Burundi
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Ntega : Désespoir chez les riziculteurs

La vallée de l’Akanyaru est sous l’eau depuis plus d’une semaine. Plusieurs hectares de riz ont été endommagés dès le débordement de la rivière Akanyaru qui sépare le Burundi et le Rwanda. Les habitants des 8 collines touchées de la commune Ntega en province Kirundo ne savent plus à quel saint se vouer. Le risque d’une famine plane. L’administrateur communal appelle à la solidarité nationale.

Du haut de la colline Kinyovu, le mirage d’un nouveau lac… C’est de l’eau boueuse qu’on voit à des kilomètres à la ronde. Les cultures de riz qui faisaient la fierté des habitants ont été englouties par les eaux de la rivière Akanyaru qui a débordé. Du côté du Rwanda voisin, la situation est similaire. Le spectacle est affligeant.

14h, mardi 9 mai, sur la colline Kinyovu. Le désespoir se lit sur les visages des habitants. « Nous avons tout perdu », lance Gaspard au bord des larmes. Il montre le riz paddy étalé devant sa maison.

Ce n’est même pas 10 kg. « Je m’attendais à une tonne de riz. Aujourd’hui, peut-être que je vais avoir de quoi nourrir mes enfants, pour quelques jours, afin qu’ils ne meurent pas de faim ». Il fait savoir que les habitants de Kinyovu vivent grâce au riz et à la patate douce qu’ils cultivent dans cette vallée. « Tout a été englouti », déplore-t-il.

Des risques énormes pour sauver leur récolte

D’après les habitants de Kinyovu, c’est risqué d’aller récupérer ce qui reste. Mais ils y vont quand même. « Lorsqu’on se hasarde à l’intérieur, l’eau vous arrive au niveau de la gorge. Parfois, vous êtes submergés. Mais, on ne peut pas faire autrement car il faut nourrir nos enfants », raconte Ismaël, la cinquantaine. Selon lui, tout est déjà pourri. « Nous palpons sous l’eau en espérant sauver quelque chose. Lorsque nos compatriotes reviennent, bredouille, de la rizière, certains éclatent en sanglots. C’est dur à voir ».

Ismaël ne sait plus où donner de la tête : « C’est la première fois que je vois une chose pareille. La rivière débordait mais elle n’arrivait pas jusqu’à la limite de la rizière. »

Les habitants indiquent que l’Akanyaru a débordé alors que le riz n’était pas encore mûr. « C’est une catastrophe. On ne va rien sauver. Le riz est déjà pourri. L’eau commence a diminué, mais il ne reste rien. Sur notre colline Kinyovu, il y a plus de 3000 riziculteurs. C’est le riz qui nous fait vivre. On ne sait plus quoi faire », confie Isaac, résigné.

Certains tentent de sauver ce qu’ils peuvent, d’autres ont baissé les bras

Ntakarutimana : « C’est tout ce que j’ai pu sauver. Je m’attendais à récolter 8 sacs de 100 kg. »

Ismaël se souvient de l’argent qu’il a dépensé pour les semences, les travailleurs qui labourent et sarclent. « J’attendais 700kg. Depuis l’inondation, je n’y suis pas retourné. Pour y faire quoi à part me faire du mal ? » Il indique qu’il attend que l’eau se retire de la vallée pour pouvoir y cultiver la patate douce.

Tous les habitants n’ont pas jeté l’éponge comme Ismaël. Ce qui frappe chez certains habitants de Kinyovu, ils portent des habits trempés et pleins de boue. « Nous revenons de la vallée. On voulait sauver ce qui reste de nos cultures. Mais, nous sommes rentrés sans rien », souligne Isidore.

En descendant vers la vallée, on rencontre plusieurs personnes, hommes, femmes et enfants, avec des sacs dégoulinant d’eau sur la tête. C’est un sentier de plus d’un kilomètre et très escarpé qui vient de la vallée jusqu’à la colline Kinyovu. Pour un non-habitué, c’est un supplice. On halète, on transpire. Il faut s’arrêter plusieurs fois avant d’atteindre le sommet de la colline sous un sourire amusé des habitants de la localité.

La trentaine, Ntakarutimana monte allègrement le sentier. La jeune femme transporte un petit sac sur la tête. Ses habits sont trempés car elle revenait de la vallée : « J’y suis allée très tôt le matin. L’eau arrive jusqu’à la poitrine. J’ai eu peur d’aller plus loin. C’est tout ce que j’ai pu sauver. Je m’attendais à récolter 8 sacs de 100 kg. Ce n’est plus possible maintenant. » La jeune femme ne sait plus quoi faire : « On n’avait rien cultivé sur la colline. On avait misé sur le riz. Mes enfants vont mourir de faim. Ce n’est pas facile. »

Au bord de la rizière, cette eau stagnante dégage une odeur nauséabonde. Avec son épouse et ses enfants, Claver Gasaho est en train de secouer les panicules qu’ils ont pu sortir de l’eau. Ce père de 4 enfants vit la même situation que les autres habitants de Kinyovu.

