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Annie Marchet, comme une chanson

À Lignières, Annie Marchet a co-fondé avec son mari une salle de concert, les Bains-Douches, et un festival, l’Air du Temps, dédiés à la chanson française. Âgée de 69 ans, elle passe la main à la présidence de cette association, mais ne semble pas prête à abandonner l’activisme culturel en milieu rural, ni l'idée d'éducation populaire.

En ce début d’été, cela fait moins d’une semaine qu’Annie Marchet a quitté la présidence de l’association des Bains-Douches. Mais elle sait déjà que ce départ n’a rien d’un point final. Ni le Covid-19, qui a tenu un temps les spectateurs éloignés des lieux de concert, ni une conjoncture difficile pour les artistes, n’ont entamé sa passion pour la chanson. « La chanson, c’est de la musique, de la littérature, de la poésie, des corps, de la danse. Je ne comprends pas que ce patrimoine ne soit pas plus mis en avant », glissera-t-elle.

Depuis plus de 45 ans, cette ancienne institutrice milite au contraire pour l’ancrage de cet art populaire dans son village du Cher. À Lignières, 1 358 habitants, Annie grandit dans la boucherie-charcuterie tenue par ses parents. Chanter fait partie intégrante des réunions de famille. En ce milieu des années 1960, la radio diffuse les yéyés. Elle aime Adamo, Cloclo, Dutronc comme Georges Brassens. Collégienne, elle file en douce au café pour écouter les Beatles sur un juke-box. C’est au lycée qu’elle découvre Claude Nougaro, Léo Ferré, et une chanson plus lettrée qui ne va pas la quitter.

Mais cette passion est « intimement liée » à sa « rencontre avec Jean-Claude ». Annie n’a pas 17 ans, son futur mari six ans de plus. Il recherche alors une comédienne pour jouer dans une pièce de théâtre amateur. De suite, les amoureux échangent autour de la littérature et des chansons de Jean Ferrat, Barbara ou Serge Reggiani. Il faut dire qu’à une bonne quarantaine de kilomètres de Lignières, la Maison de la culture de Bourges propose des ateliers chansons. Ces ateliers qui préfigurent le Printemps de Bourges deviennent le creuset d’une chanson protestataire ; ils donnent des idées aux Marchet.

Chanson et engagement

Dans une France des années 1970 qui connaît les répliques de Mai-68, Annie étudie à l’école normale. La chanson va de pair avec les combats de l’époque et un ancrage politique à gauche. Bouleversée par Anne Sylvestre, en laquelle elle reconnaît une semblable, elle écoute Des fleurs pour Gabrielle, la chanson consacrée à l’affaire Gabrielle Russier (1),ou le célèbre Non, tu n’as pas de nom, en faveur du droit à l’avortement. « Tout ce que je trouvais injuste, cela se traduisait par des chansons. L’engagement politique allait de pair avec la chanson, mais c’était en parallèle. Mon engagement pour la chanson est venu après », dit-elle.

C’est lorsqu’une association de jeunesse se fonde au village qu’elle et son mari, Jean-Claude, décident d’organiser des concerts à partir de 1978. L’ancien cinéma situé juste à côté des bains-douches municipaux est désaffecté, il sert de salle des fêtes. Dès lors, leur vie s’organise autour de la petite salle décrépie de 200 places pour eux et leurs copains. Employé dans une banque, Jean-Claude s’occupe de la programmation, l’administration et les finances. Devenue institutrice en maternelle, Annie gère plutôt l’accueil des artistes et s’anime dans l’aventure collective.

À la maison, les jours de repos tournent autour du téléphone et du répondeur, qui enregistre les réservations pour les concerts. Les vacances servent, quant à elle, à écumer les festivals ou à rencontrer des artistes au Québec, une province lequel ils entretiennent un lien très fort. Durant dix ans, les artistes sont hébergés chez les Marchet. En 1988, ils créent un festival sur six jours qui deviendra quelques années plus tard l’Air du Temps.

« On bossait tout le temps ! On avait deux enfants, j’avais un boulot qui me passionnait. On ne dormait pas beaucoup, on commençait souvent notre journée après le dîner », constate-t-elle. Peu reconnue au départ, la salle s’implante progressivement dans le paysage grâce à la reconnaissance nationale et régionale. En 2001, un poste est créé pour Jean-Claude Marchet.

Éducation artistique

Aux Bains-Douches, la pratique amateur se mêle à des artistes confirmés. L’éducation artistique fait partie intégrante du programme. Rénovée en 1990-1991 et en 2011, la salle prend une autre dimension. Pôle de la chanson en région Centre, c’est aujourd’hui une Salle de musiques actuelles (SMAC) de France, la seule à défendre la chanson française quand ces salles sont généralement de culture rock. En quarante-cinq ans, les Bains-Douches ont vu passer des chanteurs engagés ( Leny Escudero, François Béranger, Michèle Bernard), des bien confirmés (Katerine, Dominique A, Lo’Jo), et assisté au renouveau de la chanson dans les années 2000 (Jeanne Cherhal, Camille, Vincent Delerm, Emily Loizeau...). 

Annie et Jean-Claude Marchet et Anne Sylvestre ( au c.) lors du festival L'Air du Temps en 2018.
Annie et Jean-Claude Marchet et Anne Sylvestre ( au c.) lors du festival L'Air du Temps en 2018. © Marylène Eytier

Passionnée de littérature et de danse, Annie Marchet pense faire des randos à vélo. Elle a récemment repris la guitare et se dit toujours « portée » par sa passion. Quand elle regarde en arrière, elle pense surtout à la complémentarité avec son mari. « Ce qui ressort de cela, c’est une grande histoire d’amour. À la fois, notre histoire de couple, mais aussi, tout l’amour qu’il y avait autour de nous, avec les artistes et le public. Des gens formidables ! », dit-elle. Ce qui fait la fierté de l’ancienne institutrice, c’est d’avoir vu éclore des « bébés Bains-Douches », c’est-à-dire des artistes, des techniciens, ou des professionnels de la musique dont la vocation est née dans la petite salle.

Le premier d’entre eux s’appelle d’ailleurs Florent Marchet. Le cadet des deux enfants Marchet a embrassé depuis plus de vingt ans une carrière de chanteur. Chansons, livres, compositions pour les documentaires... Il s’agit là encore d’une histoire transmission et de passion !

(1) Gabrielle Russier était une professeure de Lettres. Après avoir été condamnée à un an de prison et 500 francs d'amende pour détournement de mineur à la suite d'une liaison avec l'un de ses élèves âgé de 17 ans, elle met fin à ses jours le 1er septembre 1969. Son histoire, qui a connu un grand retentissement dans la France de la fin des années 1960, inspirera le film Mourir d'aimer et la chanson Des fleurs pour Gabrielle d'Anne Sylvestre. 

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