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Faillite de la SVB: «Dans la Silicon Valley, tout le monde avait peur»

Slimane Boumedine est le directeur financier de Physna, société californienne spécialisée dans la recherche 3D, victime de la faillite de la Silicon Valley Bank. Ce Franco-Algérien installé depuis une quinzaine d’années aux États-Unis a vécu de très près la panique du secteur de la tech. Il livre une analyse critique de cette situation inédite.

RFI : Qu’est-il arrivé à votre entreprise le 8 mars, jour de la faillite de la SVB ?

Slimane Boumedine : Ce matin-là, nous étions en état de choc. SVB est l'une des banques avec laquelle nous faisons nos transactions. Lorsque nous avons appris qu’elle pourrait être en défaut, nous avons mis en place notre régulation financière interne. Nous avons eu la chance de pouvoir transférer en interne tout l’argent qui était sur le compte opérationnel sur un compte qui n'est pas dans leur bilan et qui nous permettait plus tard de récupérer notre argent de façon garantie. Mais il y a une peur qui s'est installée dans toute la Silicon Valley.

Un phénomène de bouche à oreille entre les entreprises de la tech et avec les sociétés de capital-risque ?

Exactement. Et le problème, c'est que les sociétés structurent leurs services financiers différemment. Certaines ont cru, à tort ou à raison, qu'elles seraient touchées, ce qui a créé un effet boule de neige. Jusqu’à ce que dimanche soir la Fed annonce son plan, je peux vous dire que tout le monde avait peur, même moi qui savais que la façon dont j'avais structuré le service financier nous permettait de subir le minimum d'impact.

Comment analysez-vous cette faillite ? Les risques ont été sous-évalués par la SVB ?

Si l’on regarde les commentaires des clients actuels de la banque, tout le monde était satisfait du service et des employés. C'est une banque qui a très bien compris les opportunités et les risques que comporte la tech. Nous avons donc découvert avec effroi que la direction avait mal géré ou mal anticipé le retournement de la Fed sur les taux d'intérêt. Cela pose une autre question : aura-t-on une banque prête à s'aventurer dans ce secteur et à soutenir ses entreprises ?

Aux États-Unis, il y a une agence de garantie des dépôts bancaires. Est-ce que ça vous rassure ?

Oui et non. En tant que simple dépositaire, pour moi-même, 250 000 dollars garantis, ça pourrait suffire. Pas pour des entreprises. Leurs besoins sont beaucoup plus importants. L’assurance fédérale a décidé que toutes les personnes qui avaient des dépôts, quel que soit le montant, seraient garanties à 100%. Mais jusqu’à quand ? C'est ça le problème. Il y a beaucoup de voix qui s'élèvent pour demander que ce plafond soit réévalué pour les déposants et surtout pour les entreprises. Ce serait la meilleure chose à faire parce qu'un déposant ne devrait pas être pénalisé par un actionnaire qui a voté pour une direction qui a mal géré sa banque.

Est-ce que c'est une leçon pour les start-up et les investisseurs de la tech ? Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et diversifier leurs dépôts ?

Quand j’ai fait la queue à la réouverture de la SVB, je me suis aperçu que la majorité des start-up n'utilisait qu'une banque et un compte, et donc ne respectent pas les basiques fondamentaux financiers. Il faut avoir plusieurs banques, même si cela prend du temps de faire les démarches administratives. C'est la première chose à faire en cas de problème ou si l'on est en conflit avec sa banque. Nous, nous en avions trois.

Êtes-vous un peu plus tranquille maintenant ? Janet Yellen, secrétaire au Trésor, affirme que la situation du secteur financier aux États-Unis est stabilisée.

Le problème, c'est l'émotionnel des déposants. Nous avons vu qu'en un ou deux jours, plusieurs grandes banques sont intervenues et ont déposé à First Republic 30 milliards de dollars pour soutenir cette banque. Si l’on regarde simplement d'un point de vue économique, il n'y a pas de risque systémique en principe. Mais l'émotionnel est un facteur important lorsque l’on touche au porte-monnaie. Il y a de larges mouvements de capitaux. Pour moi, il faudrait que la Fed et l'administration Biden annoncent que tous les dépôts sont garantis, quel que soit le montant. Il faut mettre en place un système où la banque de dépôt et la banque d'investissement gardent assez de dépôts en interne pour éviter ces problèmes futurs.

Dernière chose : racontez-nous votre parcours personnel. Comment en êtes-vous arrivé là ?

J’ai fait un bac technologique en France, dans la banlieue de Metz. J'ai été au chômage, j'ai été femme de ménage au Luxembourg, enfin « agent d'entretien » comme l’on dit. Cela veut dire pour les jeunes qui viennent de banlieue que s'ils croient dans leur propre destin et s’ils travaillent, ils peuvent réussir. J’ai un bac technologique et aujourd'hui, je travaille pour Sequoia Capital, pour Tiger Global. Et ça, c'est l'éducation en France qui me l'a permis. On a une très bonne éducation en France, grâce aux professeurs qui croient en nous. Les jeunes doivent se dire : « plus tard, si je veux être quelque chose, je peux réussir ».

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