Luxembourg
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Gilles Grethen, l’homme-orchestre 

Le jeune guitariste Gilles Grethen, après un premier album audacieux sorti il y a juste un an, enchaîne avec un second où, avec son quartette de jazz, il s’entoure… d’un orchestre à cordes! Serait-il un homme de challenges? Il a ses réponses.

Gilles Grethen, 28 ans, est de cette jeune génération du jazz luxembourgeois qui aime à bousculer les codes et mélanger les envies. L’année dernière, pour son premier disque (Time Suite), le musicien à la guitare légère s’était déjà lancé dans une entreprise audacieuse : construire un album de jazz sur la forme d’une suite, calée sur une structure en six mouvements comme dans la musique classique. À ses côtés, pour donner de l’énergie à la bonne idée, un fidèle trio inspiré – Vincent Pinn (trompette), Gabriele Basilico (contrebasse) et Michel Meis (batterie).

On retrouve le quartette à peine une année plus tard à travers une nouvelle production, State of Mind, encore soutenue par le label allemand Double Moon Records et toujours animée par une soif de grandeur. D’abord imaginée avec un big band, elle s’appuie finalement sur un orchestre de onze cordes, aux sonorités amples et soyeuses.

Atmosphérique et esthétique, l’album garde surtout l’équilibre entre jazz et classique, aucun ne prenant le dessus sur l’autre. Le compositeur et instrumentiste raconte pourquoi il aime les mélanges et passer du temps à chercher des sons.

Time Suite, votre premier album, est sorti en mai 2021. State of Mind le suit de peu. Pourquoi une telle urgence?

Gilles Grethen : Pour deux raisons. Déjà, durant la crise sanitaire, j’ai écrit beaucoup de musique. J’avais donc pas mal de matériel à exploiter sous la main. Il fallait bien que j’en fasse quelque chose… Ensuite, du côté de l’université de Mannheim où j’étudie, un de mes professeurs, Jürgen Friedrich, compositeur connu et réputé en Allemagne, m’a orienté vers les cordes. J’ai trouvé ça intéressant et ça a clairement influencé ce choix d’enchaîner sur un second album.

Faut-il y voir un retour à vos racines, la musique classique?

C’est vrai, je n’ai fait que ça durant toute mon enfance et mon adolescence. Ce son ne m’a jamais véritablement lâché. À mes yeux, le moment était venu d’en faire quelque chose, de réaliser, en quelque sorte, une symbiose entre deux mondes, celui du jazz et celui du classique.

Associer le jazz et les cordes, c’est assez rare, non?

Disons qu’il y a des albums qui comptent, dont Charlie Parker with Strings. C’est un disque que j’ai écouté, encore et encore, avec des arrangements fantastiques. Sinon, parmi les influences de State of Mind, il y a Other People (NDLR : de Kenny Wheeler et le Hugo Wolf String Quartet) ou le travail du compositeur Alfred Schnittke. Il faut vraiment écouter son Quatuor à cordes n° 3, un truc vraiment spécial avec notamment des accords modernes sur huit temps.

Je rêvais vraiment d’un son orchestral, puissant!

Est-ce pour autant un geste original?

(Il réfléchit) Disons que la plupart du temps, dans ce mélange, il n’y a pas de musique classique. C’est juste du jazz arrangé pour des cordes! Mais certains artistes poussent quand même l’assemblage plus loin, comme le contrebassiste Dieter Ilg, qui a repris le Parsifal de Wagner en trio avec piano. Avec du recul, ce que j’ai fait, ça n’existe pas trop!

En tant que musicien, aimez-vous ce genre de challenge?

Oui, clairement. Je ne pense pas que tout le monde aime, mais moi, me poser à mon bureau et rechercher des sons nouveaux, c’est un vrai plaisir!

Que peut apporter un tel orchestre à un quatuor de jazz?

De l’ampleur! Je rêvais vraiment d’un son orchestral, puissant. D’ailleurs, si l’aspect financier ne jouait pas un rôle si important, je ne me serais pas « contenté » de onze musiciens supplémentaires (il rit). Lorsque toutes les cordes jouent ensemble, elles fonctionnent comme un seul et unique instrument. C’est comme ça que je l’ai abordé. Ce grand son qui peut en résulter me fascine et appuie l’énergie que l’on cherche à développer avec le quartette.

Trouver l’équilibre, une symbiose, était-ce compliqué?

