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Dans la forêt boréale canadienne, une station de recherche pour prospecter le passé, le présent et le futur

La station de recherche de la Forêt d'enseignement et de recherche du Lac Duparquet (FERLD), en Abitibi-Témiscamingue, héberge le Laboratoire international de recherche sur les forêts froides, qui étudie les écosystèmes forestiers montagnards et boréaux. À huit heures de route au nord de Montréal, elle accueille des dizaines d'étudiants qui travaillent sur les caractéristiques passées, présentes et futures de la forêt, pour mieux comprendre le changement climatique en cours.

De notre correspondant,

« Vous avez besoin d'aide ? » Notre sauveur, Yvan Poirier, gérant de la station de recherche de la FERLD, descend de son 4x4 pour pousser notre voiture. Dorian Gaboriau, coordinateur du Laboratoire sur les forêts froides, que nous tentons de rejoindre, nous avait pourtant prévenu que le verglas allait être de la partie. En ce début de mois de décembre, les températures négatives de la région québécoise de l'Abitibi-Témiscamingue, associées à des pluies, ont transformé le chemin qui mène à la station en patinoire. Notre petite voiture enfin garée sur le côté, le 4×4 aux pneus cloutés d'Yvan prend le relais.

Après cinq minutes sur le chemin verglacé, les cinq bâtiments de la station se dévoilent entre les conifères. Une silhouette emmitouflée dans son manteau nous fait signe sur le parking. Après de rapides présentations, Dorian Gaboriau nous conduit dans le pavillon Desjardins, le seul logement ouvert l'hiver. « Il n'y a qu'Yvan qui habite ici toute l'année. Sinon, les équipes de professeurs et étudiant(e)s tournent. Moi, j'alterne : environ un mois ici pour mes recherches de terrain et de laboratoire, puis un mois à Montréal pour rédiger », précise le jeune coordinateur en enlevant son bonnet. 

Un écosystème ultra-stratégique

La neige s'écrase sur la fenêtre. Les arbres, dont le vieux cèdre juste en face du chalet, sont déjà recouverts de poudreuse. La forêt boréale représente un tiers des forêts mondiales et comprend l'ensemble des forêts qui encerclent la zone polaire, comme celles du Canada, de l'Alaska, des pays nordiques, de la Russie et de Chine, avec des particularités propres à chaque région. Dorian Gaboriau détaille : « Ici, nous sommes dans une forêt boréale mixte : on est dans le domaine de la sapinière à bouleau blanc, entre le domaine de la sapinière à bouleau jaune au sud et la pessière noire à mousse au nord ».

Au Canada, les fonctions de la forêt boréale sont multiples, culturellement comme écologiquement. « C'est un lieu récréatif, un lieu important pour les communautés autochtones, pour le maintien de leurs activités traditionnelles, on parle de cueillette, on parle de chasse, on parle d'activités spirituelles, également en lien avec la forêt. Et puis la forêt boréale a des fonctions économiques et un rôle par rapport au changement climatique, en termes de puits de carbone, mais aussi pour la biodiversité, avec la préservation des espèces », détaille Dorian. Une fonction économique, aussi. En Abitibi-Témiscamingue, l'industrie forestière peut exploiter près de 51 000 km² de forêts, soit 88% du territoire, d’après le conseil régional de l’environnement. Les « chemins » de l'industrie - comprendre des routes entre deux et dix mètres de large - serpentent sur plus de 63 000 km et morcèlent les habitats fauniques.

C'est d'ailleurs un des nombreux intérêts de la station de la FERLD. Grâce aux résultats de leurs recherches, les scientifiques échangent régulièrement avec les entreprises et les institutions locales et gouvernementales pour leur transmettre des pratiques forestières plus vertueuses.

Initiative internationale

Dans les bâtiments de la station de recherche, entourés de traces de lynx et de castors, isolés dans la forêt, les enjeux des dérives de l'exploitation forestière, tout comme ceux de la COP15 sur la biodiversité qui se tiendra à Montréal dans quelques jours, semblent bien loin. Mais l'isolement du site n'est qu'apparent : la station de recherche, inaugurée en 2005, est ouverte sur le monde. Le Laboratoire international de recherche sur les forêts froides, lui, est une initiative franco-québécoise, entre les universités de Montpellier, de Franche-Comté, d'Abitibi-Témiscamingue.

