Le réalisateur péruvien Leonardo Barbuy et sa productrice Illari Orcottoma Mendoza sont venus présenter le long métrage de fiction Diogenes, en compétition aux Rencontres Cinélatino de Toulouse. Un drame et une chronique familiale magnifiquement filmée dans la région d'Ayacucho, dans les Andes. Sur un fil de crête entre fiction et documentaire, la caméra s'attache à la vie quotidienne d'un père et de ses deux enfants, protégés par une meute de chiens.
de notre envoyée spéciale à Toulouse,
Diogène de Sinope, le Grec, l'original, surnommé « le chien ou « le cynique », était un marginal qui vivait loin de la communauté des hommes. On lui doit une sentence passée à la postérité, rappelle Leonardo Barbuy : plus je connais les hommes et plus j'aime mon chien... Notre Diogène dans le film vit aussi loin du monde, dans une chaumière isolée à flanc de montagne. C'est un artisan qui peint des tablas, dans la vraie vie et dans le film (à la lueur d'une bougie), qui élève seul ses deux enfants, dans la vraie vie et dans le film. Ces tablas (littéralement des planches) sont des œuvres peintes sur de l'écorce d'agave (maguey) qui racontent la vie quotidienne ou les faits extraordinaires que vit la communauté. Littéralement, nous expliquent le réalisateur et la productrice, leur nom quechua signifie quelque chose comme « raconter la mémoire ». La commune de Sarhua, dans la région d'Ayacucho, où a été tourné le film, est connue pour cet art et l'envie de travailler avec cette communauté, a été déterminante dans l'élaboration du projet de film. Il y a eu, préalablement à l'écriture du scénario, un travail de recherche anthropologique sur la vie dans cette région, ses légendes et rituels.
Une communauté frappée, comme toute la région, par la violence du conflit armé au Pérou, opposant l'armée au Sentier lumineux. Entre 1980 et 2000, le Pérou a vécu un conflit armé interne qui s’est soldé par plus de 70.000 morts et 20.000 disparus. Dans la maison de Diogenes, la caméra s'attarde sur quelques-unes de ses œuvres. On y voit des hommes masqués et armés au milieu des paysans. Deux d'entre eux traînent une femme par ces longues tresses que portent les Indiennes quechua. Nous sommes dans une maison d'adobe au toit de tôle, construite pour les besoins du film sur un terrain loué à la communauté. Il fallait à l'équipe du film acheminer le matériel, l'eau, les vivres, etc, sur des sentiers escarpés que l'on imagine sans peine en regardant les enfants crapahuter sur ces pentes vertigineuses.
Au cœur de la culture quechua
Dans cette communauté, tous les habitants parlent le quechua, nous racontent le réalisateur Leonardo Barbuy et sa productrice Illari Orcottoma Mendoza (Mosaico), arrivés à Toulouse déjà couronnés par les prix Biznaga d’argent du meilleur film ibéro-américain et Biznaga d’argent du meilleur réalisateur au festival de Malaga en Espagne. Signalons aussi que ce long métrage est aussi issu de Cinéma en construction de Cinélatino : il avait obtenu l'an passé la mention spéciale du Grand prix Cinéma en construction, un joli parcours déjà. Les comédiens -des non-professionnels- sont tous bilingues et Leonardo Barbuy raconte leur avoir laissé une large marge de manœuvre dans les échanges pour qu'ils se les approprient avec leur culture, lui-même n'étant pas locuteur de quechua avait rédigé son scénario en castillan. Moi, je ne dirais pas ça comme ça à mes enfants, lui suggérait Jorge Pomacanchari, qui interprète le père, suggérant une autre manière de dire...
Une somptueuse photographie en noir et blanc
Le contexte historique de cette violence passée explique, peut-être, l'isolement volontaire de Diogenes, avec ses grands chiens -qui protègent la petite famille- et ses enfants : un petit garçon, Santiago, qui joue comme tous les petits garçons de la campagne à arracher les pattes des scarabées, tandis que sa sœur aînée, Sabina, lui raconte des légendes indiennes de monstres au creux de l'oreille et aimerait bien accompagner son père au village pour vendre les tableaux. Il refuse au motif qu'elle est trop innocente... Les enfants sont cousins germains dans la vraie vie et la complicité opère à l'écran. Le village, on le voit peu, par contre la montagne, les flancs dénudés des Andes, les broussailles, les roches, filmés en noir et blanc, sont somptueux. Les grands eucalyptus ondulent sous le vent et la bande son, créée par le réalisateur qui est aussi compositeur, accompagne le mystère et la puissance de cette nature. Deux directeurs de la photographie ont travaillé sur l'image, Mateo Guzman et Musuk Nolte. Ce dernier, photographe qui travaille toujours en noir et blanc et qui connait bien les Andes, vient d'être récompensé au World press Photo, (pour une photo sur la marée noire au Pérou), souligne Leonardo Barbuy.
Quand on suggère au réalisateur que son film est autant fiction et documentaire, il se revendique de Victor Erice : la seule fiction est le « je », assure le réalisateur espagnol... Ce sont là des catégories commodes pour les festivals de cinéma, mais dans le cinéma, il y a une forte interpénétration entre les deux, dans la mesure où le processus créatif est toujours empreint de subjectivité. Des propos également à Toulouse tenus par Ignacio Agüero et Tatiana Huezo (à laquelle la productrice Illari Orcottoma Mendoza rend un vibrant hommage). Le film s'ouvre sur une sorte de cérémonie, la crémation d'un des chiens de la famille... on ne dévoilera pas comment il se termine, mais le réalisateur et sa productrice nous rappellent la situation de grande instabilité dans laquelle se trouve le Pérou depuis quelques années avec la valse des présidents, les procès pour corruption, les discriminations dont sont victimes les Indiens et les récentes manifestations contre la présidente Boluarte, violemment réprimées...
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Il y a deux jours, le musée de la Mémoire, de la Tolérance et de l'inclusion sociale a été fermé à Miraflores, pour des raisons techniques, alors que Amnesty international devait y rendre son rapport annuel. Tout un contexte qui rend d'autant plus nécessaires des films comme Diogenes. Un bel hommage à ces communautés et un beau film tout court.
► Le site du festival Cinélatino