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Fipadoc: Cobalt, le rêve électrique en Occident et l’envers en Afrique?

De l’extraction jusqu’à la vente, l’histoire de la filière du cobalt – essentiel pour faire fonctionner les batteries des smartphones et voitures électriques – est truffée de scandales. Et 70% de la production mondiale se trouve au Congo. Au Festival international du film documentaire à Biarritz (Fipadoc), Quentin Noirfalisse et Arnaud Zajtman ont présenté leur long métrage d’investigation « Cobalt, l’envers du rêve électrique ». Entretien.

RFI : Quelles informations nouvelles apporte votre documentaire sur les conséquences néfastes de l’exploitation du cobalt ?

Quentin Noirfalisse : L’intérêt de ce documentaire pour le public européen et le public africain, et en particulier congolais, c’est d’aller en profondeur dans toute la chaîne d’approvisionnement du cobalt. Il y a l’extraction minière avec les mines industrielles et leurs problèmes comme la corruption, les dégâts environnementaux ; il y a les problèmes des mines artisanales : beaucoup parlent du travail des enfants, mais il y a aussi des enjeux sanitaires pour les creuseurs. Il y a le problème de la domination du marché, notamment par des acheteurs chinois ou internationaux, comme Glencore [entreprise anglo-suisse avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 200 milliards d’euros, NDLR].

La force du documentaire est de se baser sur d’excellents recherches et rapports faits depuis dix ans par des ONGS sur la question du cobalt et l’extraction minière à Kolwezi et Lubumbashi. Mais nous élargissons aussi le cadre pour nous poser la question des approvisionnements des matières premières en Europe. Avec le passage au véhicule électrique, le continent européen se retrouve dans une situation assez compliquée à gérer : il y a une grande dépendance aux batteries chinoises pour nos véhicules, téléphones, ordinateurs. En même temps, il y a une volonté de l’Europe de se rendre un peu plus indépendant à travers du plan « Alliance européenne pour les batteries ». Mais où est-ce qu’on trouve la matière première ?

Ce débat est en train d’exploser avec la réouverture des mines en Europe. Par exemple, nous, en Belgique, nous avons eu des débats pour ouvrir les mines. Pour cela, on fait un parallèle entre la situation congolaise et la situation finlandaise. C’est un apport du documentaire.

Et pour la partie congolaise ?

Nous donnons la parole aux Congolais, à des Congolais en action : un avocat défendant les droits humains et qui lutte pour obtenir des réparations, notamment pour des personnes victimes de corruption au Congo, impliquant une société basée au Luxembourg, Eurasian Resource Group, et Dan Gertler [un homme d’affaires et milliardaire israélo-américain, NDLR], très proche de l’ancien président congolais Joseph Kabila. On montre le travail de Célestin Banza Lubaba Nkulu, un pionnier de la recherche sur l’impact environnemental de l’exploitation minière dans la région de Lubumbashi, avec des fortes suspicions de risques de déformation pour les enfants, avec des dangers pour l’ADN des personnes et des riverains des mines. Le film permet de montrer que la situation peut paraître très difficile au Congo mais, par contre, il y a une société civile, des chercheurs, des scientifiques, qui interviennent, s’activent et demandent au monde politique et aux entreprises de prendre cela en compte.

Votre documentaire est intitulé Cobalt, l’envers du rêve électrique. Peut-on dire que l’envers se trouve en Afrique, et le rêve surtout en Europe et en Occident ?

Le rêve de la voiture électrique reprend les codes de la publicité de la voiture à combustion classique. C’est-à-dire la promesse de garder une liberté, une mobilité, d’avoir un véhicule technologique qui pourrait conduire bientôt toute seule… C’est ça le rêve qu’on nous vend. En fait, il faut que tout change pour que rien ne change. Ce qui nous a marqués, c’est à quel point le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, en charge de cette Alliance européenne pour la batterie, ne nous a pas vraiment parlé d’autres alternatives de mobilité pendant notre interview.

Mais l’envers est pour tout le monde. Il y a d’abord les effets très concrets de l’exploitation minière. On le montre au Congo, mais cela existe dans plein d’autres pays – quand cela touche le nickel, c’est en Indonésie, quand cela touche le cuivre ou le lithium, c’est en Amérique latine… C’est-à-dire exploiter des ressources de façon durable, c’est compliqué. Et côté européen, nous n’avons pas trop senti une remise en question de nos modes de vie.

Quentin Noirfalisse, coréalisateur avec Arnaud Zajtman du documentaire « Cobalt, l’envers du rêve électrique », présenté au Fipadoc 2023 à Biarritz.
Quentin Noirfalisse, coréalisateur avec Arnaud Zajtman du documentaire « Cobalt, l’envers du rêve électrique », présenté au Fipadoc 2023 à Biarritz. © Siegfried Forster / RFI

Vous vous concentrez sur le cas de mine à Kolwezi, en RDC. Vous montrez des travailleurs, les ONG, le rapport d’Amnesty International. Au bout, y a-t-il le rêve qu’une exploitation pourrait être réaliste même avec des normes européennes ?

Ce qui était intéressant, au Congo, nous n’avons pas rencontré une seule personne qui nous a dit qu’elle est à cent pour cent contre l’exploitation minière ou qu’il faut tout arrêter. Les Congolais se rendent compte que c’est une source de financement importante pour l’économie du pays. Après, est-ce que l’État congolais en profite ? Beaucoup de gens ne sont pas d’accord et considèrent que l’État congolais n’en profite pas assez. Les sociétés internationales, les sociétés chinoises seraient les grandes gagnantes de cette exploitation.

