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Ashbell McElveen, chef cuisinier qui réhabilite le pionnier James Hemings

Ashbell McElveen est passionné par la cuisine et vit avec l'obsession d'une quête qui lui tient à cœur : faire connaître et reconnaître l'histoire de James Hemings, chef cuisinier et l'une des figures incontournables – en coulisses- du président des États-Unis Thomas Jefferson. Son existence avait été mise de côté par les livres d'histoire car sa condition d'esclave ne lui donnait aucun droit. Interpellé par le sujet il y a plusieurs années, le chef afro-américain consacre désormais une partie de sa vie à parler de celui qui fut au XVIIIe siècle le tout premier chef cuisinier de l'histoire du pays.

De notre correspondant à New York,

Ashbell McElveen n’est pas un chef comme les autres. Sa relation à la cuisine dépasse les limites des quatre murs, des objets qui s’y trouvent et des ingrédients qui composent ses plats. La passion du chef est aussi spirituelle, et ce, depuis une nuit où son destin prend une tournure qui le changera à tout jamais. Cela intervient plus précisément à la suite d'un événement culinaire lié à la passion pour la gastronomie de Thomas Jefferson, l’ancien président américain (de 1801 à 1809). « Peu de temps après cet événement, j’étais en train de somnoler dans mon lit, et j’ai eu des sueurs froides, et j’ai entendu quelque chose me dire « "mais comment as-tu pu m’oublier ?" », raconte-t-il, avant d’ajouter « Je ne savais pas ce que c’était sur le moment, mais cela a été une véritable révélation pour moi, et je suis convaincu que c’était l’esprit de James Hemings. Ça a changé ma vie à tout jamais ».

Pour McElveen, chef à succès passé par Paris, Londres et New York et originaire de Caroline du Sud, région incontournable de la gastronomie américaine avec ses barbecues et ses bourbons, sa passion pour l’art culinaire et les fins mets prend une autre dimension. La quête de la vérité sur James Hemings devient une obsession.

Il décide de se rendre à Monticello, en Virginie, où vivait Thomas Jefferson durant une bonne partie de sa vie et où Hemings a été aux fourneaux au service de l’ancien président. Il visite les anciennes cuisines de la résidence, en grande partie enterrée ou détruite par le temps. « On a trouvé des plats, des grills, des instruments qu’Hemings utilisait et qui étaient sous des tonnes de gravats. Puis je suis allé au château de Chantilly pour revenir sur les pas du chef Hemings, là où son parcours de chef cuisinier a démarré, où il a été formé », précise McElveen, dans un français parfait.

Il se lance, à côté de sa carrière de chef, dans une quête de restauration de la mémoire et de la véritable l’histoire de James Hemings, le premier chef de cuisine de l’histoire des États-Unis, passé sous silence car esclave. 

Esclave et chef cuisinier pour Thomas Jefferson

Né en Virginie en 1765, James Hemings est le fruit d’une relation secrète entre une mère esclave et un marin britannique qui quittera le pays avant la naissance de son fils. Il grandit comme esclave sous la coupe de l’une des plus grandes figures esclavagistes de l’est du pays, le gouverneur Thomas Jefferson, qui fait l'acquisition du petit Hemings et de sa mère « Je pense que James était curieux de ce qui se passait en cuisine, et il voyait les servantes faire des choses incroyables. Cela a dû faire naître en lui une curiosité sur le sujet », pense McElveen.

Lorsqu’il a 16 ans, Hemings part en France avec Jefferson qui l’oblige à se former comme chef au château de Chantilly, et ainsi tout apprendre sur la cuisine française, dont raffolait le futur président des États-Unis. « Il a poussé Hemings à tout apprendre et ainsi l’utiliser comme son chef cuisinier. À Paris, Hemings absorbe tout le savoir possible, il épate ses collègues par sa rapidité d’apprentissage et ses techniques innovantes ! Mais personne ne savait que c’était un esclave », souligne McElveen.

