée du respect de leurs obligation en matière sociale et fiscale ; qui n’ont pas souscrit aux déclarations prévues par les lois et règlements en vigueur ; qui sont en état de liquidation judiciaire ou en faillite; qui sont affiliées aux consultants ayant contribué à préparer tout ou partie des dossiers d’appel d’offre ou de consultation.

Également, le même texte de loi souligne que les personnes reconnues coupables d’infraction à la réglementation des marchés publics ou qui auront été exclues des procédures de passation des marchés par une décision de justice définitive en matière pénale, fiscale ou sociale ou par une décision de l’autorité de régulation des marchés publics ne sont éligibles à la commande publique.
Pour Juvénal Ntirandekura, vice-président de l’Olucome, ceux qui octroient ces marchés cherchent avant tout à enrichir leurs amis et reçoivent par la suite des récompenses en guise de remerciements.

D’après lui, certaines personnalités ont été destituées dans des affaires de marchés publics frauduleux, mais par après ont rejoint d’autres postes parfois plus juteux. « Le communiqué de presse du Gouvernement du Burundi du 10/5/2023, au point 5, montre que tout ce que l’Olucome a dit sur l’octroi des marchés publiques, le Gouvernement vient aussi de le remarquer alors que dans notre Observatoire nous le disons dit depuis longtemps. Les personnalités limogées sont engagées par ces mêmes sociétés en guise de remerciement. Heureusement que le Gouvernement vient de le remarquer ».

Revenant sur les déclarations de son président qui datent de quelques mois où ce dernier dénonçait le monopole dans l’octroi des marchés publics en faveur d’une poignée d’hommes d’affaires, M. Ntirandekura soutient qu’il n’y pas eu de changement à ce niveau-là mais que cela n’empêchera pas l’Olucome de continuer à dénoncer cette situation. « Nous espérons que nos cris pourront être entendus un jour par l’autorité compétente ».

Contacté, le député Claude Nahayo, président de la Commission de la Bonne Gouvernance, nous a fait savoir qu’il y aura prochainement une révision de ce code des marchés publics. « Nous avons observé qu’il y a pas mal d’aspects qui manquent dans ce code auxquels nous aimerions prêter attention comme les marchés régis à l’image de certains organismes de l’Etat comme l’ARB (Agence routière du Burundi) qui gagne aussi pas mal de marchés publics ».

Une compétence des dispositifs anticorruption mal pensée

D’après un rapport de l’Observatoire de l’Action gouvernementale qui date d’août 2022, la Cour anti-corruption n’a pas le pouvoir de juger les plus hautes autorités de l’Etat dans des affaires de corruption à grande échelle. « En vertu du privilège de juridiction dont elles jouissent, les grandes personnalités échappent à cette dernière. Il s’agit des magistrats de la Cour Suprême, de la Cour Constitutionnelle, des Cours d’Appel, des 64 Cours Administratives, de la Cour Militaire, du Parquet Général de la République, des Parquets Généraux près les Cours d’Appel et de l’Auditorat Général, des Gouverneurs de provinces, des ministres et autres mandataires politiques ou publics ayant au le rang de ministre, des sénateurs, des députés, des officiers généraux des forces armées burundaises, des officiers généraux de la police burundaise ayant le grade d’OPC1, des commissaires de police ainsi que les membres de la Commission Indépendante des Droits de l’Homme ».

Or, fait remarquer ce rapport, c’est parmi ces personnalités que se trouvent les auteurs de la corruption portant sur d’énormes sommes d’argent. En d’autres termes, toute l’architecture juridique et les dispositifs institutionnels censés combattre la corruption et les infractions connexes se révèlent donc opérationnels uniquement que pour le « menu fretin ».

Un interlocuteur interrogé par les auteurs de ce rapport ne mâche pas ses mots à cet égard : « Tout l’arsenal juridique et les institutions de lutte contre la corruption et les infractions connexes sont des attrape-nigauds (« ibihendwabana », en Kirundi) peut-être destinés aux bailleurs de fonds étrangers. Comment peut-on lutter contre la corruption sans focaliser l’attention sur les acteurs susceptibles de la commettre au plus haut niveau ? »