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À Paris, les artistes font Nuit blanche depuis 20 ans

Attirant un million de visiteurs chaque année, la Nuit blanche a permis à 4 000 artistes d’investir la ville de Paris pour intéresser un nouveau public à l’art contemporain, depuis son lancement en 2002. Pour cette édition d’anniversaire, la directrice artistique Kitty Hartl a imaginé la capitale française comme « un grand jardin exubérant » ou l’enfer côtoierait le paradis.

Tout a pourtant mal commencé pour la Nuit blanche. Lors de la première édition, en 2002, la soirée débute comme prévu dans l’émerveillement et le plaisir de la découverte pour les milliers de visiteurs, amateurs d’art ou simples curieux. L’artiste Sophie Calle reçoit alors le public dans une chambre au sommet de la Tour Eiffel. Sur les tours de la Bibliothèque nationale de France, les lumières s’allument au rythme d’un jeu-vidéo géant et partout, les files d’attente s’allongent, parfois pendant plusieurs heures.

Bertrand Delanoë, alors maire de Paris et à l’origine de l’événement, déambule sur différents sites avant de rentrer à l’Hôtel de ville, vers 2h30. C’est là qu’un déséquilibré se jette sur lui et le poignarde au ventre. Le maire de Paris est alors hospitalisé et devra passer plusieurs semaines en convalescence. Son agresseur, qui clamait sa haine des homosexuels et des politiques, sera jugé pénalement irresponsable et envoyé en hôpital psychiatrique.

Trente villes étrangères reprennent le concept

Comme son initiateur Bertrand Delanoë, la Nuit blanche a surmonté cette épreuve. Depuis 20 ans, l’événement permet chaque année aux Parisiens ou aux visiteurs de « passer d’un lieu à un autre comme dans un jeu de l’oie, en allant de surprise en surprise », selon les mots de Jean Blaise, son premier directeur artistique.

Le principe est resté le même : installer l’art dans l’espace public pour attirer un public qui d’ordinaire ne s’y intéresse pas forcément. « La magie de Nuit blanche [c’est d’être] un laboratoire, une boîte à idée, un espace de découverte qui donne à voir et à vivre des territoires de l’art inexplorés, à travers le regard aiguisé, engagé, parfois décalé, d’artistes contemporains », explique Carine Rolland, actuelle adjointe à la maire de Paris en charge de la Culture et de la Ville du quart d’heure.

Depuis la naissance de la Nuit blanche - dont le groupe de luxe LVMH est le principal mécène - 4 000 artistes français et internationaux s’y sont produits. Trente villes étrangères ont repris l’idée, de Tel Aviv à Kyoto, en passant par Vilnius ou Montréal. À l’heure du projet du Grand Paris, l’événement n’a jamais hésité à franchir la frontière du périphérique et prend une autre envergure à l’échelle de toute la métropole : 26 villes de la région parisienne y participent cette année. Cela sans compter les villes normandes Le Havre et Rouen, en aval de la Seine, qui y prennent part pour la première fois.

Loufoque, effrayant, populaire

Pour cette édition anniversaire, quelques 200 projets artistiques oscillent entre le désir de s’évader du quotidien et la nécessité de regarder le monde en face.

Cette tension anime aussi la directrice artistique, Kitty Hartl. L’artiste et metteuse en scène autrichienne a retenu le thème du Jardin des délices, référence au tableau hallucinant de Jérôme Bosch. Dans cette œuvre du tournant des XVe et XVIe siècles, dont la date exacte demeure incertaine, l’enfer côtoie le paradis. « J’ai plutôt tendance à m’intéresser à l’enfer », glisse dans un sourire celle qui a popularisé le cabaret New Burlesque, avec ses effeuilleuses pulpeuses fières de leur corps.

Parmi les œuvres qu’elle a retenues figure Speculum, une installation vidéo monumentale au jardin Nelson-Mandela, situé au cœur du quartier des Halles à Paris. Sur trois écrans, le collectif néerlandais Smack y offre une relecture de Jérôme Bosch tout aussi fantasmagorique : une multitude de petits monstres s’animent à l’infini comme dans un jeu électronique.

C’est loufoque, effrayant, « populaire » aussi, insiste Kitty Hartl qui invite à regarder les détails de l’œuvre : une « critique acerbe de notre époque, de notre soumission aux nouvelles technologies, à la surveillance de masse et à la perversion des marques ».

Dans la nuit parisienne, vue partielle du triptyque « Speculum », de Smack, inspiré par Jérôme Bosch.
Dans la nuit parisienne, vue partielle du triptyque « Speculum », de Smack, inspiré par Jérôme Bosch. © Sébastien Jédor / RFI

« En France, vous avez de la chance »

Dans cette même veine poétique et vaguement inquiétante, l’artiste allemande Stéphanie Lüning sculpte la mousse sur la place Georges-Pompidou, au pied du Musée national d’art moderne du même nom. Des bulles colorées s’y échappent des bouches d’aération, formant une immense vague verte, jaune, violette, rouge… Les organisateurs rassurent : « Les colorants utilisés sont naturels. »

À l’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024, d’autres œuvres font dialoguer l’art et le sport.

Mais le spectacle le plus marquant pourrait bien être la nouvelle prestation de la troupe américaine du Cabaret New Burlesque, au théâtre du Chatelet, entre humour, glamour et plaisir de la provocation. Habillée dans un drapeau américain (qu’elle retire progressivement), la performeuse Dirty Martini évoque frontalement la remise en cause du droit à l’avortement et le poids du lobby des armes aux États-Unis. Dans les coulisses, sa complice Kitten on the Keys le dit sans détour : « Aux États-Unis, la culture se meurt. En France, vous avez vraiment de la chance d’avoir des événements comme la Nuit blanche où les artistes peuvent s’exprimer et où le public peut les découvrir ».