Au-delà de l’expérience culinaire, le jeune Hemings découvre la liberté. Il peut se promener, se voit invité à des évènements sans Jefferson, « ce qui a dû le rendre fou de rage! » rigole McElveen, fréquente des femmes et participe à la vie sociale parisienne. Tout ce à quoi il n’a pas le droit sur ses terres natales. « James a découvert la liberté à Paris, et je pense que cela lui a encore plus ouvert les yeux sur les dégâts de l’esclavagisme », cite McElveen qui est en constante recherche d’écrits et voyage à travers les États-Unis et la France pour retrouver des traces de la vie de chef Hemings. 

James Hemings, un héritage comme trait d’union entre les États-Unis et la France 

Après plusieurs années passées en France, Hemings est rappelé en Virginie, et ramène avec lui un savoir-faire unique à l’époque, et plusieurs plats qui sont encore aujourd’hui la base de la cuisine américaine. « Les gratins, mais aussi les frites, la crème chantilly. Une partie de la gastronomie française est arrivée ici grâce à lui », souligne McElveen.

Mais le chef s’intéresse également à la mentalité d’Hemings, qui ne supporte plus sa condition d’esclave. Thomas Jefferson le garde sous son contrôle, mais le chef lui demande tout de même d’aller travailler à Philadelphie, en Pennsylvanie, où l’esclavage est interdit.

« James a réussi à trouver une issue momentanée, mais Jefferson l’a rappelé quelques années plus tard pour qu’il revienne en Virginie », relate McElveen. Hemings négocie avec Jefferson, et le chef lui propose d’être affranchi après avoir entraîné son jeune frère, Peter, à prendre sa place en cuisine. Le politicien accepte, signe un décret déclarant sa liberté dès que sa mission sera terminée et Hemings devient libre en 1796. Il voyagera et vivra quelques années avant de se suicider en 1801, à 36 ans.

Au-delà du traitement et de l’exploitation qu’il a subie, la vie d’Hemings a été mise aux oubliettes par les historiens de l’époque, « [Jefferson] a détruit l’image, la vie d’Hemings, et ce genre d’histoire est bien trop fréquente dans notre pays. Il faut absolument mettre la lumière sur la vérité », fulmine McElveen.

Une source d'inspiration

Le chef, qui a effectué des recherches permanentes sur le sujet et a créé la James Hemings Society, effectue « un devoir de mémoire, pour valoriser son héritage culturel à tout jamais », grâce à différentes initiatives.

Tout d’abord, il participe à des évènements culinaires pour parler de Hemings. Il est approché en permanence par plusieurs chefs afro-américains, qui veulent en savoir plus sur lui. « Les jeunes chefs et ceux qui s’intéressent à la cuisine sont extrêmement curieux, mais surtout inspirés par l’histoire d’Hemings. Les jeunes générations réalisent qu’un gars comme lui a pu devenir le chef de l’homme le plus puissant des États-Unis, tout en étant esclave », affirme-t-il.

En plus de ses rencontres et discussions avec ses pairs, McElveen travaille aussi à la création d’une trilogie documentaire sur le parcours et l’impact de Hemings dans la cuisine américaine, avec un premier volet qui a été projeté en avant-première il y a quelques semaines à New York, et dont le nom est Ghost in America's kitchen (Un fantôme dans la cuisine américaine) et qui sera suivi d'un deuxième volet, James Hemings in Paris (James Hemings à Paris), et enfin, pour clôturer, A patriot's return to slavery (Un patriote retourne à l'esclavage).

« C’est un projet visuel pour toucher le plus grand nombre, illustrer et enfin mettre en avant la vie, l’impact de James Hemings sur la culture américaine, mais aussi sur son inspiration et le fait qu’il a fait connaître beaucoup de choses sur la cuisine française aux États-Unis. Il mérite toute la reconnaissance et le crédit pour cela, il a aussi mis en place la toute première école de cuisine du pays en 1793, c’est un pionnier ! ».

Près de 250 ans plus tard, la mémoire d’Hemings revit plus que jamais au premier plan grâce aux actions d’Ashbell McElveen, mais pour le chef, la mission va au-delà de la simple histoire de l’esclave devenu le tout premier chef cuisinier du pays. « Il faut que ce genre d’histoires soit conté et ne pas effacer les récits des personnes issues des minorités qui ont marqué l’histoire de ce pays, comme James Hemings ».