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Cannabis cultivé chez soi : l’Europe ne dit pas non

Le Conseil d’État émet quatre oppositions formelles concernant la formulation de définitions clés dans le projet de loi sur la culture de cannabis dans le cercle privé. (photo AFP)

Le projet visant à autoriser la culture de plants de cannabis dans le cercle privé est conforme au droit européen. Le Conseil d’État rappelle toutefois des obstacles juridiques à l’échelle internationale.

Annoncée en novembre 2021, une première légalisation partielle du cannabis récréatif pourrait devenir réalité avant la fin de cette législature. La fenêtre est entrouverte, surtout au niveau du droit européen, pour que dans un délai plus ou moins rapproché, chaque adulte puisse cultiver à domicile, et en toute légalité, jusqu’à quatre plants de cannabis. La consommation doit néanmoins rester strictement limitée à un usage personnel. C’est précisément ce point qui permet de respecter les dispositions juridiques fixées par l’Union européenne.

Contactée par Le Quotidien, la Commission européenne indique que le droit européen «interdit la culture de la plante de cannabis, mais ne couvre pas la consommation personnelle de drogue». «Il appartient donc aux États membres de décider de la manière d’aborder la consommation personnelle de drogues, y compris de cannabis», précisent les services de la Commission. C’est précisément cette ouverture légale dont compte profiter le gouvernement luxembourgeois.

Le Conseil d’État en vient à la même conclusion : «Le projet de loi (…), en ce qu’il se limite à l’autorisation de la culture d’un nombre de plantes à des seules fin de consommation personnelle, sous des conditions strictes (…), contrairement à une légalisation extensive, n’est (…) pas contraire au droit de l’Union européenne».

La Commission européenne en attente

Par contre, le gouvernement n’a pas encore soumis à la Commission européenne une notification formelle de son projet de légalisation partielle du cannabis récréatif, pourtant nécessaire en cas de modification du cadre légal des stupéfiants. Les Sages font d’ailleurs remarquer que, dans le projet de loi initial, la ministre de la Justice, Sam Tanson (déi gréng), s’était limitée à des «considérations d’ordre politique et de droit interne, tout en faisant entièrement abstraction de considérations relatives au droit international». Or, en matière de stupéfiants, pas moins de cinq textes européens et internationaux sont à prendre en considération.

Dans un premier temps, lors de la présentation du projet de loi, la ministre s’était contentée de faire référence au droit international, contre lequel il sera bien plus compliqué de trouver une parade pour respecter les conventions et traités existants. «Les conventions onusiennes imposent explicitement aux États de prohiber notamment la culture ou la production de cannabis. À cet égard, elles ne distinguent pas entre une production aux fins d’une cession et une culture aux fins de consommation personnelle», fait remarquer le Conseil d’État.

Le gouvernement pourrait se baser sur une interprétation plus large du droit international, en renvoyant vers des principes constitutionnels pour obtenir une dérogation aux conventions en vigueur. «L’argumentaire (…) sur cette question, qui constitue pourtant la question clé dans ce dossier, est très succinct et sans développements quant au fond», constatent les Sages. La simple référence à l’inviolabilité du domicile ne serait pas forcément suffisante. «En outre, à la connaissance du Conseil d’État, aucun juge, au sein de l’Union européenne, n’a jusqu’ici reconnu le droit à la consommation du cannabis comme faisant partie du droit à la vie privée», tel que l’invoque la ministre de la Justice.

Risque de critiques, mais pas de sanctions

D’autres pistes (droit à l’autonomie, autodétermination personnelle) ne sont pas avancées dans le projet de loi. Le Grand-Duché n’a en outre pas émis de déclaration interprétative lors de la ratification des conventions onusiennes. L’Allemagne, par exemple, se base notamment sur une telle déclaration pour procéder à une légalisation limitée du cannabis.

En conclusion, le Conseil d’État voit le risque que le Luxembourg, en procédant de la sorte, s’expose «à la critique, au niveau international notamment, d’une possible non-conformité de la législation envisagée (…)». Dans la foulée, les Sages précisent que les «conventions ne prévoient pas de sanctions». Malte, par exemple, ayant procédé comme le Grand-Duché projette de le faire, n’a ainsi fait l’objet d’aucune sanction ou conséquence juridique.

Une voie semblable empruntée par d’autres pays européens

PORTUGAL La consommation personnelle, dans le cercle privé, de tous les stupéfiants est dépénalisée, tout comme leur acquisition et leur détention, si la consommation se limite à l’usage personnel.

