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«En nous tirant dessus, ils ont voulu nous faire taire»: le récit d'un collègue de Shireen Abu Akleh

Après quatre mois de tergiversations, l’armée israélienne a fini par reconnaître la semaine dernière sa « probable » responsabilité dans la mort de Shireen Abu Akleh. « Il y a de fortes chances que la journaliste ait été tuée par un tir de soldat israélien », a-t-elle indiqué. Cette Palestino-américaine, reporter vedette d’Al Jazeera, a été abattue d’une balle dans la tête en mai 2022, à Jénine, en Cisjordanie occupée. Depuis, une multitude d’enquêtes menées par des médias internationaux, et par l’ONU également, ont incriminé Israël. Plus encore, dès les premiers instants qui ont suivi sa mort, des journalistes palestiniens présents sur place ont confirmé la responsabilité d’Israël. Mais l’État hébreu avait engagé une véritable bataille de communication pour dédouaner son armée. RFI s'est rendue sur les lieux du drame avec Ali al-Samoudi, un collègue de la journaliste, blessé également. 

« J’étais le premier sur les lieux ce matin-là. Je me suis renseigné pour savoir où se trouvait l’armée israélienne et où se déroulaient les affrontements avec les groupes palestiniens. Là-bas se trouvaient des blindés israéliens, au niveau de cette voiture jaune en face de nous », rapporte Ali al-Samoudi. 

► À lire aussi : Israël: l'armée reconnaît sa «probable» responsabilité dans la mort de Shireen Abu Akleh

RFI : Le blindé de l’armée israélienne était à peu près à 300-400 mètres d’ici ?   

Ali al-Samoudi : « Plutôt 200 mètres. Leur sniper peut bien sûr voir jusqu’à 3 000 mètres. Nous étions habillés en journalistes : casque et gilet pare-balles, avec la mention "PRESS", en anglais. Nous nous sommes alors mis à découvert durant cinq minutes devant l’armée, pour laisser aux soldats le temps de nous identifier. Évidemment, en tant que journalistes palestiniens, nous ne travaillons pas en coordination avec l’armée israélienne. Sur le terrain, nous communiquons via des signaux. Durant cinq minutes, nous sommes restés à découvert devant les soldats à attendre leurs instructions. Nous vivons sous occupation. Nous savons que la vie d’un Palestinien n’a aucune valeur pour l’armée israélienne. Et donc, nous nous conformons toujours aux consignes de l’armée. »

Comment avez-vous su que l’armée israélienne vous avait bien identifiés ?  

« Nous sommes restés longtemps à découvert devant les soldats. On parle de l’armée israélienne, une armée moderne et suréquipée. Comme les soldats ne nous ont pas demandé de quitter la zone, nous nous sommes engagés dans la rue où ils étaient. À ce moment-là, la rue était déserte. Il n’y avait ni affrontements, ni groupes armés palestiniens. Et donc, alors que nous marchions vers les soldats, il y a eu un premier tir. J’étais en tête de cortège. Je me suis retourné, et j’ai dit à Shireen qui était juste derrière moi : "L’armée tire. On doit quitter la zone."  Je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase... J’ai senti comme une explosion dans mon dos. J’ai su qu’on m’avait tiré dessus.  

Shireen a alors crié : "Ali est touché !"

La balle suivante était pour elle. Elle est tombée ici, à cet endroit. C’est là qu’elle est morte. »   

Quel est l’intérêt d’Israël de cibler des journalistes. Et surtout des journalistes qui travaillent pour des médias internationaux ?  

« Ce n’est pas le sniper israélien qui nous a tiré dessus qui a tué Shireen. C’est son commandant. Le soldat ne prend pas d’initiative. Il applique les ordres. L’armée d’occupation israélienne nous a tiré dessus parce qu’elle ne souhaitait pas qu’il y ait une couverture médiatique de son opération. Nous, journalistes, nous exposons au grand jour les violations commises par les forces d’occupation israéliennes. En nous tirant dessus, ils ont voulu nous faire taire au moment où ils menaient une opération d’envergure à Jénine. » 

Vous avez aussi été blessé. Est-ce que c’est toujours douloureux pour vous ?  

« C’est la septième ou huitième fois de ma carrière que je suis atteint par un tir israélien. Je vis dans une peur et un stress permanents. Sous le regard du monde entier, Israël a tué Shireen, et moi, j'ai échappé à la mort comme par miracle. On m’a tiré dessus… j’ai eu de la chance. Car ils ont visé mon cœur, et c’est au moment où je me suis retourné que la balle m’a atteint dans le dos. L’armée israélienne filme toutes ses opérations. Généralement, ils en publient même des extraits. Je les mets au défi de diffuser les images de cette opération-là. Mais ils ne le feront pas, parce que cela prouvera clairement leur culpabilité. »

Ce n’était pas une bavure ?  

« Non. La preuve, après m’avoir touché, ils ont continué de tirer et ont fini par tuer Shireen. Shireen était une collègue, une amie, une sœur. Nous avons travaillé ensemble durant 25 ans. Le jour de sa mort, c’est moi qui l’ai réveillée. Je l’ai appelée pour lui dire qu’une opération de l’armée était en cours. Elle avait commencé sa journée en disant : "Bonjour Ali." Ses derniers mots ont été : "Ali a été touché." Elle a crié pour demander qu’on m’aide. Elle s’est sacrifiée pour une cause juste. Elle a été tuée de sang-froid. Elle est la voix de la Palestine qu’on ne fera pas taire. Nous avons un slogan aujourd’hui : "Shireen est en vie. La couverture se poursuit.»  

Merci beaucoup.  

« Adieu Shireen Abu Akleh. Paix à son âme. »