Luxembourg
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[Portrait] Yonas Kinde, les caramels, ça mène à tout

Qu’ont en commun les caramels, la prison, le Luxembourg et les JO-2016? Yonas Kinde! Qui, petit, en Éthiopie, gardait l’argent prévu pour le bus pour acheter des bonbons. Et partait à l’école en courant!

Voilà plus d’une dizaine d’années que Yonas Kinde brille sur toutes les longues courses au Luxembourg. Désormais naturalisé, l’ancien Éthiopien sera l’un des chefs de file du Celtic à l’occasion de la Coupe d’Europe des clubs champions de cross-country, ce week-end à Oropesa del Mar.

Comment passe-t-on du fin fond de l’Éthiopie au Luxembourg? Tout a commencé très jeune, du côté de Gondar, à 750 km de l’actuelle capitale, Addis-Abeba. À l’instar de son illustre ancien compatriote Haile Gebrselassie, lui aussi se rendait à l’école en courant (16 km aller-retour). Sa mère lui avait bien donné de l’argent pour prendre le bus. Seulement, le petit Yonas était gourmand : «Je gardais l’argent pour m’acheter des bonbons», avoue-t-il. Par la suite, il s’achète une petite radio : «J’ai toujours aimé suivre le sport. Surtout l’athlétisme.» Et d’ajouter : «Cette radio a vraiment marqué le départ de ma carrière.»

Une carrière qui va débuter à l’école : «Mon prof m’a demandé pourquoi j’arrivais en sueur et je lui ai expliqué que je venais en courant. Il m’a proposé de représenter ma classe.» Il remporte le 400 m, seule distance proposée. Puis un 3 000 m – ou presque – en représentant cette fois son école. Encouragé par son prof, qui lui donne quelques conseils au niveau de l’alimentation, il défend ensuite victorieusement les couleurs de la région : «On a fait une semaine de camp d’entraînement. On nous a expliqué les bases de la récupération, le stretching. On est rentrés avec la Coupe.» Yonas Kinde se rend compte que son talent peut lui faciliter la vie : «J’ai gagné un 10 km à Bahir Dar et on m’a donné 1 000 biir (NDLR : environ 18 euros). C’était beaucoup d’argent. J’ai acheté du sucre et du café pour ma mère, elle était très impressionnée», se remémore-t-il avec émotion.

Après trois ans d’études de kiné, au cours desquelles il participe à des compétitions universitaires, il déménage dans la capitale. Il trouve un club qui le paie et au sein duquel il travaille comme masseur.

Mais sa vie va basculer quelques années plus tard : «Mon frère était membre d’un parti d’opposition. Je distribuais des tracts et j’ai été arrêté. J’ai passé trois mois en prison. J’ai été interrogé. Frappé. C’était horrible. À ma sortie, les policiers venaient à n’importe quelle heure à la maison pour nous demander si on avait des armes.»

Bref, Yonas Kinde n’était plus en sécurité : «J’avais peur pour ma vie.» Il décide donc de quitter le pays. Rejoint Nairobi en camion avant de s’envoler vers Amsterdam grâce à des passeurs : «J’avais juste un sac à dos.» Il monte dans un train et débarque – du moins le croit-il – en Allemagne. Mais au bout d’une semaine, on lui explique qu’il s’est trompé : «J’ai dit que je trouvais que l’Allemagne, c’était vraiment joli. Et là on m’a dit que j’étais au Luxembourg. J’ai cru qu’on parlait d’une ville en Allemagne!», explique-t-il en rigolant.

Mais au moment de son arrivée, il ne rigolait pas : «On était en février, j’étais en chemise et il faisait très froid. À la gare, je voulais boire quelque chose de chaud, mais on n’acceptait pas les dollars. Une femme m’a vu trembler et m’a offert du café. C’est la première fois que j’en buvais.»

Des Cap-Verdiens, qu’il a d’abord pris pour des Éthiopiens, lui indiquent le foyer Don-Bosco, où Yonas Kinde a pu effectuer des démarches administratives et récupérer des vêtements adaptés : «Dieu merci! C’était vraiment top!» Après un mois, il est transféré à Sanem. Et c’est là qu’il a commencé à courir.

Monsieur Pierre, c’est mon manager, mon ami, mon grand frère. Il a beaucoup fait pour moi

Parfois même un peu trop loin : «Un jour je suis parti faire du jogging et il a commencé à neiger. Je n’avais jamais vu de neige avant. Je voulais faire 10 km et en fait j’ai couru plus de 3 h 30 et je me suis retrouvé en France!» Arrivé à Longuyon, il se fera aider par une femme parlant anglais pour rentrer au Luxembourg en train.

