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Séries : la guerre des doublons

Netflix a annoncé la sortie de Thai Cave Rescue en grande pompe, mardi, à Bangkok, avec la distribution principale de la série. (photo DR)

Du Fyre Festival au sauvetage de la grotte de Tham Luang, les plateformes de streaming se jettent ensemble sur les mêmes récits, quitte à déclencher une curieuse guerre froide.

La nouvelle minisérie évènement de Netflix, disponible dès aujourd’hui, s’intitule Thai Cave Rescue : l’impossible sauvetage, en 2018, d’une équipe de jeunes footballeurs coincés dans la grotte de Tham Luang, en Thaïlande, avait tenu le monde en haleine. Quatre ans plus tard, l’histoire s’est transformée en un puits sans fond pour les créateurs en mal d’inspiration et avides de sensations fortes. Début août, Amazon Prime Video, principal rival de Netflix, avait sorti son adaptation filmique du même fait divers, Thirteen Lives. La version hollywoodienne, signée Ron Howard et dominée par les têtes d’affiche Viggo Mortensen et Colin Farrell, arrivait elle-même moins d’un an après l’excellent documentaire The Rescue (Elizabeth Chai Vasarhelyi et Jimmy Chin, 2021), produit par National Geographic et distribué sur Disney+… et une flopée de déclinaisons de l’histoire vraie, en documentaire ou en fiction, produites en Thaïlande.

Vous vous croyez sauvés ? Le 5 octobre, c’est encore sur Netflix que l’on pourra voir The Trapped Thirteen : How We Survived the Thai Cave, un documentaire qui fait déjà sensation avant même sa mise en ligne puisqu’il mettra en vedette, pour la première fois depuis leur sauvetage, les jeunes rescapés narrant face caméra leur histoire. C’est quoi, au juste… Une «Tham Luang-mania» ? Il y a un peu de cela, et le mérite revient avant tout à l’histoire elle-même, véritable miracle qui risque de fasciner encore longtemps et qui transcende les races, les religions, la logique… et même la science. Mais le sujet en or qui fait des émules est un phénomène observable à l’œil nu depuis quelque temps déjà, pour quiconque aura déjà zappé sur les pages d’accueil des principales plateformes de streaming – phénomène que la journaliste de Time Judy Berman a baptisé «peak redundancy», soit «l’apogée de la redondance».

Sujets racoleurs

Sortis à quatre jours d’intervalle en janvier 2019, Fyre Fraud (Hulu) et Fyre (Netflix) relatent tous deux le fiasco du Fyre Festival, évènement musical frauduleux organisé par l’homme d’affaires Billy McFarland et le rappeur Ja Rule, qui n’aura jamais lieu. À peu de choses près, les deux documentaires ne se distinguent pas vraiment l’un de l’autre. Mais leur succès retentissant fait jurisprudence et lance, consciemment ou non, une guerre des doublons que continuent de se livrer les services de streaming, à l’affût de sujets racoleurs que l’on ne se lassera pas de s’entendre raconter.

Les exemples ne manquent pas : l’affaire Sophie Toscan du Plantier, productrice française tuée en Irlande en 1996, a fait l’objet de deux miniséries documentaires diffusées à l’été 2021, Sophie (Netflix) et Murder at the Cottage (Sky); le procès du sportif-acteur-meurtrier O. J. Simpson avait été porté sur le petit écran en 2016 sous l’angle de la fiction, dans la première saison d’American Crime Story (FX) puis, quelques mois plus tard, dans le documentaire colossal O. J. : Made in America (ESPN)…

On capitalise sur la «street life» et ses dangers quand on raconte l’histoire du Wu-Tang Clan dans la série Wu-Tang : An American Saga (Hulu), pourtant précédée de six mois par l’excellente série documentaire Wu-Tang Clan : Of Mics and Men (Showtime). C’est aussi le portrait complexe de la France des années 1980 que dressent le film Suprêmes (Audrey Estrougo, 2021) et la série Le Monde de demain, attendue en novembre sur ARTE, qui ont en commun de mettre en scène l’avènement du groupe de rap NTM, né au cœur d’une cité prête à craquer. Sans compter les autoproclamés documentaires «définitifs» sur le 11-Septembre, Michael Jackson, R. Kelly ou sur Britney Spears, qui ne se cachent même plus de battre le fer tant qu’il est chaud.

Une guerre infinie ?

Derrière cette guerre des chaînes et des plateformes, outre une question de prestige – qui sera la référence sur tel sujet ? –, il est aussi affaire de gros sous. L’engouement soudain de Netflix pour le sauvetage de Tham Luang n’escamote pas l’existence d’un juteux contrat en arrière-plan, et probablement durement négocié : pour le documentaire, chacun des rescapés de la grotte touchera la coquette somme de 100 000 dollars, selon la presse américaine. Billy McFarland avait accepté la proposition de Hulu d’apparaître dans Fyre Fraud… contre un billet estimé entre 100 000 et 250 000 dollars, là où Netflix avait refusé – à raison, au vu de la pauvre intervention de l’escroc-en-chef du Fyre Festival – de lui lâcher le moindre centime.

Pourra-t-on affirmer, un jour, que la guerre est finie ? Dans l’immédiat, cela semble hors de question. La multiplication des doublons, couplée aux achats tous azimuts, de la part des plateformes, d’œuvres de piètre qualité liées à tel ou tel sujet en vogue, nous amène déjà vers l’inéluctable : l’assimilation d’entités nées pour proposer, chacune, un contenu différent, et qui, au fur et à mesure qu’elles se multiplient, sont de plus en plus semblables. Disney+ assume à fond, avec ses dizaines de séries Disney, Star Wars et Marvel prévues dans les prochaines années.

Et le panorama de la création télé à grande échelle ne trouve plus de juste milieu : les créations indépendantes et originales, que les chaînes de télévision classiques recommencent à soutenir en masse, sont les David des Goliath du streaming (Netflix et maintenant HBO Max sont passés experts en annulations et en suppression de titres de leurs catalogues). Il est cependant vrai qu’au moment où, au cœur de la bataille, les mastodontes de la fantasy, The Lord of the Rings et Game of Thrones, s’affrontent à la régulière avec leurs «spin-off», respectivement The Rings of Power (Amazon Prime Video) et House of the Dragon (HBO), on a du mal à regarder ailleurs.