En revanche, il y a beaucoup de normes environnementales qui sont en place au Congo. L’appareil juridique, légal, n’est pas si mauvais, le problème, c’est la mise en place. Donc, nous sommes face à une situation relativement compliquée, mais avec l’impression que ce n’est pas forcément une fatalité, parce qu’on a des pays africains qui ont réussi à mettre la main sur leur filière, comme, par exemple le Botswana avec les diamants. Il s’est dit : ce qui a été extrait ici doit être transformé ici. Parce que c’est la transformation qui crée l’emploi.

Une extraction respectueuse des normes environnementales est-elle possible ?

Nous montrons dans le film, que, même en Finlande, pays en tête de tous les classements environnementaux, un pays extrêmement riche, etc. il y a des problèmes. Il y a eu des pollutions dans le passe, des procès, lancés par des pêcheurs, etc. Donc, c’est un vrai choix de société : a-t-on réellement besoin de cette activité minière ? Il n’y a pas d’autres solutions ?

Il y a quelque chose qui m’a frappé. Un directeur d’une coopérative artisanale à Kolwezi m’a dit : « Moi, je prépare l’après-mine, parce que je sais qu’un jour il n’y aura plus rien. » Lui, il est en train de se convertir vers l’agriculture.

Pas de cobalt sans Chinois. Pourquoi, aucun acteur chinois ne prend-il la parole dans le film ?

Nous avons essayé. Le problème, c’est que les Chinois n’ont pas beaucoup d’intérêts à donner une interview à un film documentaire européen. Et ils pratiquent dans une certaine opacité. Sinon, ils sont visibles dans l’espace public. Il n’y a rien de caché. Les acheteurs chinois de cobalt artisanal sont là. Ils vont dans certaines conférences internationales. Quand ils sont interpellés par certains rapports d’ONG internationales assez préoccupants, il y a quand même des formes de réponses. Par rapport à il y a quelques années, il y a quand même une certaine ouverture chez certains acteurs, parce qu’ils vendent du cobalt à des sociétés européennes, etc. Mais on n’est pas du tout arrivé à une transparence.

La responsable durabilité de l’approvisionnement du groupe Volkswagen dit dans le film : « Pour nous, la Chine est très opaque. Nous ne savons pas ce qui se passe. » Je trouvais ça frappant venant de quelqu’un en charge du programme d’un groupe comme Volkswagen qui investit plusieurs dizaines voire centaines de milliards d’euros dans son passage en électrique.

Au-delà des Chinois, vous avez aussi eu beaucoup de difficultés à obtenir des interviews avec les industriels en Europe et aux États-Unis. Est-ce qu’il y a aussi la question démocratique qui se pose ici ?

Pour les constructeurs automobiles, seul Volkswagen a accepté de nous contacter. D’autres ont dit oui, puis retourné leur veste de façon bizarre. En Belgique, une grosse fonderie de matières premières, et notamment du cobalt, nous a donné quand même une forme d’accès, mais en prenant une position très frileuse sur les enjeux de la corruption. Au Congo, le secteur du cobalt est concentré entre quelques mains. Alors si certains acteurs deviennent infréquentables… Par exemple, Glencore avait plaidé coupable pour corruption aux États-Unis, au Brésil, au Royaume-Uni, devant les juridictions de différents pays, suivi d’un accord portant sur des accusations de corruption en République démocratique du Congo. Au total, Glencor a accepté de payer des amendes qui montent à environ 1,6 milliard de dollars. Ce n’est absolument rien pour eux, cela représente environ 1 % de leur chiffre d’affaires. Face à ces acteurs-là, il n’y a pas beaucoup d’autres solutions.

Au travers du cas de la Finlande, vous posez aussi la question : l’extraction du cobalt sur le sol européen peut-elle être une solution pour l’Europe ? Selon votre documentaire, la solution pour une possible indépendance européenne réside plutôt dans le recyclage du cobalt. Est-ce un rêve de plus ?

Pour les ONG qui étudient cette question, le recyclage est fortement mis en avant comme une vraie solution où l’Europe pourrait se positionner, parce qu’il y a des compétences techniques, il y a un historique de réflexions autour du recyclage. Donc, c’est peut-être mieux d’investir dans cette chaîne industrielle pour garantir l’approvisionnement pour les batteries, etc, plutôt que d’ouvrir toute une série de mines sur un sol européen qui n’est pas un sol africain en termes de qualité. Dans le film, un consultant affirme que la teneur en cobalt dans les mines en Europe est de 30 à 40 fois moindre par rapport à certaines mines congolaises.

Le documentaire commence au Congo et finit en Finlande, et au début et à la fin, nous entendons une chorale locale chanter les craintes, les peurs, les dangers de l’exploitation minière du cobalt. Faut-il passer finalement par les émotions pour pouvoir transmettre aux spectateurs la réalité de l’envers du rêve électrique ?

Les scientifiques, qui consacrent beaucoup de temps à l’exploitation cobalt et qui ont très peu de moyens comme les activistes, disent de se servir d’une sorte d’émotion pour dire : « il faut y aller, il faut changer cela ». Dans un film d’investigation, on parle de la froideur des faits, mais je ne crois pas à l’inaccessible objectivité. On est touché par les gens qu’on rencontre. On va projeter le film au Congo la semaine prochaine en présence de différents intervenants du film.

Au Fipadoc, le film a été programmé dans la section « Impact ». Quel impact souhaitez-vous provoquer avec ce film ?

C’est un film tourné pour les gens qui achètent des choses qui fonctionnent avec des batteries : des véhicules, des outils technologiques… Le but était d’aller dans toutes les complexités pour que les spectateurs puissent se dire : ah, oui, effectivement, c’est un problème complexe qui appelle à des réponses complexes, mais moi, j’ai un rôle à jouer dedans, parce que moi, j’achète ça.