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Loi Pacte : une évaluation brouillée par la pandémie et la guerre en Ukraine

La loi Pacte fut le symbole de la politique économique « pro-entreprise » du premier quinquennat Macron. Cet épais projet de loi porté par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait fait l'objet d'âpres tractations au Parlement et dans les syndicats. De leur côté, les rapporteurs avaient mené une bataille intense sur le terrain pour faire adopter ce projet pilier du macronisme. La loi Pacte devait représenter « un nouveau modèle économique pour la France », avait même défendu dans les colonnes de La Tribune l'ancien député de la République en Marche Roland Lescure, grand promoteur de la loi Pacte désormais aux manettes du ministère de l'Industrie.

"La loi Pacte est un nouveau modèle économique pour la France" Roland Lescure

Quatre ans après l'adoption de ce texte dans l'hémicycle, l'organisme France Stratégie rattaché à Matignon et héritier de l'ancien commissariat général au plan, a dévoilé ce mercredi 28 septembre son troisième rapport d'évaluation sur cette loi Pacte extrêmement touffue composée de 221 articles. Lors du point presse, les experts n'ont pas caché leurs difficultés à évaluer les effets de cette loi. « La crise sanitaire et économique a eu depuis mars 2020 des impacts significatifs sur des domaines concernés par la loi Pacte [...] Plus récemment, le conflit en Ukraine et l'augmentation rapide des prix auront probablement un impact significatif sur certains domaines couverts par ce rapport », ont expliqué les auteurs. En dépit de ces crises majeures, France Stratégie a tenté de dresser le bilan de quelques mesures phares.

Des résultats décevants dans la participation et l'intéressement

Les promoteurs de la loi Pacte ont voulu favoriser l'intéressement, la participation des salariés aux résultats de l'entreprise en assouplissant les règles et en développant des incitations fiscales. Malgré tous ces dispositifs de libéralisation, des écarts criants entre les salariés des grandes entreprises et ceux des PME et TPE demeurent. « Dans les entreprises d'au moins 1.000 salariés, la proportion de salariés couverts par au moins un dispositif est de 88,5 % contre seulement 17,3 % dans les entreprises de 1 à 9 salariés », indiquent les rapporteurs.

En outre, la crise économique provoquée par la pandémie a entraîné une chute de près d'un milliard d'euros des montants distribués au titre de la participation, passant de 8 milliards d'euros à 6,9 milliards entre 2019 et 2020. La baisse est encore plus marquée pour les sommes distribuées au titre de l'intéressement (-1,6 milliard), passant de 9,8 milliards d'euros à 8,2 milliards d'euros.

Outre la crise sanitaire, les économistes expliquent également ces résultats décevants par des risques de « cannibalisation » avec d'autres mesures comme la prime Macron mise en œuvre depuis la crise des « gilets jaunes » et élargie dans le dernier projet de loi « pouvoir d'achat » voté à l'été dernier.

 Un nombre d'entreprises à mission limité

Au-delà des incitations sur l'intéressement, la loi Pacte consacre un large volet à l'entreprise à mission. Après la remise du rapport de Nicole Notat et Jean Dominique Sénart en 2018, le gouvernement voulait inciter les entreprises à inscrire une raison d'être dans leur statut et doper le nombre de sociétés à mission sur le territoire tricolore.

« Sur la base d'un engagement volontaire, cette qualité est reconnue à une société qui inscrit une raison d'être dans ses statuts et charge un organe de suivi de vérifier l'atteinte de ses objectifs », soulignent les auteurs de France Stratégie.

Selon un décompte de l'observatoire des sociétés à mission, 731 entreprises avaient adopté ce statut au premier septembre 2022. « Ces dispositifs s'implantent mais cela reste très marginal. Les entreprises à mission sont très minoritaires », a déclaré Brice Richard, coordinateur de l'évaluation des politiques publiques à France Stratégie lors du point presse. Un rapport de Bris Rocher, patron du groupe Yves Rocher, remis au gouvernement il y a un an pointait que « les bénéfices de ces nouvelles dispositions sont difficilement perceptibles. »

Réforme des seuils en entreprise : une évaluation prématurée

La mise en œuvre des seuils d'effectifs en entreprise a régulièrement fait l'objet de critiques dans les milieux patronaux. Ces seuils entraînaient des obligations fiscales et sociales (élections de délégués du personnel, règlement intérieur, CHSCT) spécifiques en fonction de la taille des entreprises.

Face à la fronde du patronat, le gouvernement avait décidé de réformer ces seuils jugés comme un frein à l'emploi et à la croissance des entreprises. Les auteurs de l'épais rapport de 316 pages estiment « qu'il est trop tôt pour mesurer les effets de la loi sur des possibles « effets de seuil », à savoir une accumulation d'entreprises juste en dessous des seuils. La loi prévoit en effet qu'un seuil est franchi lorsqu'il l'a été pendant cinq années consécutives. » Or, la loi n'a été votée qu'en 2019. Il faudrait donc attendre 2023, voire 2024 pour commencer à mesurer ses premiers effets.

Transformation du CICE en baisse de cotisation : « pas d'effets substantiels »

En 2019, le gouvernement a décidé de transformer le controversé CICE, mis en place sous François Hollande, en baisse pérenne de cotisation. Quatre ans après cette décision, France Stratégie a dressé un premier bilan de cette mesure. « La transformation du CICE en baisse de cotisation veillait à corriger les défauts du CICE, a expliqué Cédric Audenis, commissaire général de France Stratégie devant les journalistes. « Sur toutes les méthodes, on ne voit pas d'effets substantiels en 2019. Il n'y a rien de suffisamment robuste. On ne peut pas encore faire de conclusion sur les effets de la bascule,» a-t-il ajouté. Là encore, toutes les mesures du « quoi qu'il en coûte » mises en œuvre au début de la pandémie « peuvent parasiter les estimations sur les effets des baisses de cotisations », a-t-il conclu.

"Beaucoup de chefs d'entreprise manquent de connaissances sur la loi Pacte", Gilles de Margerie