Luxembourg
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Médecines alternatives : leurs faux espoirs face au cancer

Lucienne Thommes (à g.), la directrice de la Fondation Cancer, et Martine Risch, une psychologue.

Méthodes, coût, emprise… La Fondation Cancer met en lumière les dérives et le manque d’encadrement des médecines alternatives au Luxembourg.

Face à l’épreuve d’une maladie telle que le cancer, certaines personnes sont tentées de se tourner vers d’autres traitements que ceux proposés par la médecine conventionnelle. Si les médecines alternatives ont la faculté d’apporter un certain bien-être aux malades, elles posent également de nombreuses questions.

Lucienne Thommes, la directrice de la Fondation Cancer, et Martine Risch, une psychologue, nous décrivent le fonctionnement de ces pratiques et alertent sur leurs dérives qui peuvent coûter la vie.

Quelles sont les différences entre la médecine conventionnelle et les médecines alternatives?

Lucienne Thommes : Nous faisons la différence entre la médecine conventionnelle, la médecine complémentaire et la médecine alternative. La médecine conventionnelle est celle que l’on retrouve, par exemple, à l’hôpital et qui est basée sur des preuves scientifiques, sur des études qui montrent la validité des traitements.

La médecine complémentaire fait en sorte d’améliorer la qualité de vie du patient. On peut citer comme exemples le yoga, la relaxation ou encore la méditation. Ces pratiques vont dans le sens du bien-être du patient, mais elles n’apportent aucun effet curatif sur le cancer.

Martine Risch : Enfin, nous trouvons les médecines alternatives. Avec les magnétiseurs, le reiki, les coupeurs de feu et des personnes se disant guérisseuses, celles-ci vont chercher dans le domaine de l’ésotérisme. Si le patient poursuit son traitement conventionnel et que ces pratiques n’interfèrent pas avec celui-ci, il n’y a pas de problème.

Mais il est toujours important d’en parler à son médecin. Ce dernier peut exclure un risque ou un effet secondaire. Par exemple, certaines plantes ou vitamines peuvent provoquer des perturbations négatives sur le traitement. La vitamine C peut, lorsqu’on a un cancer des poumons, rendre la chimiothérapie moins efficace. Le millepertuis, un antidépresseur à base de plantes, est dangereux si on est en radiothérapie, car il peut provoquer des brûlures.

Elles donnent de faux espoirs et minent financièrement

L. T. : J’insiste sur le fait que la Fondation Cancer ne cautionne pas le fait de profiter du mal-être des patients en utilisant l’effet placébo de ces techniques alternatives. Elles donnent de faux espoirs et minent financièrement les personnes. Notre position est la suivante : cela peut vous coûter beaucoup d’argent, mais si cela ne vous fait pas de mal, pourquoi pas.

Cela commence à être dangereux si le patient décide de passer exclusivement à ce genre de médecines alternatives. Ces traitements ne sont basés sur aucune étude scientifique, ils ne montrent absolument aucun effet sur la maladie. Les personnes qui stoppent un traitement conventionnel décèdent en moyenne dix ans plus tôt. Plusieurs études sont sorties sur ce sujet.

Par qui sont pratiquées les médecines alternatives ? Sont-elles encadrées ?

L. T. : N’importe qui peut proposer de la médecine alternative, sans aucune formation médicale. Le souci, c’est que ces gens ne disent pas qu’ils travaillent dans le milieu de la santé. Le ministère ou la direction de la Santé ont le pouvoir d’intervenir uniquement si quelqu’un indique pratiquer la médecine. Il est alors possible de dénoncer un exercice illégal de la médecine. On ne pourra pas dire cela à un guérisseur. Son action a des conséquences graves, mais il ne s’autoproclame jamais médecin.

M. R. : Ces pratiques sont développées au Luxembourg. Il suffit de taper « guérisseur«  ou « magnétiseur«  sur internet et vous en trouvez énormément.

Est-ce que l’on retrouve ces traitements à l’hôpital?

M. R. : Il est conseillé de faire de l’activité physique ou de faire des traitements complémentaires, mais en aucun cas des traitements alternatifs. Certains soins de support sont proposés soit à l’hôpital, soit à la Fondation Cancer. Je peux vous citer la psycho-oncologie, il s’agit de l’accompagnement par un psychologue qui est formé en oncologie. On retrouve également la psycho-esthétique où une esthéticienne formée en oncologie prend en charge les effets indésirables des traitements, comme les problèmes de peau. Et puis, je peux ajouter tout ce qui est yoga, méditation…

Quel est votre discours lorsqu’un patient vous annonce s’intéresser aux médecines alternatives?