PAYS-BAS Une tolérance de 5 grammes de cannabis ou de 5 plants de cannabis en matière de possession est d’application. La vente et la possession aux fins d’usage personnel sont dès lors décriminalisées et la consommation dans les lieux privés est tolérée.

BELGIQUE La possession d’une quantité de cannabis inférieure à 3 grammes est considérée comme étant destinée à un usage personnel. Elle fait l’objet d’un procès-verbal simplifié qui sera transmis au parquet, mais ne fait en principe pas l’objet de poursuites en justice.

MALTE Une certaine libéralisation du cannabis récréatif est en vigueur depuis 2021. Elle inclut la possession (jusqu’à 7 grammes) et la culture (jusqu’à 4 plantes par ménage, non visibles par le public) du cannabis.

Cannabis récréatif : une légalisation expérimentale

Le gouvernement mise sur un «dispositif expérimental» pour la légalisation intégrale du cannabis récréatif. Cette option doit permettre au Grand-Duché de respecter le droit international en la matière.

La légalisation sera vendue comme une expérimentation

Le gouvernement mise sur un «dispositif expérimental» pour la légalisation intégrale du cannabis récréatif. Cette option doit permettre au Grand-Duché de respecter le droit international en la matière.

Comme nous le révélions déjà en juin 2019, le projet luxembourgeois de légalisation du cannabis récréatif va à l’encontre de la convention de l’ONU sur les stupéfiants. Adopté par le Grand-Duché en 1972, ce texte dispose que les pays signataires «prendront les mesures législatives (…) nécessaires (…) pour limiter exclusivement à des fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants». Le cannabis fait partie de la catégorie de stupéfiants prohibés.

Jusqu’à présent, les ministres successifs en charge du dossier n’ont pas précisé qu’outre le droit international, le droit européen pose, lui aussi, des limites. Au moment de présenter son projet, le ministre fédéral allemand de la Santé, Karl Lauterbach, avait d’emblée souligné que le feu vert de la Commission européenne était indispensable pour mener à bout une légalisation du cannabis récréatif. La seule ouverture européenne qui existe en la matière se limite à la consommation personnelle de cannabis.

Des avis juridiques repris en octobre et décembre dans les médias allemands en viennent à la même conclusion : ni le projet luxembourgeois ni le projet allemand de légalisation du cannabis récréatif ne sont conformes au droit international existant. Il existe pourtant certaines marges de manœuvre, sans oublier que les mêmes conventions restrictives ne prévoient pas de sanctions. Les avancées du Canada et de l’Uruguay en la matière n’ont ainsi pas eu de conséquences juridiques.

Les travaux sur la loi pas encore lancés

Les ministères de la Santé et de la Justice cherchent pourtant à trouver une parade. Il est ainsi prévu de mettre en place un «dispositif expérimental d’accès légal au cannabis à des fins non médicales». Un concept doit encore être approuvé par le Conseil de gouvernement, avant la fin mars, selon nos confrères de Reporter.lu.

Contacté par Le Quotidien, le ministère de la Santé développe davantage l’argumentaire qui sera soumis aux instances européennes et internationales. «Suite à une politique nationale de répression de la consommation et de prévention des addictions menées de longue date et face aux résultats insuffisants de l’approche répressive, le Luxembourg souhaite lancer un dispositif expérimental qui s’adresse au phénomène social d’une consommation élevée de cannabis au sein de la population générale», est-il précisé dans la réponse obtenue.

C’est ce «dispositif expérimental» qui correspondrait à la «marge de manœuvre» accordée par les instruments internationaux. Plus concrètement, le ministère se réfère à l’utilisation de cannabis à des fins scientifiques : «Le dispositif expérimental, scientifique, temporaire et réversible s’inscrit ainsi dans la logique et l’esprit général des conventions internationales.» Le «rapport exact du dispositif expérimental avec le droit international et le droit européen» reste toutefois à déterminer.

Les travaux sur le projet de loi promis pour cette année 2023 ne pourront commencer que lorsque le dispositif expérimental aura été validé par le Conseil de gouvernement.

La Commission européenne précise au Quotidien que les derniers contacts avec le gouvernement luxembourgeois au sujet d’une légalisation du cannabis récréatif datent de l’annonce, en 2018, de l’inscription d’un tel projet dans l’accord de coalition. Les règles européennes en la matière ont été notifiées à l’époque. Aucun contact récent n’a eu lieu.

D. M.