Trente à quarante étudiants québécois et internationaux se relaient tout l'été pour mener leurs recherches à bien, profitant d'une forêt d'enseignement de 8 000 hectares. Dorian en a lui-même bénéficié : il a effectué sa thèse en paléoécologie sur les feux de forêts entre la France et le Québec. « L'intérêt de la cotutelle, c'est qu'on passe la moitié de sa thèse dans l'une des universités, l'autre moitié dans l'autre université, donc on profite à la fois des compétences, des savoir-faire de chaque laboratoire. C'est un peu le ciment de la relation France-Québec sur lequel se greffent des professeurs de chaque université », explique le jeune chercheur. Des scientifiques de France, du Québec ou d'ailleurs, dont certains membres du Laboratoire international de recherche sur les forêts froides, conduisent régulièrement leurs analyses sur le site et encadrent les étudiants.

Marion Blache, doctorante en paléoécologie, est arrivée en janvier dernier à Rouyn-Noranda, une ville minière de plus de 40 000 habitants, située à 45 minutes de route de la station de recherche. Elle a pu vivre pendant plusieurs mois au laboratoire avec une dizaine d'autres étudiants durant l'été. « On est très solidaires entre nous. On échange sur nos recherches, ça nous permet de nous ouvrir, de ne pas nous limiter à nos sujets, et parfois, on se donne des coups de main pour des prélèvements », explique l'étudiante.

Du passé au futur forestier

La station de recherche possède un pôle en dendrochronologie et un autre en paléoécologie. Derrière ces noms barbares se cache un concept simple : remonter le temps. La dendrochronologie est l’étude des cernes de croissance des arbres, pour refléter la vie de son arbre et les facteurs naturels qui ont affecté leur croissance. « On peut remonter jusqu'à mille ans d’Histoire, car nous avons ici, à notre connaissance, les arbres les plus vieux du Québec, des cèdres ou thuya occidental », s'enthousiasme Dorian. Mais lui est plutôt spécialisé en paléoécologie. « On change d'échelle de temps. D'une analyse à la saison près, mais limitée à une échelle d'un millénaire grâce aux cernes des arbres, on peut retracer l'existence d'un grand feu jusqu'à la dernière glaciation, il y a 10 000 ans ! » Des carottes de sédiments sont prélevées dans les lacs d'argile des alentours, puis étudiées dans les laboratoires pour révéler la vie passée de la forêt boréale. Une véritable « bibliothèque d'informations sur les dynamiques passées des écosystèmes et de leurs perturbations », résume Dorian.

Dorian Gaboriau, coordinateur du Laboratoire sur les forêts froides.
Dorian Gaboriau, coordinateur du Laboratoire sur les forêts froides. © Léopold Picot/RFI

En plus de l'intérêt purement historique, la paléoécologie et la dendrochronologie permettent de mieux anticiper le futur. Les impacts humains directs sur la forêt boréale sont connus : déforestation, perte de biodiversité. Mais qu'arrivera-t-il à la forêt quand le plus grand impact humain, le dérèglement climatique, sera à son plus fort ? Dorian rappelle : « Le changement climatique a déjà des effets sur les écosystèmes boréaux, c'est certain, que ce soit sur la croissance des arbres, les changements de structure, de composition et la modification du régime des perturbations naturelles, comme les feux, les épidémies d’insectes, ou encore les perturbations anthropiques. »

L'étude de l'Holocène, la période géologique qui s'étend de la dernière glaciation à notre époque, pourrait apporter des pistes de réponses. « Lors de l'Holocène moyen, les températures étaient plus élevées qu'aujourd'hui. Certaines espèces étaient présentes, d'autres non sur le territoire. Le problème, c'est que le changement climatique actuel sera très rapide, bien plus rapide que sous l'Holocène. Les espèces n'auront sans doute pas le temps de migrer, et il faut donc tenter d'anticiper le plus rapidement possible et trouver des pistes pour tenter d'adapter les forêts », explique Marion.

Malgré la neige, Dorian nous accompagne faire un tour sur le sentier du balbuzard, qui longe le lac. Ici des bouleaux, des vieux troncs morts sur pied de peupliers, des jeunes pousses… Là, des cèdres, des épinettes, des traces de castors, des mousses. Dorian se rappelle qu'au début de ses recherches, ce qui l'a le plus marqué, c'est le caractère évolutif de la forêt boréale : « On voit beaucoup les forêts froides comme des forêts statiques, bien loin de l’image qu’ont les forêts équatoriales, comme l'Amazonie. Ce sont pourtant des écosystèmes ultra-complexes en constante évolution, avec des espèces et des régimes de feux variés selon les régions du Québec, du Canada et de la zone circumboréale. »

Aujourd'hui, face au réchauffement climatique, la forêt boréale évolue, mais pas assez vite pour s’adapter au changement climatique rapide. Ses conséquences se font déjà sentir au nord-ouest du Canada, et la biodiversité en pâtit. Un rappel que les futurs de la biodiversité et du climat sont plus que jamais étroitement liés, alors que la COP15 sur biodiversité s'ouvre à Montréal, quelques semaines après la COP27 sur le climat en Égypte.