C’était un long travail, avec beaucoup de corrections, de modifications. Pour rendre les choses plus limpides et uniformes, j’ai composé la musique en y incorporant directement l’orchestre. Ça évite les ajustements et donne de la cohésion à l’ensemble. Après, il restait une préoccupation majeure : comment allait-on faire avec les parties improvisées?

Justement, comment gère-t-on cette orientation avec un orchestre classique, peu rompu à l’exercice?

C’était la grande question à laquelle j’étais confronté lorsque j’ai écrit l’album. J’en ai discuté autour de moi, avec mes professeurs, d’autres musiciens, et le constat était le même : ça risquait d’être très difficile à faire et ça allait prendre beaucoup de temps pour que ça sonne bien. J’étais dans une impasse, je ne trouvais pas de solution qui me plaise. J’ai alors tranché : l’orchestre jouera un rôle important dans les thèmes et les parties composées, alors que le quatuor repassera au premier plan pour les parties improvisées.

Avez-vous eu peur que ça ne fonctionne pas?

Pas trop finalement. Je pense que j’avais confiance en mon travail et en ceux qui m’accompagnent. Ça s’entend même dans la chanson Delirium, à l’aspect chaotique, car les cordes improvisent à leur tour. Ça prouve que l’on était à l’aise avec le projet et nos ambitions.

Des gens m’écrivent sur Instagram pour me dire qu’ils n’avaient jamais rien entendu de tel

Qu’ont pensé le groupe et l’orchestre de cette alchimie? 

Le trio qui m’accompagne vient également du classique. Ça n’avait rien de nouveau pour lui. Pour l’orchestre à cordes, quand j’ai fait mon casting, j’ai misé sur la transparence : j’ai prévenu tous les musiciens qu’on allait faire quelque chose auquel ils n’étaient pas forcément habitués, avec du jazz, du groove… Mais ils étaient motivés, et tant mieux, car on avait très peu de temps devant nous pour la mise en place, soit trois jours de répétition à Bertrange et deux petits jours en studio en Belgique. C’était stressant!

State of Mind, comme son nom l’indique, parle d’états d’esprit différents. Quel est le vôtre actuellement, alors que le disque est sorti il y a plus d’un mois?

Positif! Je suis à la fois content et reconnaissant du travail qui a été accompli. Surtout que les retours sont bons, des copains, de la famille… Des gens m’écrivent sur Instagram pour me dire qu’ils n’avaient jamais rien entendu de tel.

Samedi, vous jouez à Luxembourg. Est-ce important pour vous que l’album se matérialise sur scène?

C’est essentiel. D’autant plus vrai après deux années où tout était compliqué, voire impossible, notamment mettre en place et jouer des concerts. Par exemple, Time Suite, on l’a seulement joué à six ou sept occasions devant un public. C’est trop peu… Pour celui-ci, par contre, après un premier concert déjà donné à Sarrebruck et un autre à Mannheim, on a une tournée, prévue pour mars 2023, qui se dessine entre l’Allemagne et la France. Tant mieux! Une musique a besoin de vivre sur scène.

Cela dit, un orchestre à cordes, ça limite les possibilités. Comment allez-vous vous y prendre?

C’est évident! Jouer dans un café ou un club de jazz à quinze musiciens, c’est impossible. Ils n’ont même pas les moyens de les payer tous (il rit). C’est pourquoi l’orchestre ne sera pas souvent là à nos côtés. Du coup, j’ai arrangé ce disque pour le quartette, sans aucune corde, avec des improvisations plus étoffées. J’ai aussi mis en place une version contenue, prévue pour un quintette de cordes. C’est intéressant d’avoir différentes variantes et, surtout, on y gagne en flexibilité.

Comment appréhendez-vous alors le concert de samedi à l’ArcA, en format complet?

Déjà, on est rassuré, car il n’y a que neuf cordes, et non onze (il rit). D’un point de vue logistique, c’est sûr, ça demande plus de réflexion, mais une fois lancé, ça devait être sympathique. Et je peux compter sur la présence de Benjamin Schäfer, le chef d’orchestre. Je lui laisse le gros du travail, la guitare me suffit!

Y aura-t-il un nouvel album de Gilles Grethen en 2023?

Non, je ne crois pas, mais il y aura sûrement un tout nouveau projet, avec un big band. Je suis insatiable!

Gilles Grethen Quartet & Strings
ArcA – Bertrange.
Samedi à 20 h.