Luxembourg
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Luxembourg : «Il faut des professionnels qui se mettent à l’écoute des jeunes, sans programme à suivre»

René Schmit a été psychologue et directeur des Maisons d’enfants de l’État, désormais Institut étatique d’aide à l’enfance et à la jeunesse. (Photo : alain rischard)

En octobre dernier, l’ancien directeur des Maisons d’enfants de l’État a rédigé une lettre ouverte qui met en avant des méthodes d’intervention adaptées à la jeunesse en difficulté.

À l’époque où il y officiait, d’abord en tant que psychologue, puis comme directeur, l’Institut étatique d’aide à l’enfance et à la jeunesse avait pour nom d’usage les Maisons d’enfants de l’État. Depuis sa retraite, en 2017, René Schmit a été témoin de l’évolution de cette institution chargée de plusieurs missions auprès de la jeunesse, notamment d’accompagnement social et d’hébergement.

En six ans, il a également observé le Grand-Duché se doter d’une unité fermée pour mineurs à Dreiborn (Unisec), sur le site du Centre socio-éducatif de l’État, et d’un droit pénal pour mineurs, qui marque ainsi la séparation avec le droit de la protection. Ces décisions, nourries par plusieurs débats, se sont accompagnées d’une montée de la violence au sein de l’Unisec, notamment durant les étés 2021 et 2022.

Dans une lettre ouverte, René Schmit revient sur ce contexte, complexe tant pour la jeunesse en difficulté que pour les professionnels, ainsi que sur la nécessité de prendre en considération le mal-être, souvent dissimulé, chez les jeunes.

Quels ont été les éléments qui vous ont incité à rédiger cette lettre ouverte?  

René Schmit : Il y a eu, à l’été 2022, plusieurs situations difficiles à l’unité de sécurité (Unisec), avec des interventions de la police. Ce contexte a amené des discussions à la Chambre des députés et j’ai été intrigué par le manque de débat fondamental autour de ces questions. D’ailleurs, je commence ma lettre par le fait que, oui il faut une loi, du personnel qualifié en nombre suffisant, et des bâtiments adéquats, mais tout ça ne suffit pas. J’ai une question qui m’habite depuis très longtemps : comment arriver à entrer en contact avec ces jeunes qui ne se laissent pas atteindre et qui mettent les professionnels au défi? Car il faudra tout de même réussir un jour à les rencontrer, non pas en considérant leurs conduites violentes et antisociales comme des menaces relatives à l’ordre public, mais comme des menaces qui pèsent au plus profond de leur être et de leur subjectivité.

Le problème réside ici. Ces jeunes n’arrivent pas à trouver leur identité, donc ils ne leur reste plus qu’à faire éclater le système. Dans la psychologie allemande, on appelle ça le Systemsprenger, soit des personnes qui cherchent une raison d’être à travers cette « mise en cause » du système. L’ensemble de ces réflexions m’ont donc motivé à proposer une contribution à ce débat.

Dans cette lettre, vous prônez très rapidement l’idée d’un endroit où les jeunes peuvent « déposer leurs valises » et « éprouver le lieu ». En quoi ces deux conditions sont-elles nécessaires pour aider les jeunes qui rencontrent des difficultés?  

Ces jeunes sont souvent baladés d’une institution à une autre. Quand une de ces structures arrive à ses limites, ils sont renvoyés autre part. Il ne s’agit pas d’une critique du travail des professionnels, mais d’une interrogation quant au fonctionnement des structures dans leur ensemble. Il manque un lieu fixe, où les jeunes peuvent rester dans la durée, rencontrer des gens et bénéficier de l’aide dont ils auront besoin. Si on les exclut systématiquement, ils vont vivre ce rejet de plus en plus fortement et auront davantage de difficultés à créer des liens. Ce sont souvent les personnes qui ont connu de telles expériences depuis qu’elles sont très jeunes qui sont le plus en difficulté.

