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Attentat du 14-Juillet à Nice: «On l’a attendu, ce procès»

Le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 s’est ouvert ce lundi 5 septembre à Paris. À Nice, il est retransmis en direct depuis le palais des congrès Acropolis. Mais rares étaient les victimes à venir assister à ce premier jour d’audience.

De notre envoyé spécial à Nice,

C’est un paquebot de béton ancré au milieu de trois avenues. Un palais des congrès ordinaire, avec ses colloques, ses salons étudiants, ses one-man-shows… Hormis quelques policiers en polo blanc et des caméras de télévision plantés le long d’un boulevard, rien ne laisse en revanche deviner que l’Acropolis accueille aussi la retransmission en direct du procès de l’attentat du 14 juillet 2016, le deuxième le plus meurtrier ayant frappé la France.

Ce soir de fête nationale, à deux kilomètres de là, un camion blanc conduit par un Tunisien de 31 ans fonçait sur une foule de 30 000 personnes rassemblées sur la célèbre Promenade des Anglais pour le traditionnel feu d’artifice. En deux minutes, le véhicule faisait 86 morts, dont 15 mineurs, et plus de 450 blessés, avant de s’immobiliser et que le conducteur, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, ne soit abattu par les forces de l’ordre. Mais au nom du principe de centralisation des affaires terroristes, c’est à Paris que se tient le procès. Les victimes niçoises qui ne peuvent pas se déplacer n’ont donc d’autre choix que de le suivre depuis le palais des congrès.

« Black out »

Dans les enclos réservés à la presse, leurs récits juxtaposés dessinent une soirée d’horreur. Il y a là Jean-Pierre Leroy, ancien officier de l’armée de terre « avec ses valeurs ». Le soir du 14-Juillet, il se trouvait au sixième étage d’un immeuble bordant la Promenade des Anglais quand il a entendu des pétards, avant de comprendre qu’il s’agissait des policiers qui tentaient de neutraliser l’assaillant. Il espère que ce procès lui permettra de connaître le rôle tenu par chacun des accusés, dont il brandit le trombinoscope réalisé par Nice Matin. Sama Echickr, elle, était sur la « Prom’ » au niveau du boulevard Gambetta avec son frère et ses enfants venus de Belgique quand le camion a surgi. Son frère s’est enfui, pas elle. Elle était paralysée. Elle dit avoir vu le visage du tueur. « Il était froid ». Six ans plus tard, quand elle retourne sur la Promenade des Anglais, elle voit le sang. « Je me demande pourquoi je suis là alors que d’autres sont morts », confie-t-elle.

Bruno Razafitrimo, chauffeur tourisme, a perdu son épouse cette nuit-là. Elle était allée assister au feu d’artifice avec leurs enfants et des amis, dont un fils est mort aussi. Bruno, lui, était à Aix-en-Provence avec des clients quand il a appris par une cousine de sa femme qu’un « accident » s’était produit. « Même s’il nous arrive malheur, on est au travail. Je ne pouvais pas abandonner mes clients comme ça », explique-t-il d’une voix douce. Béatrice Martin, elle, se trouvait sur la plage avec son mari et ses filles qui jouaient à faire des ricochets, quand la musique d’un concert a laissé place à un « brouhaha » et à des tirs. « Mes filles disent avoir vu des choses, moi, j’ai fait un black out total. Je me souviens juste du vent qui faisait voler des feuilles mortes, et de taches rouges, comme des nappes de restaurant utilisées pour recouvrir les corps. »

Et puis il y a Lobna Ben Aouissi, dont les parents, les sœurs et leurs enfants étaient en train de lui faire coucou sur FaceTime depuis la Promenade des Anglais quand en 30 secondes, la fête a tourné au chaos. « J’ai entendu des hurlements, des tirs. Et puis j’ai vu les palmiers de la Prom’ défiler de façon saccadée parce que ma mère s’était mise à courir », raconte la jeune femme. En remontant de la plage où il s’était réfugié, son père a cherché l’une de ses filles parmi les corps, persuadé à tort qu’elle avait été renversée par le camion. « Je pense qu’il ne s’en remettra jamais », dit-elle. Longtemps, elle a pensé ne pas être légitime pour se constituer partie civile. Elle a finalement changé d’avis après un accident qui lui a fait réaliser que cet attentat l’avait profondément marquée. « Quand on est niçois, la Prom’, c’est toute notre vie. C’est là qu’on va se promener, jouer, manger une glace. J’ai mis plus d’un an à y retourner. Même en voiture, je ne voulais plus y passer. » Lobna voit ce procès comme un point de départ dans le processus de reconstruction. « On l’a attendu, ce procès. Six ans, c’est long. »

