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Au Brésil, le retour de la faim, legs de Jair Bolsonaro

Valquiria dos Santos, 30 ans, dans la cuisine de sa maison au quartier du parc Vila Nova, en bordure de la route Linha Vermelha, à Caxias, dans la banlieue de Rio de Janeiro, au Brésil.
FRANCISCO PRONER / VU’ POUR « LE MONDE »
Par Bruno Meyerfeld

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ReportageAprès avoir considérablement reculé dans les années 2000, l’insécurité alimentaire touche 33 millions de Brésiliens, soit 15 % de la population, affectant particulièrement les femmes et les communautés noires ou rurales du Nordeste et d’Amazonie.

C’était le 22 juillet. Désespérée, Valquiria dos Santos se saisit de son smartphone et lance un appel au secours. « Je parle comme mère, comme femme pour demander de l’aide ! implore-t-elle, la voix brisée, dans un message audio partagé sur WhatsApp. Je n’ai pas d’emploi, tout est tellement cher, il n’y a plus rien à manger à la maison. Peux-tu m’aider ? N’importe quoi fera l’affaire ! » A ces mots déchirants, Valquiria joint une photo de l’armoire de sa cuisine : vide, hormis trois sacs de farine à demi entamés.

L’histoire de cette jeune femme de 30 ans, habitante de la favela Parque Vila Nova, située dans la ville de Duque de Caxias, en banlieue nord de Rio de Janeiro, a ému au-delà de sa communauté. En quelques heures, grâce à l’appui d’une association locale, Valquiria parvient à récolter près de 250 reais (48 euros) et sort la tête de l’eau. « J’ai eu faim quand j’étais petite. Je sais à quel point ça fait mal. Je ne veux pas que mes enfants connaissent ça », témoigne-t-elle.

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La vie s’est acharnée sur cette mère courage, née dans le Nordeste. Asthmatique, vendeuse ambulante de barres chocolatées, elle ne gagne que quelques euros par jour pour nourrir son foyer : cinq enfants et un mari émacié, chômeur et malade du sida. Les derniers temps ont été particulièrement durs. Humiliants, même. Il a fallu sauter les repas. Mendier dans les supermarchés. Retourner les poubelles en quête d’un reste de viande. « C’est tellement rare d’en avoir qu’on finit par manger ça… », reconnaît tristement Valquiria.

Valquiria dos Santos et Romulo Machado da Silva, dans le salon de leur maison, située dans le parc de Vila Nova, à Caxias (Brésil), le 26 septembre 2022.
Valquiria dos Santos et Romulo Machado da Silva, dans le salon de leur maison, située dans le parc de Vila Nova, à Caxias (Brésil), le 26 septembre 2022.

Depuis sa maison de brique, entourée d’un marécage poisseux et d’une décharge, où des indigents en loques et des consommateurs de crack font brûler du cuivre, Valquiria a une vue plongeante sur le désespoir brésilien. « Je suis loin d’être la seule dans cette situation », admet-elle. Après avoir considérablement reculé dans les années 2000, la faim est en effet de retour au Brésil, triste legs du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, candidat à sa réélection au scrutin du 2 octobre.

« Ici, la faim est partout, et l’Etat nulle part »

Une étude qui a été publiée en juin par le réseau Penssan, spécialisé dans la sécurité alimentaire, a révélé l’ampleur du phénomène : la faim touche aujourd’hui 33 millions de Brésiliens – 15 % de la population –, soit près de deux fois plus qu’en 2020. Le drame affecte l’ensemble du pays, mais frappe tout particulièrement les femmes et les communautés noires ou rurales des régions du Nordeste et d’Amazonie.

Janaina Ferreira, une habitante blessée par balle à la tête, devant sa maison, dans la communauté de Parque Analandia, à Caxias, dans la banlieue de Rio de Janeiro, le 26 septembre 2022.
Janaina Ferreira, une habitante blessée par balle à la tête, devant sa maison, dans la communauté de Parque Analandia, à Caxias, dans la banlieue de Rio de Janeiro, le 26 septembre 2022.

La situation est tout sauf nouvelle. « La faim fait partie de l’histoire du Brésil », rappelle Patricia Andrade de Oliveira e Silva, économiste à l’université de Campinas (Unicamp). Chacun conserve en mémoire les cycles de sécheresses et de famines meurtrières du Nordeste (celle de 1979-1983 aurait fait jusqu’à un million de victimes). « L’Etat brésilien, héritier de l’esclavage et de la colonisation, n’a jamais mis en place les structures éducatives, agraires et sociales de base pouvant remédier à cette tragédie. Une partie de la population a été délibérément maintenue dans un extrême dénuement », souligne la chercheuse.

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