Il est donc important que les jeunes aient un lieu où ils puissent déposer leurs valises, c’est-à-dire rester! Là où on est chez soi, c’est là où on peut rester, même si on fait une gaffe. Si je fais quelque chose d’inacceptable, je dois en subir les conséquences, mais ça ne veut pas dire l’enferment total. Cela semble facile à dire, car certains jeunes se sont montrés particulièrement violents et il s’agit d’un travail complexe pour les professionnels. C’est pour cela qu’il faut des articulations de travail et des collaborations avec les professionnels, les institutions du secteur et le monde politique, soit un travail de transversalité.

Dans ces lieux, les professionnels peuvent entretenir un lien avec la jeunesse grâce à un outil que vous appelez « l’écoute clinique ». En quoi est-ce que cela consiste? 

D’un côté, il doit y avoir un travail éducatif, c’est-à-dire une approche par rapport au réel et au respect des règles de la société. De l’autre, ce que j’appelle « une écoute clinique », qui se base sur une recherche du sens de la vie. Actuellement, la psychothérapie est souvent décidée car on pense que cela fera du bien aux jeunes. À mes yeux, elle peut se faire uniquement s’il y a une demande réelle et un souhait de clarifier sa souffrance. Or, ces jeunes n’ont pas de requête, du moins apparente. Il y a tout de même un désir caché, ce que je nomme aussi un « appel ».

On ne peut donc pas régler cela avec des diagnostics commandés par des autorités judiciaires. Ce qu’il faut, ce sont des professionnels qui se mettent réellement à l’écoute des jeunes, sans programme à suivre. Cependant, on peut le faire à condition d’assumer sa propre subjectivité, son propre désir, ce qui nous habite. Récemment, j’ai vu le film Will Hunting. Dans ce récit, le jeune a pu s’en sortir à partir du moment où il a rencontré un psychiatre qui ne fonctionnait pas avec des schémas préétablis. Il se mettait juste à la disposition du jeune. Voilà mon instrument de travail.

Dans la psychologie allemande, on appelle ça le Systemsprenger, soit des personnes qui cherchent une raison d’être à travers cette « mise en cause » du système

Vous revenez également sur l’intériorisation de la loi qui permet aux enfants et aux jeunes adultes de se conférer une identité…

Dans notre société de plus en plus individualiste, où chacun cherche son plaisir immédiat, il y a une compréhension du droit qui a changé, dans le sens où la loi, c’est ce qui me profite. On le voit d’ailleurs chez les adultes, qui donnent une fausse image en essayant de contourner la loi quand elle ne leur profite pas. C’est la tendance dans une société néolibérale. La dimension collective du droit et la loi comme condition d’organisation de la société sont donc soumises à une mise en question. Par ailleurs, si on met trop l’accent sur la répression, c’est l’échec garanti, car les jeunes risquent de l’éprouver comme un rejet, ce qui les confortera dans leur volonté de contrer le système.

Avec l’introduction du droit pénal pour mineurs, ils sont désormais des sujets, ce qui est réellement positif. Ils peuvent avoir un avocat, ils ont accès au dossier, etc. Mais une loi ne permet pas à un jeune de se raisonner et d’arriver à changer. Il est donc nécessaire d’effectuer un travail psychique, au-delà de l’application de cette loi, afin qu’il puisse intérioriser les règles édictées. Par ailleurs, pour un enfant, il est nécessaire de dépasser le stade où il est l’enfant-roi. Pour les parents, il est parfois difficile de dire non et de mettre des limites, mais une telle attitude ne permet pas à un enfant de grandir en société.

Avez-vous fait part de votre lettre à des institutions et ministères relatifs à l’enfance et espérez-vous que le sujet intègre les différentes campagnes politiques de cette année?  

J’ai envoyé la lettre à la presse, à des associations professionnelles et aux ministères de la Justice et de l’Éducation. Au Parlement également, alors que deux commissions travaillent sur des projets de réformes. J’ai eu des réponses de la part de quelques institutions, qui ont fait circuler la lettre. Ça a suscité un intérêt et des gens m’ont écrit pour me remercier. J’ai juste un peu l’impression qu’avec ce sujet-là, on ne fait pas de politique actuellement. Ce thème a donc peu de chance d’apparaître dans les élections. Peut-être que je me trompe?