Luxembourg
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Luc Frieden : «Dans un gouvernement futur, je veux être un rassembleur !»

Il a un discours bien rodé et ne dévie pas de sa trajectoire. La tête de liste surprise des chrétiens-sociaux espère maintenant que les gens vont apprendre à le connaître. Luc Frieden veut ratisser large.

Vous dites observer un blocage au sein du gouvernement qui n’aurait plus de vue commune sur l’avenir du pays. Ce serait donc l’histoire qui se répète puisqu’en 2012, le CSV et le LSAP affichaient également des divergences sur les économies à réaliser pour sauver les finances publiques…

Luc Frieden : La situation est toujours un peu différente. Je crois qu’il y a des oppositions fondamentales dans ce gouvernement sur la fiscalité, les finances publiques et le logement. Le gouvernement qui s’est constitué en 2013 avait de l’énergie, mais après dix ans, il n’y a plus de vue commune sur l’avenir du pays et c’est très grave pour son évolution face aux problèmes majeurs que sont aujourd’hui ceux de l’Europe et du Luxembourg.

Parmi les thèmes prioritaires que le futur gouvernement devra retenir, vous placez la fiscalité en tête de liste. Pourquoi ?

J’observe qu’au cours de ces dix dernières années, les impôts ont substantiellement augmenté, notamment pour les classes moyennes. Le barème de l’impôt n’a pas été adapté à l’inflation, contrairement à ce que nous avions fait lorsque j’étais au gouvernement. La TVA logement a été augmentée aussi, comme les intérêts à la source, et donc les gens paient aujourd’hui beaucoup plus d’impôts qu’il y a quelques années.

Si l’on veut préserver la cohésion sociale, il faut s’occuper des problèmes dits des classes moyennes, et éviter que la différence devienne plus grande entre ceux du bas et ceux du haut de l’échelle sociale. Les uns, au sein du gouvernement, veulent baisser les impôts, les autres les augmenter ou les changer, donc il n’y a pas de vue commune.

J’observe les mêmes oppositions en ce qui concerne les récents projets de loi concernant le logement où les vues ne sont pas davantage alignées, ce qui conduit à plus de problèmes dans un secteur où les prix ont augmenté de plus de 50 % ces six dernières années. Tout cela montre bien que ce gouvernement est à bout de souffle.

La fiscalité est pour beaucoup un héritage laissé par les ministres des Finances successifs issus des rangs du CSV, comme vous-même. La fiscalité du mariage n’est plus au goût du jour ?

Il faut revoir un certain nombre d’aspects de la fiscalité. Nous allons élaborer un programme électoral pour la période 2023-2028 en tenant compte de l’évolution sociétale et faire des propositions concrètes à cet égard.

Comme tête de liste, je souhaite que la charge fiscale des personnes physiques et des sociétés soit abaissée car le Luxembourg a perdu de son attractivité économique et sociale au cours des dernières années. Il faut réagir à cela et la réaction manque.

La sélectivité sociale, vous en parlez beaucoup. Le tout gratuit, c’est une notion qui vous agace ?

Il faut des finances publiques saines et une politique sociale forte qui serve essentiellement à résoudre les problèmes des gens, et donc une certaine sélectivité sociale dans un certain nombre de domaines me semble nécessaire. Le tout gratuit ne fait pas partie d’une politique de sélectivité sociale.

En tant qu’ex-président de la Chambre de commerce, vous savez que le problème du manque de main-d’œuvre inquiète le patronat. Quelles solutions préconisez-vous ?

Encore une fois, nous avons besoin d’une croissance durable et inclusive. Sans croissance, notre système ne peut pas fonctionner. Nous avons besoin de main-d’œuvre dans tous les secteurs et, là encore, il faut voir tous les aspects de fiscalité, de sécurité sociale, de cadre approprié en matière de télétravail et assurer une work-life balance qui tienne compte de l’évolution des habitudes des gens.

Dans cet ensemble-là, des solutions doivent être trouvées. J’ajouterais que nous devons accélérer et intensifier la formation des gens. J’observe que les budgets de l’État et des entreprises ont diminué en matière de formation professionnelle tout au long de la vie. Nous devons faire un effort majeur dans ce domaine. La pénurie de main-d’œuvre doit être une priorité, au sein du dialogue social également.

Le logement, votre autre priorité affichée, est devenu un problème qui déborde des frontières puisqu’il entraîne une forte augmentation des prix dans les régions limitrophes et le départ de nombreux Luxembourgeois. Comment l’abordez-vous ?

Je crois qu’il faut nécessairement toujours réfléchir dans le contexte de la Grande Région parce que nous sommes européens et parce que nous dépendons aussi de ceux qui vivent autour de nous et avec lesquels nous travaillons tous les jours. Mais, à l’intérieur du pays, nous devons aussi prendre des mesures pour soutenir le développement de logements à prix raisonnable et cela doit se faire de façon intensive, en construisant plus, plus haut, plus vite, et la fiscalité est un des instruments pour y aboutir. Il y a des solutions possibles, mais elles prennent trop de temps et les prix ont explosé ces dernières années. C’est une situation intenable. C’est, bien sûr, une autre priorité absolue du prochain gouvernement.

Michel Wolter, quand il présidait encore le CSV, disait qu’il n’existe pas de « recette miracle », pour aucun gouvernement. Que ferez-vous de mieux ?

