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Liberty Steel Dudelange : «J’y ai cru jusqu’au bout»

Après 17 ans dans l'usine, Alexandre a donné sa démission il y a quelques jours : «Je n'avais plus le choix». (Photo : julien garroy)

À l’arrêt jusqu’à nouvel ordre, désertée par ses salariés et vidée de ses stocks : l’usine Liberty Steel de Dudelange ressemble désormais à une coquille vide prête à casser.

C’est une atmosphère fantomatique qui flotte sur l’usine Liberty Steel de Dudelange, mise sous cocon jusqu’à fin décembre. Un silence assourdissant, des halls déserts : difficile de croire qu’il y a encore trois ans, ce site tournait à plein régime, s’imposant comme le leader européen du secteur avec une production de 600 000 tonnes d’acier galvanisé. Une vraie fierté pour les 300 salariés.

Malheureusement, le rachat par le groupe Liberty en 2019 a tourné au désastre, comme annoncé par les syndicats, et la faillite de Greensill, principale source de financement du sidérurgiste l’a précipité dans de graves difficultés. À peine 16 000 tonnes ont pu sortir des lignes de production cette année, tandis que clients et fournisseurs ont tourné le dos, ne prenant même plus la peine de répondre au téléphone.

Une situation qui mine les 170 ouvriers restants, persuadés que la fin est proche, après plus de 18 mois d’incertitude : demain, la mort dans l’âme, ils procèderont à la vidange du dernier bain de zinc servant à la galvanisation, sur les six que compte le site. Une consigne de la direction qui craint de ne pas pouvoir régler la facture énergétique de ces bacs – trois petits de 8 tonnes et trois d’environ 45 tonnes – dont le maintien en fonctionnement engloutit 22 000 euros par jour.

Un signal inquiétant, reconnaît Alexandre, posté devant le portail, son casque vissé sur la tête. Après 17 ans de service, il vient de donner sa démission et quittera définitivement l’usine le 1er décembre prochain. Une décision qu’il vit comme un soulagement : «Je me sens libéré, même si j’y ai cru jusqu’au bout, malgré les difficultés», confie ce mécanicien ajusteur de 37 ans, qui a gravi les échelons pour devenir adjoint technique au chef de service mécanique.

«Je ne pars pas de gaieté de cœur. C’est juste qu’après deux ans à mettre ma vie et celle de ma famille entre parenthèses, à ne rien prévoir, à n’avoir plus aucun projet par peur de ne pas toucher de salaire le mois suivant, je n’avais plus le choix», ajoute ce père de deux enfants. «On ne peut pas vivre comme ça.»

Pour lui, tout ça est surtout un énorme gâchis, alors qu’il a connu des heures glorieuses, sous pavillon ArcelorMittal : «À l’époque, une minute de perdu représentait des sommes d’argent folles. Aujourd’hui, on tourne à 3 000 tonnes par mois sur les 46 000 possibles. Tout est vide. On n’a plus rien à l’arrivage, plus rien à la sortie», décrit-il, tandis que les installations se délabrent, par manque d’entretien. À l’image du toit, qui se transforme en passoire dès qu’il pleut.

Après huit départs au sein de son équipe et après avoir lui-même refusé plusieurs propositions d’autres entreprises, Alexandre a fini par accepter un poste chez Industeam à Bettembourg. «Ce sera le même travail mais sur plusieurs sites», indique-t-il. Une perspective qui le rend heureux, lui qui végétait ces derniers mois, «à ne plus vraiment savoir pourquoi se lever le matin», alors que tous les salariés sont payés à ne rien faire depuis près d’un an.

Il ne cache pas que l’impact psychologique a pesé lourd : «Ces deux derniers mois ont été très compliqués, pour nous tous d’ailleurs. J’avais une boule au ventre en venant à l’usine et je parlais sans arrêt du travail, ce qui ne me ressemble pas. C’était le moment de partir», sourit-il.

Des matières premières mises en vente

Démunis, les syndicats OGBL et LCGB ne savent plus quoi faire pour «se débarrasser de Liberty» et en finir avec ce marasme : «C’est devenu ridicule. Les ouvriers sont appelés sur site pour faire semblant», s’agace Stefano Araujo, secrétaire central du syndicat Sidérurgie et mines de l’OGBL, pour qui rester passif en attendant que quelque chose se passe devient intenable.

D’où l’option de la nationalisation comme «solution temporaire» soutenue par le syndicat : «On a une entreprise qui fonctionne à perte, et fait du chantage à l’emploi depuis des mois, réclamant du chômage partiel à l’État pour continuer. Mais continuer quoi? Ils ne sont pas en mesure de faire tourner l’entreprise», tranche-t-il, jugeant que l’objectif à peine voilé de Liberty est de «sauver son groupe avec de l’argent public.»

Selon nos estimations, entre les charges et la masse salariale, Liberty Steel débourse environ 2,5 millions d’euros par mois pour garder le site dudelangeois sous sa coupe. Avec quelles liquidités? C’est la grande question, sachant que même l’auditeur censé vérifier les comptes de la holding de Sanjeev Gupta, GFG Alliance, dans le cadre d’une enquête, a fini par jeter l’éponge fin septembre «par manque d’information».

«Ils raclent désormais les fonds de tiroir», rebondit Robert Fornieri, secrétaire général adjoint au LCGB. «Ils essaient de vendre les matières premières, comme le stock de zinc qui a une valeur sur le marché, et aussi les quotas de CO2 dont dispose l’usine», déplore-t-il. «Comme si un boulanger vendait sa farine», ironise Stefano Araujo, tous deux émettant de sérieux doutes quant à une reprise potentielle de l’activité dans ces conditions.

Ce qui a poussé la délégation à demander une réunion urgente avec la direction du site, afin de connaître l’état actuel des liquidités. «On veut savoir à quoi vont servir ces derniers deniers et s’ils vont rester ici», poursuit Robert Fornieri, alors que, face aux questions des employés sur la vente du zinc en réserve, la direction a rétorqué que c’était «pour payer les salaires».

«Ça vire à la torture morale», estime la délégation, confrontée chaque jour davantage à la détresse psychologique des salariés : «Depuis le rachat, on n’a jamais plus travaillé sereinement», pointe ce délégué, précisant que l’ouverture d’une cellule de soutien a été sollicitée, sans succès.

Prochain épisode dans ce feuilleton qui n’en finit plus : une nouvelle entrevue avec les ministres de l’Économie et du Travail, Franz Fayot et Georges Engel, fixée au 24 octobre, pour faire le point. En attendant, les salariés doivent retenir leur souffle pour quatre nouvelles semaines, en espérant qu’un versement soit bien effectué sur leur compte en banque.