Après le festival Travelling de Rennes où il était invité, on retrouve à Toulouse le réalisateur chilien Ignacio Agüero venu présenter son dernier documentaire Notas para una pelicula (Notes pour un film). L'histoire d'un film en train de se faire, une mise en abyme comme les aime Ignacio Agüero, sur les aventures d'un ingénieur belge en terre Mapuche dans le sud du Chili, où il est venu construire une voie ferrée à la fin du dix-neuvième siècle.
Qu'on ne s'y trompe pas, tout ça, c'est du cinéma. Le cadre est posé d'emblée, avec le réalisateur qui apparaît à l'écran dès les premières minutes du film pour nous raconter une histoire. Puis son personnage principal, Gustave Verniory, apparaît à son tour, en costume d'époque. Nous sommes censément en mars 1889, explique le réalisateur. Le cadre, c'est ce qui reste de la gare d'Angol, soit un terrain vague boueux où l'on devine des restes de quais, là où est arrivé Gustave au terme d'un long voyage depuis sa Belgique natale. Angol, c'est la porte d'entrée de l'Araucanie, le territoire Mapuche, loin d'être pacifié. Face caméra, le jeune homme -interprété par le Belge Alexis Mespreuve qui n'était pas un acteur professionnel conformément aux exigences du réalisateur - raconte brièvement en français son départ et ses adieux à sa maman à Bruxelles. Il est traduit, également face caméra, par le réalisateur. Le film, dans un noir et blanc magnifique qui met en valeur la luxuriance de la forêt du Sud chilien, est dans un va-et-vient permanent entre passé et présent -Gustave apparaît aussi vêtu en touriste européen- et entre récit historique fictionné et « réalité » du film en train de se faire.
Destruction-construction
Dans ce dernier long métrage, le réalisateur a quitté Santiago, la capitale chilienne, à laquelle il avait consacré ses derniers films. Dans un va-et-vient toujours -cette fois fois spatial- entre le dedans et le dehors, il y explorait sa maison et ses jeux de lumière (El otro dia), la circulation entre les quartiers et leurs habitants chez qui il s'invitait, dessinant une nouvelle géographie de la ville ou bien mettant en scène la destruction de son quartier de Providencia où les maisons patriciennes sont balayées au profit d'immeubles destinés à la nouvelle bourgeoisie. Une dialectique de la destruction-construction que l'on retrouve aussi dans Notas para una pelicula, où la forêt primaire est détruite au profit du train et donc de la modernité.
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Autant de récits, de pistes de réflexion, de traces mémorielles, depuis son premier film, No Olvidar (1982) sur le massacre de Lonquen jusqu'à celui en gestation actuellement, Cartas a mis padres muertos, construit à partir de films réalisés par ses parents -dont on apercevait les portraits au mur dans de précédents films- et par lui-même. Des histoires de temps qui passe qui ouvrent sur d'autres pistes. Au fil de sa filmographie, présentée à Travelling à Rennes, on reconnaissait d'un long-métrage à l'autre des séquences empruntées à de précédents films, comme un jeu de poupées russes mais qui ne seraient jamais les mêmes exactement. Agüero nous fait remarquer que la séquence où l'on voit le train apparaître sur le quai de ce que l'on croit être la gare d'Angol dans Notas, est en réalité le célèbre film des frères Lumière, L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat. Et qu'il avait utilisé le même extrait dans un autre de ses films, Cent enfants attendant le train (1988).
À la fin de ce dernier long métrage, l'équipe du film s'en va, quitte l'Araucanie. On a le sentiment que, dans le véhicule qui ramène les personnages -réalisateur compris- vers la capitale, pèse une grande nostalgie. Adieu au tournage qui se termine ? Adieu à une nature sauvage vouée à disparaître ? Adieu à une communauté dont on ne sait si elle parviendra à sauver sa culture ? Toutes les options sont ouvertes, nous dit Agüero, c'est à chaque spectateur, de Santiago à Bucarest en passant par Kinshasa, de trouver sa propre vérité.
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