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Le « crachoir » de Jean-Paul Enthoven

Lignes de vie

de Jean-Paul Enthoven

Grasset 285 p. 20,90 euros

     Les dandys ne vieillissent pas, ils se patinent ; leurs mots, à force d’oxydations naturelles successives, prennent des teintes nouvelles, le ton change. Jugez plutôt : « L’âge où les amis disparaissent un à un laisse dans le sinistre contentement de leur survivre ». Et aussi : « Quand on a la vie devant soi, on la vit. Quand on l a derri è re soi, on l’écrit. Rare, rarissime de faire (avec génie), les deux choses en même temps ». Et encore : « La poussière est une forme sèche de la pourriture ». Et enfin : « Quand un chagrin n’est plus que le souvenir d’un chagrin, c’est presque un plaisir ».

     Jean-Paul Enthoven nous livre ses Lignes de vie, des croquis de mémoire vive. C’est un assemblage de méditations, de portraits, de rêves, de citations, de digressions, nous dit-il en avant-propos. Un amalgame d’émotions choisies, d’illusions, d’épiphanies, de curiosa en vrac. C’est ensemble charmant, distrayant, cultivé, solaire et lucide en ceci que l’auteur des Raisons du coeur (Grasset, 2021), ne se prend pas pour un écrivain. C’est qu’il admire trop les Stendhal, Proust, Cioran, Casanova… Il ne fraye pas, sur le plan de l’égalité, avec ses maîtres qui sont ses directeurs de conscience ou d’inconscience, de plaisir. Il est leur obligé. Il leur est redevable et l’avoue. Les lisant de près, il a bien ou mieux vécu, c’est déjà pas mal. Rendre hommage grandit, la preuve !

     Le « crachoir » de Jean-Paul Enthoven — pour reprendre le mot de Diderot sur un genre littéraire dont le principe est de n’avoir pas de forme —, outre qu’il renferme des traits d’esthète ( « le destin, c’est le décor », se lance, aparté, notre auteur en visitant le palais Gangi à Palerme), des saillies, des « épisodes » avec Aragon ou Truffaut, est aussi l’occasion de questionnements : « Pourquoi poursuit-on avec rage ce que, parfois, on ne désire pas ? Pourquoi évite-t-on avec constance ce que l’on espère en tremblant ? »

     Enthoven donne, à part égale, dans la bonne humeur et la mélancolie, la légèreté et la profondeur. Il badine avec la comédie humaine.