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[Album de la semaine] «Nymph» de Shygirl, examen de pas sage

Cette semaine, critique de l’album «Nymph» de Shygirl.

Le monde auquel appartient Shygirl n’est certainement pas le même que le nôtre. L’artiste de South London a émergé en 2016, pas forcément en faisant beaucoup de bruit mais sans son pareil pour se faire remarquer. Les faux ongles longs et acérés, un style capillaire toujours plus inventif, un imaginaire «trash» qui flirte avec le vulgaire…

Stylistiquement parlant, la jeune femme semble avoir pris l’héritage d’une Nicki Minaj ou d’une Cardi B, auquel elle incorpore un côté rude, typiquement anglais. Ce qui, en réalité, est un leurre. Du moins, ce n’est qu’une facette de sa personnalité complexe. Car, à côté de son apparence de fille pas sage, tout sauf timide – contrairement à ce qu’annonce son pseudonyme – Shygirl est une véritable extraterrestre, venue d’une galaxie lointaine pour sauver la musique électronique terrienne avec des sonorités de l’espace.

Shygirl provoque mais garde complètement le contrôle de soi, avant de l’exercer sur les autres (les hommes, notamment, à qui elle adresse ses phrases les plus salaces, pour leur faire comprendre qu’elle est un sacré coup au lit).

Avec les EP Cruel Pratice (2018) et Alias (2020), elle montrait que sa musique n’avait aucune limite, allant piocher du côté du «grime» comme du R’n’B langoureux, de la techno industrielle comme de l’«eurodance». Rien n’est trop beau pour celle dont les références, une fois passées au mixeur, deviennent d’improbables missiles qui possèdent les corps et les esprits, qui font très mal à l’impact.

Blane Muise, de son vrai nom, conçoit sa musique à la façon d’une DJ (ses premières amours, avant qu’elle ne passe à ses propres compositions). Comme un grand mélange expérimental, où la recherche d’une ambiance et la diversité sonore s’allient pour répondre à la grande question : qu’est-il encore possible de produire aujourd’hui qui ne ressemble à rien de ce qui a déjà été entendu ?

Rien ne fait peur à Shygirl. Surtout pas l’inattendu, dont elle s’est fait une spécialité

Très attachée à son indépendance, Shygirl, artiste totale, porte aussi beaucoup d’attention à la mise en place d’une carrière, autant qu’à la création et à l’évolution de son personnage. Ainsi, après deux projets courts grâce auxquels son nom a commencé à tourner, se posait pour elle une autre question : comment envisager un premier album ? Il y a là un cap à franchir et qui doit, pour l’artiste, démontrer qu’elle en est digne. Mais rien ne fait peur à Shygirl. Surtout pas l’inattendu, dont elle s’est fait une spécialité. Avec le bien nommé Nymph, elle promettait de déconcerter autant ses fans de la première heure qu’un public plus large (et clairement pas préparé à entendre ses précédentes bacchanales).

L’album s’ouvre pourtant bien sur ce que l’on attendait d’elle : des phrases qui sonnent comme des mantras, répétés d’une voix sensuelle sur des fréquences basses couplées à un sample ultrarapide (Woe). L’artiste sachant très bien manier l’humour (une autre spécialité anglaise), elle conçoit son entrée en matière comme un faux départ. Les morceaux qui définissent Nymph s’appellent Shlut ou Coochie (a bedtime story) : de véritables pépites qui créent un pont entre la trap et le R’n’B, plus accessibles que tout ce qu’elle a sorti auparavant et qui gardent néanmoins la marque de fabrique de cette reine de l’électro expérimentale et fascinante. Dans Poison, elle s’engage sur les terrains du tube destiné aux clubs; dans Nike, elle revient à ses sonorités les plus ardentes et ses textes les plus ouvertement sexuels.

Refusant catégoriquement de faire la moindre concession concernant son personnage et sa musique, Blaine Muise prouve néanmoins que le cap de l’album l’a faite évoluer de façon spectaculaire. Elle se met en difficulté à plusieurs niveaux, d’abord en osant chanter sur presque tous les morceaux, elle qui était plutôt habituée à rapper. Mais le chant, s’il la montre vulnérable, est utilisé ici comme une force. Car c’est de cela dont il est question, dans Nymph : démontrer que la difficulté et la mise en danger de soi peuvent être utilisées comme une force. D’une manière éclatante, à l’opposé des sonorités sombres auxquelles elle s’était tenue jusque-là, Shygirl utilise ce pouvoir, arrachant au passage une confiance en soi à son maximum.