Luxembourg
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Steve Brickler : «Les douanes étaient déployés sans relâche sur le terrain »

«À l’époque (du covid), les contrôles aux frontières pour gérer les sorties de véhicules se sont déroulés sans véritable base légale», rappelle Steve Brickler.  (photos Tania Feller)

La crise du covid a également mis à rude épreuve les agents de l’administration des Douanes et accises. Le nouveau président de la Douanesgewerkschaft, Steve Brickler, revient sur cet épisode et dresse le portrait d’un métier aux défis multiples.

L’assemblée générale de la Douanesgewerkschaft, organisée jeudi soir, a été l’occasion pour la présidente sortante, Lynn Luciani, et son successeur, Steve Brickler, de «féliciter tous les agents pour leur travail exemplaire lors de ces dernières années». Temps de travail, recrutements, infrastructures : le syndicat des douaniers aborde les prochains défis et dossiers avec confiance et l’assurance de pouvoir compter sur le soutien de leur ministre de tutelle.

Vous avez été élu, jeudi soir, nouveau président de la Douanesgewerkschaft. Quels sont les défis et objectifs que vous vous êtes fixés ?

Steve Brickler : Il s’agira en premier lieu de continuer à avancer sur les dossiers qui sont déjà entamés. La priorité est la loi sur le temps de travail sur laquelle travaille la Chambre des députés. Nous avons pu signer un accord sectoriel avec la ministre des Finances pour pouvoir continuer à travailler dans les règles de l’art. Auparavant, il n’existait aucun texte spécifique applicable à certaines tâches de travail. On était obligé de se baser sur les lois existantes, qui n’étaient pas du tout compatibles avec la large panoplie de missions qui incombent aux douaniers. Ces missions requièrent en partie des heures de travail très spécifiques, notamment lorsque des enquêtes doivent être menées à la suite de constatations de délits ou d’arrestations de personnes qui sont à déférer à la justice. On dépasse ici le cadre fixe des heures de travail. C’est pourquoi nous avons, en tant que syndicat, toujours insisté sur la conclusion d’un accord. D’autre part, il y a la loi sur le télétravail, déposée fin 2022 et dont nous observerons de très près la mise en œuvre, compte tenu du fait que l’application du télétravail dans l’administration était dès le début une de nos revendications.

L’accord sur le temps de travail est-il à considérer comme intermédiaire en attendant la loi ?

L’accord est à considérer comme un outil limité dans le temps, mais qui est d’une grande valeur, car il permet d’une part à l’administration une certaine flexibilité et opérationnalité, et d’autre part, il permet à nos agents de travailler convenablement où d’être compensés de manière adéquate le cas échéant. Auparavant, on se trouvait dans une zone grise, en absence de base légale, où personne ne savait vraiment à quoi s’en tenir. Désormais, il est écrit noir sur blanc quel est le cadre à respecter, offrant aux agents la marge de manœuvre nécessaire pour subvenir à leurs tâches et missions, sans mettre leur bien-être en péril.

Comme énoncé, les missions des douaniers sont très variées. Pouvez-vous dresser les contours du métier ?

Je tiens à profiter de l’occasion pour lever certains préjugés. Les gens voient encore souvent le douanier comme quelqu’un qui n’est posté qu’aux frontières. La réalité du terrain est tout autre. Au fil des années, les missions ont évolué de manière drastique. De nos jours, un très grand domaine d’action concerne l’aéroport de Luxembourg et l’important nombre de marchandises qui transitent via le Cargo Center et le Eurohub Sud. Il nous faut contrôler les marchandises, les colis et les envois postaux, ainsi que les volets administratif et financier avec les taxes qui sont dues. S’y ajoutent des services pour détecter des précurseurs de stupéfiants ou d’armes chimiques. Un autre service s’occupe plus précisément de la traque de drogues et de l’argent liquide, à l’aide notamment de chiens renifleurs, qui peuvent aussi détecter des explosifs. Notre travail consiste aussi à contrôler la sécurité dans les transports publics ainsi que les poids-lourds qui doivent respecter tous les aspects sécuritaires et techniques. Il existe même un scanner mobile pour examiner les camions. Sont également à citer les contrôles liés à l’environnement, le contrôle du droit d’établissement et travail clandestin, l’hygiène dans l’Horeca, les déchets, la pêche, et j’en passe.

Combien pèse le travail administratif ?

On peut bien distinguer les douaniers qui travaillent sur le terrain de ceux qui effectuent un travail administratif. Il existe ainsi un important volet informatique pour être en conformité avec les exigences émanant de la Commission européenne, ainsi que pour assurer le support interne du matériel informatique. À l’échelle de la direction, on retrouve également une large palette de services dont le service des ressources humaines, le service légal, le service de la coopération nationale et internationale et une inspection chargée du volet douanes et accises. Cette dernière supervise les bureaux de recettes et la recette centrale, chargée de percevoir les accises, la taxe sur les véhicules routiers et d’autres taxes. En fin de compte, nos missions sont aussi diverses que variées.

La police intervient également sur le volet sécuritaire et dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Êtes-vous satisfaits de la coopération avec vos collègues ?

Il existe bon nombre de missions où nos compétences s’entrecoupent. Dans d’autres domaines, police et douane ont des compétences complémentaires. Souvent, les douaniers se retrouvent aux côtés des policiers lors d’une intervention conjointe sur le terrain. Il arrive que nos agents mènent aussi des contrôles en pleine monture, équipés de mitrailleuses et de gilets pare-balles. Il suffit de penser aux contrôles des frontières lors de la pandémie ou au Plan de vigilance nationale (Vigilnat).