La situation s’est aggravée parce que les mesures qui ont été prises ces dernières années ont eu un effet contraire : la TVA logement a augmenté, le crédit d’impôt sur les actes notariaux (Bëllegen Akt) a été réformé. Le CSV a déjà émis des propositions dans le cadre du débat sur l’état de la Nation qui seront encore complétées dans notre programme électoral.

Rien ne peut se faire du jour au lendemain, il n’y a pas de recette miracle, effectivement, mais la politique actuelle n’est pas cohérente. Le gouvernement est en train de le constater parce que les dernières mesures annoncées ont eu un effet extrêmement négatif sur l’évolution du marché et, à un moment où nous aurions besoin de plus de logements, le nombre de nouveaux projets est en baisse.

Le Luxembourg ne peut pas se limiter aux pays européens en termes d’investissements

Le gouvernement se propose d’acquérir des immeubles en état d’achèvement pour aider les promoteurs. Est-ce une bonne idée ?

C’est l’une des pistes, mais elle ne va pas résoudre fondamentalement le problème.

Aux yeux de nombreux observateurs, vous passez toujours pour « l’homme des banques ». C’est toujours vrai ?

Je crois d’abord que les gens qui écrivent sur moi ne me connaissent pas. Ensuite, je pense que j’ai bien évidemment évolué en ayant été dix ans à l’extérieur, tant à l’étranger qu’en dehors de la politique. Avoir de l’expérience dans le secteur privé et ne pas s’occuper tous les jours du microcosme politique fait évoluer chaque personne, je ne fais pas exception à la règle.

Par ailleurs, je crois fortement en une économie qui fonctionne bien et je ne l’oppose pas au social. Je suis membre du CSV parce que j’ai toujours estimé qu’il était le grand parti qui sait combiner l’économie et le social alors que beaucoup d’autres partis ne s’occupent que de l’un ou de l’autre volet. Aujourd’hui, l’économie est différente de celle que j’ai connue au début de ma carrière puisqu’elle doit davantage tenir compte de l’ensemble des parties prenantes, et c’est pour cela que je parle d’une croissance durable et inclusive.

La durabilité et l’environnement écologique et sociétal jouent aujourd’hui un plus grand rôle et cela marque aussi mon évolution personnelle. J’ai tenu à ce que, à la Chambre de commerce, nous élaborions des principes sur la durabilité des entreprises et je crois que c’est une évolution positive. Elle ne doit pas, cependant, conduire à un frein du développement économique, et cela nous différencie d’autres partis politiques, mais à un développement raisonnable dans une perspective de croissance durable.

Vous n’évoquez pas souvent le changement climatique…

Le changement climatique est une évidence, donc il nous faut un plan Marshall pour la transition énergétique, pour les énergies alternatives. Il faut avancer beaucoup plus vite qu’on ne le fait actuellement.

Vous avez déclaré vouloir être au milieu des gens, les rencontrer et les connaître. En tant que ministre, étiez-vous dans une bulle?

Quand on aspire à être tête de liste d’un grand parti du centre, à diriger le pays, il faut bien comprendre les soucis de tous les groupes socio-professionnels. Sans aucun doute, il y a encore un certain nombre de groupes que je connais moins et dont je dois mieux comprendre les soucis.

C’est aussi cela qui me fascine dans cette mission qui sera la mienne, c’est de rencontrer des gens en dehors des secteurs que je connais bien. Il est vrai que ces dernières années, et notamment à travers la Chambre de commerce, j’ai davantage fait connaissance avec des gens du commerce, de l’industrie, des services de toutes sortes, mais je réalise bien que je dois encore rencontrer beaucoup de personnes.

Ceci dans le seul but de connaître leurs problèmes, d’essayer d’y apporter des solutions avec ma liste, et aussi de pouvoir rassembler dans un souci profond de cohésion sociale. Dans un gouvernement futur, je veux être un rassembleur!

Regrettez-vous vos expériences avec les investisseurs du Qatar?

Nous devons toujours être ouverts aux investisseurs étrangers, car nous avons besoin d’eux. Je crois qu’il faut travailler avec l’ensemble des pays, y compris ceux dont nous ne partageons pas le système politique et qui ne sont pas des démocraties parfaites. C’est pour cela, aussi, que j’ai soutenu le gouvernement actuel quand il a développé le projet de l’Exposition universelle à Dubai, ou quand les ministres du gouvernement actuel ont visité des pays comme la Chine ou le Vietnam, qui n’ont pas de système multipartite.

Je crois que l’ouverture vers l’extérieur reste une clé du succès du Luxembourg et je suis donc en faveur d’une politique économique ouverte, qui tienne compte de la réalité de notre pays. Sans abandonner nos propres principes que nous appliquons chez nous, sans abandonner les discussions sur les droits de l’homme avec ces pays. Le Luxembourg ne peut pas se limiter aux pays européens en termes d’investissements.

Vous savez que vos adversaires politiques vous reprochent ouvertement votre manque d’empathie. Que leur répondez-vous ?

Je ne peux pas rencontrer chacun et chacune des résidents de notre pays, mais je veux être jugé sur ce que je propose. Ce n’est ni un concours de beauté ni de sympathie, c’est un concours démocratique pour préparer l’avenir du pays et je crois que c’est ce qui m’importe le plus.

Pour le reste, je suis heureux de rencontrer les Luxembourgeois, de discuter avec eux et ils feront mieux connaissance avec moi au cours des prochains mois.