Il avait 4 bandes de riz dans cette vallée. « J’allais récolter plus d’une tonne. J’avais investi environ 300 mille BIF. Un travailleur est payé 2500 BIF par jour. La vie va devenir très dure les prochains jours ». Claver Gasaho appelle à l’aide : « La famine risque de surgir car la patate douce et le manioc sont introuvables. J’ai peur pour mes enfants. »

Les habitants de Kinyovu observent que les conséquences de cette inondation commencent à se manifester : « Les vols dans les champs ont augmenté ces derniers jours. Ceux qui ont cultivé sur la colline risquent de ne pas récolter car le haricot et le manioc sont constamment volés dans les champs. »

Sur les collines Carubambo et Makombe, les dégâts sont moindres

Au petit centre de Carubambo, les habitants sont en train de sécher ce qui reste de leur riz. D’autres reviennent de la vallée avec des grains de riz qu’ils ont pu récupérer. « Certains vont récolter un peu mais d’autres ont tout perdu, surtout ceux qui ont cultivé près de l’Akanyaru. C’est une grande perte », confie un administratif à la base. « Moi, par exemple, j’envisageais d’avoir plus de 2 millions de BIF. Je me suis résigné car, après une semaine d’inondation, tu ne peux rien sauver. Je n’ai rien récupéré ». Et d’indiquer qu’il y a des habitants qui avaient investi beaucoup d’argent : « Ils vont perdre plus de 7 millions de BIF. »

Les riziculteurs gagnent beaucoup d’argent avec le riz, assure cet administratif, avant de nuancer : « Après la récolte, les habitants ont beaucoup d’argent mais la gestion de certains reste à désirer. Ils s’adonnent à l’alcool et d’autres cherchent des concubines. Pour certains, l’argent de la récolte ne dure pas 2 semaines. Dans cette période, une bouteille de Primus coûte 3000 BIF et l’Amstel 4000 BIF. Et les gens n’hésitent pas à acheter. » Plusieurs familles tirent toutefois, souligne-t-il, leur épingle du jeu grâce à la culture du riz.

En observant la vallée, on voit des bambous qui longent l’Akanyaru. C’est du côté du Rwanda. Du côté du Burundi, rien. « On avait planté des bambous mais ils n’ont pas grandi à cause de l’eau », indique un habitant de cette localité. Mais les avis divergent sur cette question. « Non, ce sont les riziculteurs qui les ont arrachés pour agrandir leurs espaces. En grandissant, ces bambous prennent plus de place », conteste un autre habitant.

« Qu’on agrandisse les cachots »

Dans ces collines affectées par ces inondations, la pratique d’« umurwazo » (achat à l’avance de la récolte) ou ceux qui hypothèquent la récolte pour contracter un crédit est presque sur toutes les lèvres. « Moi, on m’avait donné 200 mille BIF. J’espérais qu’à la récolte, j’allais lui rembourser son argent. Et voilà, il va me tuer », se lamente un habitant croisé sur la colline Kinyovu.

Désespéré, il ne voit même pas comment il va nourrir ses enfants.« En tout cas, la récolte s’annonçait bonne. Il ne restait que quelques jours pour récolter. Pour le moment, tout est sous l’eau », glisse-t-il, d’une voix chancelante.

I.K., un autre homme de cette localité, pense déjà à fuir : « Hier, j’ai reçu un message qui m’a fait tellement peur. Un commerçant m’a donné une somme de 350 mille BIF. Je lui ai montré mon champ de riz comme hypothèque. C’est lui qui allait récolter. Actuellement, tout a été inondé. Il me demande de lui rembourser son argent. »

Père de six enfants, il dit qu’il lui est impossible de rassembler une telle somme : « En tout cas, s’il insiste, je vais quitter ma commune ou bien qu’on agrandisse les cachots. Je sais que je ne suis pas seul dans cette situation. »

Pour lui, le plus urgent est de trouver de quoi nourrir ses enfants et pas le remboursement de cet argent. Il demande à l’administration communale de penser à la manière de résoudre de tels dossiers.

L’administration communale appelle à l’aide

Pierre-Claver Mbanzabugabo (avec des bottes bleues) : « Je pense que celui a donné son argent espérant gagner beaucoup à la récolte ne vas pas s’en prendre à un cultivateur victime des inondations »

« C’est grave. C’est vraiment une catastrophe naturelle », déplore Pierre-Claver Mbanzabugabo, administrateur communal de Ntega. A la suite d’une descente de terrain effectuée, mardi 9 mai, sur les collines affectées.
Il était en compagnie du responsable du bureau provincial de l’environnement, agriculture et élevage (DPEAE). Deux collines ont été visitées : Carubambo et Kinyovu.