Notre relation avec le ministre Gramegna n’était pas très heureuse

Il nous revient que les contrôles « covid » ont provoqué des tensions avec vos supérieurs. Qu’en est-il ?

Les douaniers étaient déployés sans relâche sur le terrain. Tout est allé très vite. En tant que syndicat, on n’était pas forcément d’accord avec la façon dont cela a été géré. Entretemps, tout est rentré dans l’ordre. Mais, à l’époque, les contrôles aux frontières pour gérer les sorties de véhicules se sont déroulés sans véritable base légale. Les douaniers n’ont cependant pas bronché. Ils étaient présents sur le terrain, car on avait tous compris l’importance de continuer à faire tourner le secteur de la santé et l’économie en permettant aux frontaliers de toujours pouvoir venir travailler au Luxembourg. Nos pays voisins avaient décrété d’importantes restrictions pour maintenir ce flux. Un grand mérite revient à la Douane.

«Les gens voient encore souvent le douanier comme quelqu’un qui n’est posté qu’aux frontières», déplore Steve Brickler. Photos : tania feller

L’effectif de l’administration des Douanes et Accises est-il adapté pour assumer ce travail d’envergure ?

On a toujours besoin de personnel supplémentaire. Le pays se développe, la population et l’économie aussi. Nous sommes, par conséquent, aussi davantage sollicités par le gouvernement. Notamment dans le cadre de la crise du covid avec des équipes mobiles pour les vaccinations effectuées dans les maisons de retraite et de soins ainsi que plusieurs équipes assurant l’accueil et l’enregistrement des personnes se rendant dans les centres de vaccination, ou encore les agents ayant renforcé les équipes du « contact tracing« . Il faut s’assurer d’avoir un effectif qui est adapté aux besoins. Ni le trafic de stupéfiants ni le nombre de vols ne deviendront moindres. Le Luxembourg dispose d’un des plus grands aéroports en termes de flux de marchandises. Pour l’avenir, il est certainement recommandable de continuer à recruter plutôt que de couper dans les effectifs. À un moment, la tendance n’était pas forcément positive. Un de nos mérites est que la ministre des Finances, Yuriko Backes, ait rapidement saisi le besoin de poursuivre le recrutement de nouveaux agents.

Peut-on affirmer, au vu de vos propos, que la relation avec la ministre Backes est bien meilleure qu’avec son prédécesseur Pierre Gramegna ?

Notre relation avec le ministre Gramegna n’était pas très heureuse. On n’a pas vraiment ressenti qu’il était à notre écoute. Bon nombre de dossiers ont été mis de côté ou même négligés. La frustration a été importante. Il nous est arrivé d’employer des mots plus durs pour nous faire entendre. La nouvelle ministre des Finances, par contre, a été tout de suite à l’écoute. Elle nous a orientés vers un interlocuteur direct au ministère. Le risque d’une escalade de la situation s’est fortement réduit. Madame Backes analyse les doléances avec intérêt et de manière objective. Elle cherche à trouver des solutions. Jusqu’à présent, il faut tout simplement la féliciter. Si ça va bien, il faut aussi pouvoir le dire.

Vos collègues du syndicat national de la police dénoncent un dialogue de sourds avec leur direction. Rencontrez-vous le même genre de problèmes avec vos supérieurs ?

La situation était plus tendue au départ, dans la foulée de la création du nouveau syndicat fusionné. La direction s’est vue confrontée à de nouveaux visages, ambitieux, avec une autre vision et remettant davantage les choses en question. Il est compréhensible qu’il y ait eu un certain choc culturel. Il a cependant fallu aller de l’avant et défendre nos convictions. Le dialogue s’est aussi amélioré au fil du temps, car le ministère des Finances souhaite que cet échange entre direction et syndicat soit entretenu. Cela n’empêche pas qu’il existe toujours un moyen d’améliorer les choses. Au vu du soutien ministériel, les chances d’y parvenir ne sont pas mauvaises.

Un autre point évoqué jeudi a concerné les infrastructures de l’administration des Douanes et Accises. Quelles sont vos doléances dans ce domaine ?

Depuis des années, l’administration des Douanes et Accises se trouve face à des incertitudes concernant le domaine immobilier, avec la fermeture du Bureau de recettes à Grevenmacher l’année dernière, l’annonce de démolition de l’immeuble « Centre administratif«  à Diekirch et la suppression du « Centre douanier Luxembourg«  à Gasperich-Howald. L’administration demande depuis quelques années des solutions, une initiative que la Douanesgewerkschaft soutient fortement. La situation de certains services hébergés dans des anciens logements de service et des conteneurs demeure compliquée, en raison du défaut d’infrastructures adéquates. Après une quinzaine d’années, les conteneurs, d’une vétusté telle que la pluie s’infiltre à plusieurs endroits, ont au moins été réparés l’année dernière.

Lors de l’assemblée générale de jeudi, une rétrospective sur les acquis de la Douanesgewerkschaft depuis la fusion de 2018 a été faite. Comment se porte votre syndicat cinq ans plus tard ?

La fusion des deux anciens syndicats a permis de regrouper sous un même toit toutes les carrières qui existent à l’intérieur de l’Administration des douanes et accises. Ce regroupement n’a pas encore été contesté. Le syndicat compte environ 540 membres. Les membres pensionnés sont inclus dans ce total. On peut néanmoins affirmer que la très grande majorité des douaniers a intégré les rangs du syndicat. Nous disposons, dès lors, d’un levier plus important pour faire avancer les choses que ce ne fut le cas par le passé.