M. R. : Il s’agit souvent de personnes qui ne sont pas bien prises en charge, qui ont l’impression que leur médecin n’est pas à l’écoute. Je m’informe sur le traitement proposé, et puis, je motive les personnes à en parler à leur médecin. Je tente de favoriser la communication entre la personne et l’équipe médicale pour établir une sorte de surveillance et pour être certaine qu’elle adhère au traitement conventionnel.

Quel est le cheminement vers l’abandon d’un traitement classique?

M. R. : Cela est plus fréquent chez les personnes ayant vécu une récidive. Elles ont déjà traversé des traitements pour un premier diagnostic de cancer, des traitements forts comme la chimiothérapie, ont subi beaucoup d’effets secondaires. Lorsqu’il y a une rechute, vous vous dites que vous ne voulez plus vivre ça, que c’était trop dur et vous vous tournez peut-être vers des méthodes plus douces.

L. T. : On peut également parler des patients qui arrivent en fin de traitement. Ils ont suivi un traitement classique et le médecin leur explique qu’il n’y a plus de médicaments à proposer. Tout le monde comprend ce que cela signifie. Les gens tentent de trouver une solution pour pouvoir vivre plus longtemps et s’accrochent à toutes les petites lueurs d’espoir pour pouvoir continuer à vivre.

Ils créent de la peur pour ensuite faire espérer une solution

Quelles sont les méthodes des guérisseurs pour attirer les patients?

M. R. : Des personnes que j’ai suivies m’ont décrit que lors de leur premier contact avec un guérisseur, celui-ci joue avec la peur. « Vous êtes un cas désespéré«  « Je ne sais pas si je peux encore faire quelque chose sont des phrases que des patientes m’ont rapportées. Ils créent de la peur pour ensuite faire espérer une solution et faire naître de la confiance. C’est un véritable jeu avec quelqu’un de vulnérable, fragilisé par la maladie.

Quelles vont être les conséquences pour les patients?

L. T. : D’un point de vue santé, les gens meurent plus rapidement. D’un point de vue financier, les patients qui suivent un traitement alternatif dépensent des sommes allant jusqu’à 10 000 ou 20 000 euros. Imaginez qu’un membre de votre famille vous explique qu’il s’agit de sa dernière chance. Toute la famille va mettre de l’argent dans la cagnotte pour que cette personne puisse suivre ce traitement, aussi farfelu qu’il soit. Financièrement, cela ne touche pas que le patient lui-même, mais bien souvent l’ensemble de ses proches. Vous n’allez pas refuser de l’argent à votre fils ou à votre sœur… Je trouve ça infect.

Que faire lorsque l’on voit un de ses proches glisser vers l’abandon de son traitement?

M. R. : C’est difficile. Si la personne pense que c’est sa dernière chance, elle n’abandonnera pas. C’est important qu’il y ait un réseau, des proches autour du malade. Les personnes isolées tomberont plus facilement dans des médecines alternatives. C’est déjà bien s’il y a un soutien familial. Si la personne a fait son choix, on peut toujours essayer de la raisonner, de la convaincre du contraire, mais on ne peut rien faire pour la forcer.

Le gouvernement peut-il faire quelque chose pour encadrer les médecines alternatives?

L. T. : Si l’on sait qu’il y a exercice illégal de la médecine, on peut faire une plainte ou mettre au courant la direction de la Santé, qui va alors faire une enquête. Mais un guérisseur ne se proclame pas médecin, on ne peut donc rien lui reprocher sur ce plan. En général, ils sont assez futés pour ne pas être attaqués. Il est important de sensibiliser les gens. Nos bénévoles qui vont dans les hôpitaux font attention à bien transmettre la différence entre les trois types de médecine. Ils sensibilisent dans la bonne direction. C’est une question de savoir.

Un phénomène en expansion en France

En France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alertait en novembre 2022 sur l’augmentation des dérives liées à certaines médecines alternatives.

Dans son dernier rapport, cet organisme public chargé d’analyser le phénomène sectaire indique que la France fait face à «un accroissement inédit des agissements à caractère sectaire», avec une hausse «significative» (33 %) des saisines en 2020 et 2021. Une sur cinq concerne la santé et notamment les «pratiques de soins non conventionnelles», une expression qui désigne les médecines alternatives (naturopathie, reiki, sophrologie, etc.).

Si elles n’ont pas toutes un caractère sectaire, leur place grandissante (40 % des Français y ont recours) et leur faible régulation poussent la Miviludes à les considérer comme un «risque important en matière de santé publique».