Mais, après cet épisode un peu compliqué, Yonas Kinde va voir le vent tourner : «J’ai commencé à faire des courses au Luxembourg. Dès ma première, sur le semi de Beckerich, je gagne en battant le record du parcours. Et le lendemain, il y avait ma photo dans le journal. C’était la première fois que je voyais ma photo dans le journal.»

C’est également à cette période qu’il tapera dans l’œil de Pierre Gricius, éminent journaliste du Wort spécialisé en athlétisme. Une personne qui aura une immense importance dans sa vie : «Monsieur Pierre, c’est mon manager, mon ami et mon grand frère. C’est une personne très gentille. Qui a fait beaucoup pour moi.»

Et Pierre Gricius de revenir sur cette belle rencontre : «C’était le 1er mai à Beckerich. J’étais dans la voiture de presse. Un gars était en moutain bike pour accompagner les coureurs et dans une montée, Yonas a accéléré et l’a lâché. Il gagne haut la main. À l’arrivée, je suis allé le voir, je lui ai dit que je trouvais son histoire intéressante. Et à partir de là, je me suis un peu occupé de lui. Comme il n’avait pas de voiture, c’est notamment moi qui l’emmenais sur les courses.»

Et c’est surtout lui qui sera à l’origine de sa présence aux JO de Rio : «J’étais dans la forêt quand il m’a appelé pour me demander si je pourrais être intéressé de faire partie d’une équipe de réfugiés pour Rio. Bien sûr, je lui ai répondu oui!» Il s’occupe de toutes les formalités auprès de la FLA et du COSL. Et c’est lui qui l’appelle quelques mois plus tard : «J’étais dans un bus. Il me dit qu’il a une bonne nouvelle pour moi. J’ai crié. Tout le monde se demandait ce qui m’arrivait. Je faisais partie des 10 réfugiés retenus.»

Mais, effectivement, Yonas Kinde était bien du voyage à Rio. Forcément un souvenir mémorable pour celui qui s’est aligné sur le marathon, le tout dernier jour de compétition : «C’était incroyable. J’ai même retrouvé un ami éthiopien qui ne savait pas que j’étais là. Et qui ne savait pas à quoi correspondaient les lettres ROT (NLDR : Refugee Olympic Team).»

Maintenant je ne suis plus champion de la Fédération, mais champion du Luxembourg!

Son rêve est désormais d’aller à Paris sous les couleurs luxembourgeoises. En effet, après deux tentatives malheureuses, Yonas Kinde a décroché sa naturalisation à la fin de l’année 2020 : «C’est beaucoup plus facile pour voyager. Et ce qui a changé, c’est que maintenant, je ne suis plus champion de la Fédération, mais champion du Luxembourg. Et j’ai droit à l’hymne national. La première fois, c’était sur le 10 km à Langsur!»

Mais le chemin vers Paris est loin d’être évident. En effet, Yonas Kinde n’est pas pro. Il a même décidé de reprendre des études et mène actuellement de front une formation pour adultes d’opérateur qualifié en logistique tout en travaillant plusieurs jours par semaine à l’hôpital Robert-Schumann, toujours dans la logistique pour la pharmacie. Et, bien sûr, il doit caser dans son emploi du temps des entraînements. Mais l’homme a déjà traversé tellement de tempêtes et de vents contraires. Qu’il croit en sa bonne étoile : «Je ne vais rien lâcher. Je sais que ce sera compliqué d’aller à Paris, mais je vais tout faire pour y parvenir.»

En bref

Né le 7 mai 1980, Yonas Kinde se distingue en Éthiopie en gagnant plusieurs courses. À la suite d’un court passage en prison pour avoir soutenu un parti politique contre le pouvoir en place, il décide de rejoindre l’Europe. Voulant arriver en Allemagne, il se trompe et débarque au Luxembourg où il passe par plusieurs foyers différents. En parallèle, il recommence à courir et remporte sa première course, le semi de Beckerich, le 1er mai 2012. Le premier d’une très longue liste. En 2016, il participe aux JO de Rio (90e en 2 h 24’08 ») sous les couleurs de l’équipe des réfugiés. Après de multiples titres de champion de la Fédération, il a fêté à Langsur en 2021, son tout premier titre national, après avoir passé avec succès l’examen pour être naturalisé. Il suit actuellement une formation en alternance en logistique. Mais rêve toujours de décrocher son billet pour le marathon de Paris. Même si ça s’annonce très compliqué (minima de 2 h 08’10 » alors que son record personnel est de 2 h 17’12 »).