Niger
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

«Broken Chord», le chorégraphe sud-africain Gregory Maqome fait résonner une histoire oubliée

C’est un spectacle qui touche les cœurs et les corps, essayant de réunir sur scène et dans la salle les descendants des colonisés et des colonisateurs. The Broken Chord (« La corde rompue ») raconte l’histoire du premier chœur africain en tournée en Angleterre, à la fin du XIXe siècle. Entretien avec Gregory Maqomba, brillantissime danseur et chorégraphe sud-africain, ainsi que co-directeur de ce spectacle en tournée mondiale, présenté à guichets fermés ce week-end à la Cité de la musique à Paris.

Gregory Maqoma, né en 1973 à Soweto, à Johannesburg, figure parmi les plus grands chorégraphes du continent africain. Passé par l’école bruxelloise PARTS dirigée par Anne Teresa de Keersmaeker, il a créé en 1999 sa propre compagnie, Vuyani Dance Theatre. Son écriture chorégraphique navigue entre la danse contemporaine et sa culture sud-africaine xhosa. Il y a quelques années, Maqoma tombe par hasard sur une exposition racontant l’incroyable périple d’un chœur sud-africain en 1891 à Londres, dans le pays des colonisateurs. Emporté par l’histoire et la musique réimaginée par Thuthuka Sibisi, Maqoma danse spontanément pendant une demi-heure au milieu de l’installation et crée ensuite ce spectacle puissant puisant sa force dans la communion du passé avec le présent.

RFI : Quelle est l'histoire du spectacle The Broken Chord ?

Gregorya Maqoma : L'histoire du spectacle remonte à 1891, à la première tournée d'une chorale sud-africaine au Royaume-Uni. Quand j’ai entendu l’histoire pour la première fois, j'ai senti un très fort besoin de partager leurs expériences, d’essayer de ressentir ce qu'ils ressentaient à l'époque, mais de regarder aussi les expériences que nous vivons à l’heure actuelle. Je suis très curieux de savoir quel était le regard porté sur eux quand ils sont arrivés, avec leurs traditions et leurs cultures, dans le pays des colonisateurs. Comment ont-ils été perçus et regardés ?

Cette première chorale africaine avait tourné en Amérique et au Royaume-Uni, subie du racisme, mais aussi rencontré la Reine Victoria. Après ce succès, comment une histoire aussi surprenante a-t-elle pu tomber dans l'oubli pendant plus d’un siècle ?

C'est vraiment une histoire oubliée. S'il n'y avait pas eu des photographies, retrouvées en 2014 dans certaines archives [les Hulton Archives, NDLR], je n'aurais pas connu cette histoire. Par hasard, j’ai visité le musée de l’apartheid à Johannesburg, en Afrique du Sud, où Thuthuka Sibisi avait réalisé une installation sur cette chorale. J’étais tout de suite obsédé par la musique, par ces sons. C'est ainsi que j'ai eu envie de créer cette œuvre. Et il y a aussi cette curiosité de vouloir savoir comment c'était de quitter l'Afrique du Sud en 1891, de voyager en bateau pendant des semaines et arriver au Royaume-Uni, dans un climat différent, dans le pays de votre colonisateur. De quelle nature était la conversation ? C'est cela qui m'a poussé à faire des recherches plus approfondies et à m'intéresser aux questions de la migration et du déplacement et de quelle façon ces questions nous affectent aujourd'hui.

Il n'existe aucun enregistrement des spectacles donnés entre 1891 et 1893. Aux côtés de quatre musiciens-chanteurs sud-africains et accompagné par les chanteurs de l'ensemble Aedes, vous dansez cette histoire sur scène. Comment avez-vous créé les mouvements pour The Broken Chord ? Quels styles de danse se sont imposés pour la chorégraphie de cette histoire incroyable ?

Oui, c'est une histoire incroyable. Les chanteurs eux-mêmes venaient du Cap-Oriental. Certains d'entre eux venaient du Cap-Occidental. Le fait que les artistes appartenaient à la tradition et à la culture de mes propres racines, à la culture xhosa, a peut-être facilité la démarche. L'esthétique choisie pour les mouvements dans la pièce est issue de la tradition xhosa. Et elle est entrelacée dans toute l’histoire à travers de connotations culturelles, de formes traditionnelles et aussi de rituels.

Cette histoire de la première chorale africaine en Angleterre, pourquoi est-elle pour vous pas seulement une pièce sur l’histoire de la colonisation, mais aussi sur le racisme aujourd'hui ?

Il est évident que le racisme continue à exister aujourd’hui. Chacun de nos visages est concerné. Mais, il y a de nombreux mouvements qui s'opposent au racisme. Nous ne pouvons qu'amplifier ce message d'humanité en affirmant que l'humanité prévaut toujours sur tout le reste.

Gregory Maqome, le chorégraphe sud-africain de la pièce « Broken Chord ».
Gregory Maqome, le chorégraphe sud-africain de la pièce « Broken Chord ». © Siegfried Forster / RFI

À l'époque où la première chorale africaine est arrivée au Royaume-Uni, à la fin du XXe siècle, il y avait aussi les premiers « zoos humains » en Europe, des expositions où les Noirs étaient exhibés comme des animaux exotiques. Dans ce contexte historique, considérez-vous l'aventure du chœur comme une sorte de mouvement Black Power avant l’heure ?

Je pense que c'était une réaction. Un évènement en parallèle, beaucoup d'autres choses se sont produites à cette époque. Il y avait l'histoire de Saartjie Baartman, une femme sud-africaine exhibée comme dans un zoo humain. Cette histoire porte en elle-même l'éthique de cette époque. Elle révèle un monde basé sur le racisme, avec des gens considérant les autres comme quelque chose d'autre, et non pas comme leurs égaux.

Vous tournez avec cette pièce en Espagne, en Italie, en Autriche, en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, au Canada, aux États-Unis... Les réactions du public sont-elles différentes en Amérique, en Afrique ou en Europe ?

Chaque pays a sa propre histoire et les gens réagissent en fonction de leur histoire et de leurs expériences. Honnêtement, oui, les réactions sont différentes. Au Royaume-Uni, nous avons eu un public plus noir. Nous avons vu leurs réactions, confrontés aux choses contre lesquelles nous nous battons. D’une certaine façon, nous avons répondu à certaines des questions qu’ils se posent. Ils ont vu aussi que nous avons le courage d'être sur cette scène pour faire revivre cette histoire à l’endroit où ces chanteurs de 1891 se sont produits ! Nous apportons cette histoire comme un reflet, comme un miroir pour la communauté noire au Royaume-Uni et partout ailleurs dans le monde. Ce miroir leur permet de se retrouver dans cette histoire. Et ils s’aperçoivent qu'il est possible de parler de ces choses. Et que nous devrions être capables d’en parler.

 The Broken Chord, chorégraphie de Gregory Maqoma, musique de Thuthuka Sibisi, avec l’ensemble Aedes, du 24 au 26 mars à la Cité de la musique à Paris. Une des particularités de la pièce : à chaque étape de la tournée mondiale, une grande chorale locale participe au spectacle.