Une première journée fastidieuse

Deux salles de 500 et 200 places ont été ouvertes pour cette retransmission sur écrans géants. La plus petite pour le public et la presse, la plus grande pour les parties civiles. Mais à une demi-heure du début de l’audience, c’est au compte-gouttes que celles-ci franchissent les portiques de sécurité tenus par des agents en costume sombre. « Il y a plus de journalistes que de parties civiles ! », s’émeut une avocate auprès du bâtonnier Adrien Verrier. Se sont-elles toutes déplacées au palais de justice de Paris ? La salle « grand procès » encore largement vide que montrent les écrans permet d'en douter. Il faut dire que ce premier jour, consacré à l’appel des parties, s’annonce fastidieux.

Lorsqu’à 13h53 retentit la sonnerie marquant le début du procès, elles ne sont ainsi qu’une poignée à regarder la cour s’installer à 900 kilomètres de là. Gros plan sur le président Laurent Raviot, ton sec et lunettes se baladant entre le creux de la main et le bout du nez : « L’audience est ouverte, veuillez vous asseoir ». Depuis le fond de la salle, des agents de sécurité traquent les enregistrements pirates, une infraction passible d’un an d'emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Tout contrevenant se voit aussitôt éjecter pour un rappel à la loi. Les psychologues en gilet bleu de l’association Montjoye guettent quant à eux d’éventuels pleurs, tremblements ou regards fixes… Tous ces signaux indiquant qu’une personne a besoin d’aide.

À lire aussi : Au procès du 13-Novembre, des psychologues en appui

Après l’appel des interprètes vient celui des accusés. Ils sont trois dans le box et quatre à comparaître libres. Un huitième est actuellement détenu en Tunisie après avoir échappé à son contrôle judiciaire. Il sera donc jugé par défaut. Sept hommes, une femme, qui encourent de cinq ans de prison à la perpétuité. « Ce procès est retransmis dans d’autres salles et sur une webradio, rappelle le président. Pour que ce système fonctionne, il faut que chacun s’astreigne à bien parler dans le micro. » L’un après l’autre, tous déclinent leur identité : Ramzi Arefa, né le 28 novembre 1994 à Nice ; Maksim Celaj, le 24 janvier 1992 à Fier, en Albanie ; Chokri Chafroud ; Endri Elezi ; Mohamed Ghraieb ; Artan Henaj ; Enkeledja Zace. La cour ne les réentendra que début novembre lors des interrogatoires sur leurs personnalités et le fond du dossier.

Au cas par cas

Avant cela, cinq semaines seront consacrées aux témoignages des parties civiles. Plus de 850 victimes s’étaient déjà constituées parties civiles avant l’ouverture du procès, mais d’autres peuvent encore le faire. Alors le ministère public entreprend d’en rappeler les règles : peuvent se constituer parties civiles les personnes qui se trouvaient sur la trajectoire des tirs et du camion depuis son entrée sur la Promenade jusqu’à son arrêt, ainsi que celles étant intervenues pour faire cesser ces actions. « A contrario » ne peuvent pas se constituer parties civiles celles étant arrivées sur les lieux après la neutralisation de l’assaillant, ni celles qui ne se trouvaient pas sur la Promenade des Anglais. La cour examinera « au cas par cas » la situation des personnes s'étant trouvées dans l’environnement immédiat de l’attaque…

Alors qu’à Paris les avocats des parties civiles s’avancent à la barre pour donner le nom de leurs clients, les salles de retransmission de l’Acropolis se vident lentement. Lobna Ben Aouissi avoue avoir été « choquée » en voyant Enkeledja Zace se présenter. « C’est quelqu’un de notre quartier. » De sa voix toujours douce, Bruno Razafitrimo dit s’être senti « comme un jour de rentrée à la fac ». Il a découvert la cour et le rôle tenu par chacun. Maintenant, il va pouvoir envisager d’amener ses enfants. « Ce sont eux qui ont vécu cet attentat, rappelle-t-il. Moi, je ne suis que le relais. »