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Cinélatino: pour Ignacio Agüero, «le cinéma, c'est comme l'océan»

Après le festival Travelling de Rennes où il était invité, on retrouve à Toulouse le réalisateur chilien Ignacio Agüero venu présenter son dernier documentaire Notas para una pelicula (Notes pour un film). L'histoire d'un film en train de se faire, une mise en abyme comme les aime Ignacio Agüero, sur les aventures d'un ingénieur belge en terre Mapuche dans le sud du Chili, où il est venu construire une voie ferrée à la fin du dix-neuvième siècle. 

Qu'on ne s'y trompe pas, tout ça, c'est du cinéma. Le cadre est posé d'emblée, avec le réalisateur qui apparaît à l'écran dès les premières minutes du film pour nous raconter une histoire. Puis son personnage principal, Gustave Verniory, apparaît à son tour, en costume d'époque. Nous sommes censément en mars 1889, explique le réalisateur. Le cadre, c'est ce qui reste de la gare d'Angol, soit un terrain vague boueux où l'on devine des restes de quais, là où est arrivé Gustave au terme d'un long voyage depuis sa Belgique natale. Angol, c'est la porte d'entrée de l'Araucanie, le territoire Mapuche, loin d'être pacifié. Face caméra, le jeune homme -interprété par le Belge Alexis Mespreuve qui n'était pas un acteur professionnel conformément aux exigences du réalisateur - raconte brièvement en français son départ et ses adieux à sa maman à Bruxelles. Il est traduit, également face caméra, par le réalisateur. Le film, dans un noir et blanc magnifique qui met en valeur la luxuriance de la forêt du Sud chilien, est dans un va-et-vient permanent entre passé et présent -Gustave apparaît aussi vêtu en touriste européen- et entre récit historique fictionné et « réalité » du film en train de se faire.

Les tensions entre la minorité autochtone mapuche, qui réclame la restitution de ses terres spoliées et le pouvoir central perdurent (ici à Valparaiso en novembre 2021).
Les tensions entre la minorité autochtone mapuche, qui réclame la restitution de ses terres spoliées et le pouvoir central perdurent (ici à Valparaiso en novembre 2021). AFP - DEDVI MISSENE
Le spectateur se perd, mais c'est le jeu et on se laisse prendre par la main. « Ce qui est vrai, c'est ce que voit le spectateur », aime à déclarer, un brin provocateur, Ignacio Agüero. Les aventures de Gustave Verniory sont ponctuées de séquences drôles comme celle où Gustave décide d'apprendre la langue des Mapuches le mapudungun ce qui donne lieu à une scène de répétition savoureuse avec un Indien à la patience infinie, et des scènes plus épiques comme celles -et ce sont les seules images en couleur du film- empruntées au documentaire de Raúl Ruiz, Ahora te vamos a llamar hermano (1971) sur l'espoir suscité par pour les Mapuches par l'élection de Salvador Allende (Ruiz avec lequel Agüero a travaillé comme comédien notamment). On y voit des Indiens Mapuches revendiquer la restitution de leurs terres ancestrales. On aperçoit aussi furtivement Allende à la fenêtre d'un train, une image empruntée à Joris Ivens. Encore un saut temporel... Le récit des aventures patagoniennes de Gustave Verniory, glisse peu à peu sur un terrain plus politique pour raconter la révolte du peuple Mapuche. Ignacio Agüero, qui a construit son film à partir des carnets de voyage du jeune Belge, nous raconte comment celui-ci a pris la peine d'apprendre le mapudungun, démarche rarissime alors et qui reste exceptionnelle aujourd'hui.

Destruction-construction

Dans ce dernier long métrage, le réalisateur a quitté Santiago, la capitale chilienne, à laquelle il avait consacré ses derniers films. Dans un va-et-vient toujours -cette fois fois spatial- entre le dedans et le dehors, il y explorait sa maison et ses jeux de lumière (El otro dia), la circulation entre les quartiers et leurs habitants chez qui il s'invitait, dessinant une nouvelle géographie de la ville ou bien mettant en scène la destruction de son quartier de Providencia où les maisons patriciennes sont balayées au profit d'immeubles destinés à la nouvelle bourgeoisie. Une dialectique de la destruction-construction que l'on retrouve aussi dans Notas para una pelicula, où la forêt primaire est détruite au profit du train et donc de la modernité.

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Autant de récits, de pistes de réflexion, de traces mémorielles, depuis son premier film, No Olvidar (1982) sur le massacre de Lonquen jusqu'à celui en gestation actuellement, Cartas a mis padres muertos, construit à partir de films réalisés par ses parents -dont on apercevait les portraits au mur dans de précédents films- et par lui-même. Des histoires de temps qui passe qui ouvrent sur d'autres pistes. Au fil de sa filmographie, présentée à Travelling à Rennes, on reconnaissait d'un long-métrage à l'autre des séquences empruntées à de précédents films, comme un jeu de poupées russes mais qui ne seraient jamais les mêmes exactement. Agüero nous fait remarquer que la séquence où l'on voit le train apparaître sur le quai de ce que l'on croit être la gare d'Angol dans Notas, est en réalité le célèbre film des frères Lumière, L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat. Et qu'il avait utilisé le même extrait dans un autre de ses films, Cent enfants attendant le train (1988). 

C'est quoi le cinéma ? Voilà une question que se pose inlassablement Ignacio Agüero qui aime à se livrer à une sorte de « divagation cinématographique » comme il le raconte joliment. « Le cinéma, c'est comme l'océan », nous dit-il, et les premières images du film Notas para una pelicula sont justement l'océan et un bateau immobile sur l'horizon. L'océan, comme le cinéma, c'est insondable aussi la forme peut et doit être sans cesse renouvelée, repensée, et c'est ce à quoi il s'emploie, notamment dans ce dernier film classé comme documentaire, mais où la fiction s'est imposée. Agüero se veut libre d'inventer la forme de son récit, d'où sans doute son refus catégorique de tout scénario, pensé comme un carcan. Pour obtenir des subventions publiques pour ses films, il se doit d'écrire un scénario, mais il se fait fort de vite l'oublier...

À la fin de ce dernier long métrage, l'équipe du film s'en va, quitte l'Araucanie. On a le sentiment que, dans le véhicule qui ramène les personnages -réalisateur compris- vers la capitale, pèse une grande nostalgie. Adieu au tournage qui se termine ? Adieu à une nature sauvage vouée à disparaître ? Adieu à une communauté dont on ne sait si elle parviendra à sauver sa culture ? Toutes les options sont ouvertes, nous dit Agüero, c'est à chaque spectateur, de Santiago à Bucarest en passant par Kinshasa, de trouver sa propre vérité.

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