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Nucléaire déployé au Bélarus : la Russie laisse planer des doutes sur ses intentions

"Nous n'avons aucune indication qu'il (Poutine) ait tenu son engagement ou qu'aucune arme nucléaire n'ait été transférée", a affirmé John Kirby. (photo AFP)

En annonçant le déploiement d’armes nucléaires au Bélarus, son allié face à l’Ukraine, la Russie reproduit un modèle utilisé par les Américains en Europe, mais laisse planer de nombreux doutes sur la réalité de ses intentions.

Comme à plusieurs reprises depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, Vladimir Poutine brandit un peu plus haut la menace nucléaire pour montrer à son opinion publique sa détermination et faire pression sur les alliés occidentaux de l’Ukraine.

Et comme à chaque fois, chancelleries et experts occidentaux relativisent sa diplomatie nucléaire.

Comme Washington 

Samedi, le président russe a annoncé le déploiement au Bélarus – frontalier de l’Ukraine, de la Pologne et de la Lituanie – d’armes nucléaires dites « tactiques », donc de courte portée. Il a depuis balayé les condamnations de l’Occident, relevant que les États-Unis avaient depuis longtemps déployé des armes nucléaires en Europe.

Un argument factuellement correct. Washington déploie des bombes en Europe depuis des décennies et plusieurs pays de l’OTAN disposent de missiles capables de porter des charges conventionnelles ou nucléaires.

« On savait déjà que la Russie progressait vers l’adoption d’un accord type OTAN avec le Bélarus (…). Il n’y a rien de nouveau », écrit sur son compte Twitter le Dr Jeffrey Lewis, expert américain en non-prolifération nucléaire.

Aujourd’hui, Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas et Turquie disposent d’ogives américaines.

Vecteurs et entrepôt 

Comme toujours lors d’annonces de ce type, les détails sont rares et les questions innombrables.

Les vecteurs d’abord : Poutine a indiqué que dix avions biélorusses étaient « prêts à utiliser ce type d’arme », précisant avoir aussi transféré des missiles Iskander capables d’emporter une ogive nucléaire. Mais il a aussi fait état d’un « entrepôt spécial » pour y stocker des armes nucléaires au 1er juillet.

« Pour l’instant, il n’y a aucune trace de cette construction et il parait assez peu probable que ce soit terminé en trois mois », explique Marc Finaud, vice-président des Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN). « On peut faire confiance à tous les satellites espions du monde pour scanner le territoire biélorusse » et faire la part des choses entre annonces et réalités, ajoute-t-il.

Pavel Podvig, un expert russe indépendant, juge même « très improbable – de mon point de vue impossible – que de réelles armes nucléaires soient déplacées au Bélarus ».

Contradiction

Comme souvent, Poutine manie la menace nucléaire sans pour autant changer de doctrine. Et le fait qu’il l’utilise fréquemment entre en contradiction avec d’autres déclarations publiques qui rappellent le tabou de l’arme suprême.

En janvier 2022, deux mois avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie avait signé avec les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU une déclaration rappelant qu' »une guerre nucléaire ne pouvait être gagnée ».

La situation géopolitique mondiale a changé d’ère depuis. Mais Poutine a rappelé une position semblable il y a quelques jours avec son allié chinois Xi Jinping. « Les parties déclarent à nouveau qu’il ne peut y avoir de vainqueurs dans une guerre nucléaire, et que cette dernière ne doit jamais être déclenchée », ont-ils déclaré conjointement.

Marc Finaud fait valoir par ailleurs que les deux hommes ont aussi rappelé « qu’aucune arme nucléaire ne devait être stationnée dans un pays étranger ». Poutine « viole la propre position constante de la Russie », souligne l’ancien diplomate.

Prolifération 

Comme à chaque saillie verbale de Poutine sur le dossier, les chancelleries occidentales restent mesurées. « Nous n’avons aucune indication qu’il ait tenu son engagement ou qu’aucune arme nucléaire n’ait été transférée », a affirmé John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

« Pour le moment, c’est une annonce. Le risque d’emploi n’est pas immédiat », confirme Marc Finaud, même si chaque hypothèse de transfert d’une ogive nucléaire augmente le risque d’erreur, de piratage ou d’accident.

Mais cette rhétorique russe récurrente « fait aussi augmenter la demande de dissuasion dans les pays de l’OTAN », relève Jeffrey Lewis. « C’est essentiellement pour cela qu’on voit la Suède et la Finlande rechercher la sécurité via l’adhésion à l’OTAN ».

Lundi, dans un communiqué, la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), prix Nobel de la paix en 2017, a rappelé qu’une arme nucléaire « tactique » pouvait atteindre 100 kilotonnes, contre seulement 16 pour celle qui « a détruit Hiroshima et tué 140 000 personnes » en août 1945.