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Les bassines en France : « accaparement » de l’eau ou « accélérateur » de transition ?

Sainte-Soline, ce samedi. (photo AFP)

Les projets de réserve d’eau pour l’irrigation agricole, comme celui de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), théâtre samedi de nouveaux affrontements violents, cristallisent les tensions autour du partage de la ressource face à la menace de sécheresses récurrentes.

« Assurance-récolte » face au changement climatique pour leurs partisans, elles représentent au contraire un « accaparement » de l’eau, « bien commun », par l’agro-industrie, pour leurs détracteurs.

Un principe de « substitution »
Ces réserves, surnommées « bassines » par leurs adversaires, stockent en plein air l’eau puisée dans les nappes superficielles en hiver, lorsque la ressource est plus abondante, pour irriguer en été.

Dans les Deux-Sèvres, ces vastes excavations, au fond recouvert d’une bâche géotextile, peuvent contenir jusqu’à 650.000 mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de 260 piscines olympiques.

D’après le groupement de 450 irrigants qui veut déployer 16 retenues dans ce département et ceux voisins avec le soutien de l’État – financeur de 70% de ce projet estimé à 70 millions d’euros -, ce système permettrait, en été, de « baisser de 70% » les prélèvements dans le milieu environnant.

Quel impact environnemental ?
Dans les Deux-Sèvres, le pompage est limité de novembre à mars et les volumes définis et contrôlés chaque année, souligne la préfecture.

Selon l’unique rapport scientifique disponible, publié par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le projet pourrait, par rapport à 2000-2011, augmenter « de 5% à 6% » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1% l’hiver.

Mais cette modélisation n’intègre ni l’effet du changement climatique ni le risque de sécheresses récurrentes, précise le BRGM, dont les opposants critiquent la méthodologie.

La part perdue par évaporation – « 3 à 4% » pour les porteurs du projet – pourrait être plus « conséquente » et l’eau « peut y subir des dégradations », alerte l’hydroclimatologue Florence Habets.

En outre, des associations environnementales dénoncent des seuils de pompage trop bas l’hiver pour assurer un rechargement efficace des nappes.

Selon l’hydrogéologue Alain Dupuy, les réserves seules « ne suffiront pas » à rééquilibrer le milieu mais dans ce territoire très spécifique du Marais poitevin, « où nappes et rivières sont interconnectées », « prendre l’eau en abondance l’hiver et interdire tout prélèvement dans le milieu l’été devrait bénéficier aux zones humides ».

L’enjeu des évolutions agricoles

Les détracteurs des « bassines » dénoncent « une fuite en avant » du modèle agricole productiviste, privilégiant les gros céréaliers et l’exportation de maïs, qui demande beaucoup d’eau l’été.

Les irrigants des Deux-Sèvres rétorquent qu’ils représentent « un modèle d’agriculture familiale et diversifiée » et qu’y renoncer favoriserait à l’inverse les grosses exploitations, mieux équipées et aux assolements – blé, colza, tournesol – moins gourmands en eau. Ils défendent « un accélérateur de transition » dans un territoire où la surface de maïs irrigué a déjà été divisée par trois depuis les années 2000.

Un protocole, approuvé après concertation avec des associations environnementales et l’État, conditionne l’accès à l’eau à des changements de pratiques individuels qui en s’additionnant permettront d’atteindre des objectifs collectifs: réduire de moitié l’usage des pesticides, planter une centaine de kilomètres de haies et basculer vers l’agroécologie.

En cas de manquement, l’exploitant peut perdre ses volumes d’eau.

Mais ces promesses ne sont « pas à la hauteur », déplorent des associations qui se sont retirées du protocole, fautes d’avancées. La préfecture promet une première évaluation cet été de la baisse des pesticides.

Selon Vincent Bretagnolle, spécialiste d’agroécologie au CNRS, « aucun » des dix agriculteurs utilisant la première retenue déjà construite à Mauzé-sur-le-Mignon, « n’a souscrit de réduction de pesticides », préférant d’autres engagements moins contraignants.

Source d’inégalités ?
Les détracteurs des « bassines » redoutent un déséquilibre accru entre agriculteurs en valorisant le foncier des fermes reliées au détriment de celles trop éloignées ou moins demandeuses en eau comme celles de maraîchage.

Seule une partie des 450 irrigants des Deux-Sèvres pourront puiser dans les réserves en cas de sécheresse. Le reste sera tributaire du niveau d’eau estival, ce qui inquiète certains maraîchers.

Cette « crainte est légitime », dit Alain Dupuy mais les autres irrigants devraient bénéficier des gains estivaux attendus sur les cours d’eau et par ricochet sur leur « nappe d’accompagnement ».

Les répartitions des volumes d’eau sont décidées par l’Établissement public du Marais poitevin, sur la base de ceux utilisés en 2015 avec une priorité non hiérarchisée aux exploitations bio, d’élevage ou de maraîchage.

« Bassinage » du pays ?
D’autres projets existent en dehors des Deux-Sèvres.

En Charente-Maritime, le Conseil d’État a confirmé récemment l’interdiction de remplir cinq +bassines+, construites en 2010 après autorisation préfectorale, en raison de « l’insuffisance » des études d’impact. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a également invalidé six autres projets aux volumes jugés excessifs.

En Vendée, la construction de 25 retenues depuis 2006 « a permis de faire remonter significativement le niveau de la nappe » mais sans empêcher le dépassement fréquent des seuils d’alerte, notait en 2021 l’Agence de l’eau Loire-Bretagne.

Dans la Vienne, un protocole validé à l’automne pour creuser 30 réserves en échange d’un tournant agroécologique reste suspendu à une étude d’impact sur le milieu et le préfet a déjà prévenu qu’il n’y aurait pas assez d’eau pour autant d’ouvrages.

Les opposants, emmenés par le collectif « Bassines non merci », craignent « un ‘bassinage’ général du pays » si ces projets aboutissent.