Pour la première colline, il signale que la situation n’est pas très alarmante : « Sauf ceux qui ont cultivé dans la zone tampon, les autres vont pouvoir récolter quelques quantités même si les pertes ne peuvent pas manquer. »

A Kinyovu, c’est un spectacle désolant. « Tout a été inondé. Là où se trouvaient les champs rizicoles, c’est devenu un lac. Ils ne vont rien récolter », déplore M. Mbanzabugabo. Il signale que la situation est identique pour les six autres collines, à savoir Gisitwe, Kigaga, Nyemera, Ntango, Makombe et Rutagara.

« C’est vraiment une grande perte en premier lieu pour la population. La production sera très faible. Et pas de doute qu’il y aura la famine », alerte-t-il.
Ce qui va, selon lui, affecter les autres collines, communes et provinces frontalières. Il fait savoir qu’en plus d’autres communes de la province Kirundo, la production rizicole de Ntega était écoulée à Muyinga, Ngozi, etc.

Sans préciser le montant réel, il signale que la commune va aussi perdre : « Il y avait des taxes en provenance des exploitations rizicoles après la récolte. Sans cet argent, il y a des projets qui ne seront pas exécutés. »

Pour cette question de ceux qui achètent la production à l’avance, M. Mbanzabugabo affirme que cette pratique est une réalité dans sa commune comme dans d’autres communes du pays. Il rappelle d’ailleurs que le ministère de l’Intérieur a récemment ordonné de décourager cette pratique frauduleuse.

« Nous avons déjà donné une injonction selon laquelle c’est le cultivateur qui doit récolter son champ », tranche-t-il. Et de souligner : « Je pense que celui qui a donné son argent espérant gagner beaucoup à la récolte ne va pas s’en prendre à un cultivateur victime d’une inondation. Sinon, on va mettre en application la décision ministérielle. »

Et de plaider pour sa population : « Nous demandons à toute âme charitable de venir en aide à ces agriculteurs. L’appel est lancé en premier lieu au ministère en charge des Affaires sociales. Nous pensons qu’ils ont reçu le rapport et qu’ils viendront bientôt les assister. » Il compte aussi sur l’esprit de solidarité des Burundais pour que les victimes de ces inondations aient de quoi faire vivre leurs familles dans les jours à venir.

Le coût élevé du non-respect de la zone tampon

Les riziculteurs essayant de sauver le peu qui reste

Léonidas Rivuzimana, responsable du BPEAE-Kirundo, fait lui aussi un constat amer : « C’est vraiment très déplorable. Des grandes étendues rizicoles ont été totalement détruites. Il est très difficile d’estimer les pertes. »

Interrogé sur les causes de cette situation, il explique que c’est lié aux fortes pluies de ces derniers jours. Néanmoins, il signale que les agriculteurs ont aussi une part de responsabilité : « Si la zone tampon avait été respectée, les dégâts n’auraient pas été d’une telle ampleur. »

D’après lui, une zone tampon de 25 m avait été délimitée, des bambous avaient été plantés sur 30 km à partir de la commune Bugabira jusqu’à Marangara pour stabiliser les rives de l’Akanyaru. « Trois campagnes ont eu lieu en 2019, 2020 et en 2021. Mais, par la suite, ces agriculteurs ont eux-mêmes déracinés ces bambous et ont cultivé jusqu’aux rives de l’Akanyaru. Ils ont détruit les hautes herbes qui conservaient l’eau lors des crues pour ne pas envahir les cultures ».

Pour le moment, M. Rivuzimana annonce de nouveaux travaux de délimitation de la zone tampon et la plantation de bambous. « Tous ceux qui ont occupé cette zone vont être chassés », insiste-t-il.

Il rappelle qu’outre la zone tampon de 25 m, on avait institué une autre zone de 200 m interdite aux cultures : « Ces espaces étaient conservés pour contenir l’eau en cas d’inondation. Il y avait au moins dix espaces du genre de Ntega à Bugabira. Ils servaient à protéger les cultures. Et il y avait des hautes herbes. »

Le responsable du BPEAE-Kirundo déplore que suite à l’ignorance, les gens les ont envahis, détruits et y ont planté le riz : « Et voilà, quand l’eau déborde, c’est directement dans les champs. »

Pour ces nouveaux travaux de protection, il souligne que les agriculteurs doivent contribuer. Il appelle ainsi les administratifs à la base de veiller à la protection de la zone tampon, une fois de nouveau délimitée.