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Bosnie-Herzégovine: un système électoral compliqué qui légitime la division ethnique

Dimanche 2 octobre 2022, les Bosniens sont appelés aux urnes pour des élections générales au moment où leur pays est plus divisé que jamais. Ils doivent voter pour plusieurs présidents, mais également plusieurs parlements. Un millefeuille politico-administratif devenu une véritable rente pour les partis nationalistes qui se partagent le pouvoir depuis la fin de la guerre. Explications.

Selon les listes électorales, la Bosnie-Herzégovine compte environ 3,4 millions de votants. Un chiffre irréaliste dans un pays où l'on dénombrait à peine 100 000 habitants de plus en 2013, lors du dernier recensement. Et plus vraisemblablement entre 2,5 et 3 millions si l'on en croit les estimations concernant l'exode massif de ces dix dernières années.

Lassés de vivre dans un « pays Frankenstein », où l'État de droit reste une chimère, les Bosniens sont de plus en plus nombreux à voter avec leurs pieds : rien qu'en 2021, près de 5% auraient pris la route de l'étranger à la recherche d'une vie meilleure et d'un environnement plus sécurisant.

Mais pour qui et pour quoi les Bosniens doivent-ils voter, ce 2 octobre ? Voilà une question délicate. Les accords de paix de Dayton, conclus à Paris le 14 décembre 1995, ont en effet transformé la Bosnie-Herzégovine en un puzzle institutionnel, aussi compliqué à déchiffrer qu'à réformer.

Depuis bientôt trois décennies, le pays doit composer avec l'annexe constitutionnelle des accords de paix de Dayton, pourtant prévue pour n'être que provisoire. Une véritable « camisole de force », où la représentation politique se confond avec l'appartenance communautaire, ce qui légitime de facto le « nettoyage ethnique » qui a fait plus de 100 000 victimes durant les trois années de conflit et plus de deux millions de déplacés, la moitié de la population de l'époque.

La Bosnie-Herzégovine dispose de pas moins de treize gouvernements

La Bosnie-Herzégovine post-Dayton dispose de pas moins de treize gouvernements : un central, un pour chacune des deux entités – la Republika Srpska (RS) et la Fédération croato-bosniaque (FbiH) – et un chacun des dix cantons de la FBiH. Environ 180 ministres les composent, soit environ un pour 15 000 habitants. C'est comme si en France, il y en avait plus de 4 000 ! Selon les chiffres de la Banque centrale, 212 000 actifs travaillent dans la fonction publique, ce qui pèse près du tiers des recettes fiscales du pays... Mais assure une base, aussi large que solide, d'électeurs acquis aux partis qui leur ont trouvé ces emplois.

Pour se partager cette précieuse manne, les formations ethno-nationalistes, qui n'ont jamais perdu le pouvoir depuis que les armes se sont tues, rejouent indéfiniment la même partition, agitant sans cesse le spectre des menaces et de la peur des autres pour garder la main. « Leur opposition n'est que de façade, tout le monde sait qu'en réalité, ils sont ensemble pour se partager le pays », s'agace l'analyste politique Amna Popovac. « Ici, le nationalisme sert avant tout à cacher la corruption. » Lors de ces élections, pas moins de 90 partis se présentent, avec l'espoir de récupérer une part, même petite, du gâteau.

Un pays divisé

Dans ce pays si divisé, les Bosniens ne votent ensemble que pour un seul scrutin : l'élection des 42 députés de la Chambre des représentants, où siègent des Serbes orthodoxes, des Croates catholiques et des Bosniaques musulmans. Mais aussi des « Autres », c'est-à-dire les 3,7% de ceux qui n'appartiennent à aucun des trois « peuples constitutifs », ou refusent cette catégorisation. Quant aux quinze députés de la Chambre des peuples (cinq pour les Serbes, les Croates et les Bosniaques), ils seront ensuite désignés par les représentants des Parlements des deux entités, élus séparément.

Les Serbes, les Croates et les Bosniaques votent aussi de leur côté pour élire « leur » membre de la présidence tricéphale. Du fait de la composition de la population dans la FBiH, l'élection du membre croate est souvent déterminée par le choix des Bosniaques (70,4%), bien plus nombreux que les Croates (22,6%). Cela agace beaucoup le HDZ-BiH, le parti ethno-nationaliste représentant cette petite communauté, qui estime que ce siège doit lui revenir et pousse de longue date pour une réforme électorale visant à le lui garantir. Quitte à faire du chantage à la troisième entité et à menacer de boycotter les scrutins et de bloquer les institutions.

Les élections du dimanche 2 octobre 2022 n'ont d'ailleurs tenu qu'à un fil : faute d'accord, le haut représentant international a fini par faire usage de ses pouvoirs suprêmes pour allouer le budget nécessaire à leur organisation. Alors même que son pouvoir est contesté par les Serbes et que sa nomination, en 2021, n'a pas été validée par le Conseil de sécurité du fait de l'opposition de la Russie au maintien de cette fonction, toujours censée garantir la paix et la stabilité de la Bosnie-Herzégovine.