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Fipadoc: la vie d’un talibé dans un «daara» au Sénégal

Rien qu’à Dakar, le nombre de talibés – ces enfants de rue souvent exploités dans les daaras, les écoles coraniques – est estimé entre 50 000 et 200 000. Pour s’approcher le plus près possible de cette réalité très dure, le cinéaste belge Quentin Bruno a réalisé « Daara », un court métrage sous forme d’une contemplation visuelle, en banlieue dakaroise. Entretien au Festival international du film documentaire à Biarritz (Fipadoc).

RFI : Pourquoi avez-vous décidé de tourner à Dakar, au Sénégal, sur les talibés ?

Quentin Bruno : En 2015, 2016, je suis parti sur place avec une ONG, en tant que photographe, pour documenter la situation des talibés. Mais, en photo, il y avait quelque chose qui ne marchait pas dans ce reportage. Donc, j’ai voulu revenir, cette fois-ci en vidéo, pour réussir à documenter la situation comme je voulais.

Qu’avez-vous cherché en vidéo que vous n’aviez pas trouvé en photo ?

Les silences. Les moments de flottement. Et j’ai cherché à créer une atmosphère via un montage ou une atmosphère sonore, ce qui n’était pas possible en photo.

Le film est dédié à Youssoupha. Qui est ce garçon ?

Youssoupha est le personnage principal de mon court métrage. C’est l’enfant que j’ai pu suivre pendant ce documentaire. Un enfant adorable. Nous avons vraiment eu une belle relation. Pour cela, le film lui est dédié. Il vient de Guinée-Conakry. C’est un daara qui est principalement rempli d’enfants de Guinée-Conakry. Il disait d’avoir 16 ans, mais ils ne savent pas tous leur âge. J’ai l’impression qu’il est plus jeune physiquement. Ses aspirations, étonnamment, c’est de devenir marabout, maître coranique.

Au début du film, nous entendons un muezzin, puis nous entrons dans cette école coranique et observons des enfants apprendre par cœur, écrire et réciter le texte sacré de l’islam. Comment avez-vous pu accéder à ce lieu ?

Je suis passé via une ONG qui aidait les enfants talibés sur place et avec qui j’avais de bonnes relations depuis 2015. Cela m’a aidé à créer une relation de confiance. Après, cela était beaucoup de travail sur le terrain pour réussir à se faire accepter par les parents, le marabout, réussir à me faire oublier sur place aussi – ce qui n’était pas facile non plus.

Quentin Bruno, réalisateur du documenteur « Daara », présente au Fipadoc 2023 à Biarritz.
Quentin Bruno, réalisateur du documenteur « Daara », présente au Fipadoc 2023 à Biarritz. © Siegfried Forster / RFI

Pourquoi est-ce un documentaire sans interviews, sans dialogues, uniquement basé sur les images et l’ambiance sonore sur place ?

D’abord, parce que je suis photographe à la base. Pour moi, c’était la meilleure manière de raconter ce sujet. C’est là, où je suis le plus à l’aise, parce que cela permettait de suggérer plus de choses, et d’être plus dans une douceur que d’avoir une voix off ou des interviews des intervenants différents, que ce soit les enfants, le marabout ou les ONG. Je voulais quelque chose basé sur une contemplation visuelle.

Cette contemplation visuelle repose sur des images presque innocentes. En même temps, il y a des cartons donnant des informations d’une réalité très cruelle, expliquant que les enfants dans les daaras sont souvent issus de familles très pauvres, qu’il y a souvent des abus, des maltraitances et des violences observés dans les daaras au Sénégal où les enfants sont obligés de chercher l’aumône pour le marabout. Pourquoi avoir séparé ces deux mondes : d’un côté les images douces, de l’autre côté des informations très dures ?

Il fallait quand même apporter un minimum de faits pour aider le spectateur à comprendre cette réalité, mais aussi les images et la lourdeur de sens de certaines choses qu’on peut observer dans le film. Ce contraste entre les deux était nécessaire pour pouvoir se rendre compte des faits – tout en restant dans une contemplation visuelle.

Dans le film, le petit garçon apprend le coran, cherche l’aumône pour le marabout, et tout le monde lui donne quelque chose, tout le monde semble être content, il n’y a aucun problème. À l’image, le système fonctionne, donc qu’est-ce qui va mal ?

Le problème, c’est qu’on fait face à des enfants qui doivent aller mendier. Et s’ils ne ramènent pas assez soit de riz, de sucre, de pain, ou d’argent, ils vont subir des violences physiques, psychologiques ou verbales par le marabout. Ce qui est évidemment inacceptable. Au-delà de ça, ils risquent d’être jetés dans la rue tant qu’ils ne ramènent pas assez d’argent, etc. Et un enfant qui dort dans la rue, il fait face à un nombre de dangers inimaginables. La problématique est là.

Le point de départ du documentaire est aussi une loi votée en 2005 au Sénégal qui rendait illégales l’exploitation des talibés et l’utilisation des enfants pour mendier. Vous y étiez en 2015, vous y êtes retourné pour votre documentaire. Avez-vous le sentiment que la situation s’est améliorée ?

Malheureusement, je n’ai pas constaté la moindre évolution. Après, je suis revenu dans le même quartier qu’à l’époque. Je sais que la police agit plus directement dans le cœur de Dakar, mais il y a quand même des enfants partout. Clairement, dans les banlieues et autour du centre, il n’y a personne pour contrôler la situation. Je n’ai vu absolument aucune amélioration depuis 2015.

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