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Ballet diplomatique en Afrique du Sud: coïncidence ou compétition entre grandes puissances?

Après la Russie, en la personne de Sergueï Lavrov lundi dernier, les États-Unis et l’Union européenne sont également de passage à Pretoria, avec la visite concomitante de la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen et du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. 

Avec notre envoyée spéciale à Pretoria, Claire Bargelès

L’Afrique du Sud, courtisée de toute part, vient de vivre une semaine de ballet diplomatique avec les visites de différentes puissances mondiales. Et l’exercice d’équilibriste continue pour Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, au sujet de la position non-alignée de son pays.

Après avoir accueilli à bras ouverts son homologue russe, il y a quelques jours, la voici dans ce même bâtiment de Pretoria, cette fois-ci aux côtés de Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne, qui l’enjoint à faire entendre raison à son partenaire des Brics. « J’espère vraiment que l’Afrique du Sud, notre partenaire stratégique, saura utiliser ses bonnes relations avec la Russie pour la convaincre d’arrêter cette guerre insensée », a plaidé Josep Borrell.

Un appel que la ministre sud-africaine a tempéré, jugeant que l’effort doit être mondial. « Ce n’est pas uniquement l’Afrique du Sud ou les pays africains qui doivent jouer un rôle pour atteindre la paix. Nous devons tous travailler ensemble, pour trouver une solution négociée qui réponde aux inquiétudes des différents acteurs concernés. »

Josep Borrell est également revenu sur les exercices militaires que Pretoria entend mener le mois prochain au large de ses côtes avec la Chine et la Russie. « Chaque pays a le droit de développer ses stratégies internationales, selon ses propres intérêts. Mais le fait que cela coïncide avec la date qui marque le début de la guerre n’est pas vraiment à notre goût. Cependant, nos préférences ne peuvent pas limiter les décisions souveraines de notre partenaire. »

L’Union européenne dans son ensemble est toujours parmi les partenaires commerciaux les plus importants de l’Afrique du Sud. 

■ « Il y a une prise de conscience que l’Afrique compte »

Entretien avec Steven Gruzd, directeur du programme Afrique-Russie à l'Institut sud-africain d'affaires internationales.

Pourquoi l'Afrique du Sud est-elle si courtisée ?

L’Afrique du Sud est un pays important, ses opinions comptent, même si elle a été moins active sur la scène internationale ces dix dernières années et que sa réputation a été un peu ternie sous la présidence de Jacob Zuma. Son économie est développée, c'est une des portes d’entrée sur le continent, un leader en terme d’opinion. En une semaine, on a vu défiler les Russes, les Américains, les Européens, sans oublier le président français l'année dernière, le chancelier allemand, le ministre chinois des Affaires étrangères. Tous ces pays manœuvrent pour se positionner, influencer, « être sur la photo » si je puis dire. La Russie, par exemple, cherche à montrer qu’elle n’est pas isolée, que les sanctions ne l'ont pas affectée, qu’elle est capable d’avoir des amis sur le continent, de faire du commerce et d'exercer son influence. 

Et pour les États-Unis, est-ce qu'il s'agit de revenir après une absence sur le continent ?

Tout à fait. On a vu que le président Trump n’était pas intéressé par l’Afrique, qu’il était même insultant – il confondait les noms, il a appelé la Namibie « Nambia ». Sous sa présidence, les relations avec l’Afrique ont été suspendues. L’actuel président Biden a ravivé ces relations, le secrétaire d'État Anthony Blinken a d'ailleurs effectué une visite sur le continent l’année dernière. 

Il y a une prise de conscience que l’Afrique compte, il y a du commerce à faire, il y a beaucoup de potentiel. Et les concurrents des États-Unis y sont très actifs. Sur les 25 dernières années, la Chine est devenu un partenaire clé pour l’Afrique, dépassant les États-Unis. Son implication, son volume de commerce est phénoménal. Que ce soit dans la construction ou dans l’infrastructure.

La Russie reste un acteur conventionnel, avec des échanges économiques, mais est également devenu un acteur militaire, avec son groupe Wagner présent dans plusieurs pays qui permet à la Russie de prospérer.

Cette concurrence entre grandes puissances est-elle seulement économique ?

Il y a très clairement une compétition économique. L’Afrique a des minéraux, des produits agricoles qui intéressent le reste du monde. Mais il y a également un aspect diplomatique. L’Afrique détient 54 votes à l’assemblée générale de l'ONU. Cela compte. On a pu le constater lors du vote pour condamner l’invasion russe de l’Ukraine, l’Afrique était partagée, une moitié soutenant la position des pays occidentaux, l’autre non. Aujourd'hui, les grandes puissances jouent des coudes pour pouvoir influencer l’Afrique. 

Mais ce qui est important, c'est que l’Afrique n’est pas juste un terrain de jeux. Les Africains ont leurs propres intérêts, ils veulent jouer et pas juste être une pièce sur l’échiquier. Ils sont devenus plus astucieux, multipliant les partenaires, les utilisant les uns et les autres afin d'obtenir ce qu’il y a de mieux pour eux-mêmes.