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Crise en Haïti: «Il faut que nous retournions à une démocratie formelle»

Après les mouvements de protestation qui ont viré aux scènes de pillages et de vandalisme sur tout le territoire le week-end dernier, certains commerces ont pu rouvrir à Port-au-Prince ce jeudi. La situation reste tendue et le carburant introuvable, ou presque. De passage à Paris pour présenter son dernier roman au festival America, Emmelie Prophète, la ministre haïtienne de la Culture et de la Communication, répond aux questions de RFI.

RFI : Les Haïtiens manifestent depuis plusieurs semaines sur tout le territoire contre la flambée des prix, la rareté du carburant ou encore l’insécurité. Comprenez-vous leur colère ?

Emmelie Prophète : Complètement, oui. La vie est très difficile. La situation de misère est inacceptable, donc les gens manifestent à bon droit. Cela dure depuis très longtemps, peut-être depuis 220 ans. La situation empire. Moi, personnellement, je comprends parfaitement la colère des gens.

La population manque d'eau potable, de nourriture, de liquidités, de carburant. Les stocks des organisations humanitaires ont été pillées, notamment l'aide alimentaire. Quand les Haïtiens vont-ils recevoir de l'aide de la part de votre gouvernement ? Quelle forme prendra-t-elle et qui va la recevoir en priorité ?

Les plus précaires certainement. Le Premier ministre a lancé un appel au calme. Nous souhaitons que le calme revienne pour commencer à réfléchir sur un plan, pour mettre en route cette aide dont les gens ont besoin. Les blocages des jours derniers ont empêché la circulation des gens et des biens. Nous sommes au courant des problèmes. Depuis quelques heures, cela semble se calmer. Donc mon collègue du ministère des Affaires sociales, notamment, fait de son mieux pour qu’une forme d'aide arrive à ces populations et que l’on commence à étudier les problèmes de ceux dont les biens ont été vandalisés, notamment les commerces.

De nombreux établissements ont été pillés et vandalisés. La rentrée des classes, déjà repoussée au 3 octobre, va-t-elle avoir lieu ?

Mon collègue de l’Éducation nationale pourrait mieux répondre à cette question que moi. Mais que je sache, la rentrée est maintenue, car il faut que nos enfants retournent à l’école. Cette rentrée va peut-être permettre de voir ce qui peut venir en terme d’aide, comment faire pour aider les parents et ces écoles qui ont été pillées. J’ai lu que dans le département de l’Artibonite, des gens retournaient le matériel dérobé. C’est un très bon message.

Les Haïtiens manifestent aussi, entre autres, contre l'insécurité. Les gangs contrôlent une grande partie du territoire national. Sur notre antenne, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, estimait qu'il fallait rétablir la sécurité en Haïti en renforçant les capacités de la police nationale haïtienne, jugée « inefficace ». Il évoquait aussi, en attendant, la mise en place « d’une force robuste », capable de combattre les gangs. Est-ce une demande de votre gouvernement à l'ONU ?

Non, pas que je sache. Ce n'est pas une demande du gouvernement. Le gouvernement croit qu'il faut renforcer la police nationale et a d’ailleurs commandé du matériel pour la police. Ce matériel tarde à arriver. Nous attendons impatiemment ce matériel pour la police nationale, qui continue de nous dire qu'elle peut venir à bout de la situation.

À quoi cela sert-il de soutenir la police, de la renforcer, si derrière la justice n'est pas fonctionnelle ?

Il y a des problèmes institutionnels. C’est le cas de toutes nos institutions. Comme le problème des gangs, cela date particulièrement du tremblement de terre de 2010. Il y a un pays à construire. Il y a des décisions importantes à prendre pour que des institutions régaliennes, comme la justice, redeviennent des institutions au service de la population. Il y a tellement de choses à faire que cela laisse perplexe. Beaucoup de gens se disent à raison : « Vont-ils y arriver ? Par où vont-ils commencer ? » La justice est un problème : il n’y a pas de répression lorsqu’il y a des actes criminels. Nous avons besoin de plus de civisme, nous avons besoin que les institutions jouent leur rôle. Il y a tout à faire en même temps et renforcer la police fait partie de ces choses importantes. C'est lié à la justice, forcément.

Le Premier ministre Ariel Henry promet de mettre le pays « en mode électoral », avant la fin de l'année. Comment organiser des élections alors que les institutions ne sont plus fonctionnelles ?

Il faut que nous retournions à une démocratie formelle. Seul un gouvernement légitime peut prendre un certain nombre de décisions, notamment pour réhabiliter les institutions régaliennes. Faut-il continuer à avoir des transitions, des transitions et des transitions qui vont toujours être contestées et illégitimes ? Aujourd’hui, c'est un fait, il y a beaucoup de contestations et de frustrations. Mais une autre transition occasionnerait autant de frustrations. La solution aujourd'hui passe par des élections qui vont permettre un retour à l'ordre formel.