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Gazoducs Nord Stream: six hypothèses pour expliquer les fuites

Ce jeudi, une quatrième fuite a été constatée au niveau des gazoducs Nord Stream 1 et 2 dans la mer Baltique. L’Europe, les États-Unis et la Russie évoquent tous un acte de « sabotage » délibéré, mais pour l’heure, il est impossible d'en certifier l’auteur ni ses motivations. RFI dresse six différentes hypothèses pouvant expliquer ces fuites spectaculaires. 

Depuis lundi 26 septembre, tous les regards sont tournés vers les gazoducs Nord Stream 1 et 2, pris dans un bras de fer politique depuis des mois. Situés dans la mer Baltique, au large de l’île danoise de Bornholm entre le sud de la Suède et la Pologne, les gazoducs relient la Russie à l’Allemagne, et avaient pour objectif de fournir l’Europe en gaz russe. Lundi 26 septembre, trois impressionnantes fuites, précédées d'explosions sous-marines, ont été identifiées, deux du côté danois et une troisième côté suédois. Une quatrième a également été repérée ce jeudi, selon un responsable de l'autorité suédoise. Plus de la moitié du gaz contenu dans Nord Stream 1 et 2, qui étaient hors-service et arrêtés depuis l’été, s’est déjà échappé, comme le rapportent les autorités danoises.  

Toutes les pistes sont sur la table pour tenter de comprendre l’origine de cet acte. Chacun se renvoie la balle, l’Europe et les États-Unis pointent la Russie du doigt, qui de son côté a ouvert une enquête pour « acte de terrorisme international » ce mercredi. Moscou accuse pour sa part Washington, qui juge l’insinuation « ridicule », et la Finlande soupçonne un « acteur gouvernemental ». Pour y voir un peu plus clair, RFI décrypte six hypothèses et les motivations des potentiels acteurs impliqués. 

L’hypothèse de défaillances accidentelles a rapidement été écartée. « Un accident est  totalement improbable », assure un expert en géopolitique et en énergie à RFI, qui a souhaité rester anonyme vu la  « sensibilité du dossier ». « Le tuyau de Nord Stream 2 est un tuyau complètement neuf, celui de Nord Stream 1 a dix ans, mais est également quasi neuf. Il faut aussi noter que leur épaisseur d’acier est considérable et les qualités des tuyaux sont adaptées à des conditions difficiles », ajoute-t-il. Selon le spécialiste, des accidents avec plusieurs jours d’intervalle sont inenvisageables. 

L’hypothèse d’un sabotage délibéré se confirme progressivement, comme l'indiquent les différents renseignements européens et russes. Mais s’agit-il d’un acte isolé ou d’un sabotage manœuvré par un pays ? Au vu de l’explosion, ce sont « plus d’une centaine de kilos de charge explosive » qui ont été déposés sur les gazoducs. L'institut norvégien de sismologie NORSAR, spécialisé dans la détection de tremblements de terre et d'explosions nucléaires, a estimé la deuxième détonation à 700 kilos. L’opération nécessite donc une intervention relativement complexe, à minimum 70 mètres de profondeur.

La question qui se pose, selon l’expert en géopolitique, est comment saboter ces gazoducs, et à partir d’où ? « À partir des installations qui partent de la Russie. Il y a aussi éventuellement des installations sur le point d’accès en Allemagne. Mais comment peut-on faire pour envoyer à partir de l’Allemagne des charges explosives qui explosent au milieu de la mer Baltique, s’il s’agit d’un acte individuel ? » Pour le spécialiste, l'hypothèse d’un sabotage solitaire reste très surprenante, en raison du niveau de sophistication des explosions. 

À lire aussi : Fuites dans les gazoducs Nord Stream: l'hypothèse d'un sabotage dans les esprits

La thèse de la participation étatique est de plus en plus privilégiée pour expliquer les fuites. Ce jeudi, le Kremlin a lui-même affirmé suspecter « l'implication » d'un État étranger, sans toutefois nommer un pays en particulier. Pourtant, certains experts en défense, ainsi que l’Occident, voient la Russie comme le coupable numéro un. Dans des tweets, l'analyste naval indépendant HI Sutton explique qu’actuellement, « la marine russe dispose de la plus grande flotte de sous-marins espions dans le monde. Ils sont basés en Arctique. Ils seraient capables de dégrader un pipeline dans la Baltique ». Selon le spécialiste en géopolitique souhaitant rester anonyme, de telles fuites permettent à la Russie de « faire appel à un cas de force majeure pour ne pas honorer ses contrats avec l’Europe en approvisionnement gazier via le Nord Stream 1 ». 

3. GUGI and the internet tapping subs
Today the Russian Navy has the largest fleet of spy submarines in the world. These are based in the arctic

They would be capable of damaging a pipe in the Baltic. However it seems improbable. pic.twitter.com/lSRo8i4gjs

— H I Sutton (@CovertShores) September 27, 2022

Cependant l’expert juge la piste russe peu crédible puisque Nord Stream 1 et 2 étaient déjà en arrêt depuis l’été, « la Russie a peu d’intérêts à ces fuites », et ces explosions sont « des dégâts immenses sur des actifs à valeurs considérables pour le pays ». Aussi, le spécialiste argumente que ce type d’accident décrédibilise encore plus la Russie comme fournisseur de gaz fiable. Selon lui, au lieu de saboter des gazoducs, le Kremlin pourrait de façon plus simple et plus efficace couper les canaux d’approvisionnement existants, « ils n’ont pas besoin de faire exploser leur gazoduc pour mettre en œuvre des mesures à l’encontre de l’Europe ». Le chercheur rappelle également que la Russie détient la clé de la porte d’entrée de Nord Stream, et pourrait simplement la verrouiller si elle désire assoiffer l’Union européenne. 

Il expose cependant une autre idée : « Les Russes, qui sont des climatosceptiques avérés, auraient pu vouloir ouvrir les vannes pour qu’il y ait plus de gaz méthane qui s’échappe dans l'atmosphère, mais cela me paraît totalement ubuesque. » 

Washington est un des adversaires les plus coriaces des gazoducs Nord Stream, et ce depuis des années. Avant l’invasion russe en Ukraine, le 7 février dernier, le président américain Joe Biden avait d’ailleurs évoqué la possibilité d'y « mettre fin » si Moscou intervenait militairement en Ukraine. La Russie a d’ailleurs intimé aux autorités américaines de lui donner des réponses sur l’implication du pays ce mercredi. « Le président américain est obligé de répondre à la question de savoir si les États-Unis ont mis à exécution leur menace », a lancé la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova.

Ainsi, pour l’expert en géopolitique et en énergie, la piste américaine demeure très probable. « Quand on regarde à qui profite le crime ? Ce n’est pas spécialement à la Russie, ce n’est sûrement pas aux Européens qui sont au contraire fragilisés dans leur approvisionnement en gaz. Alors à qui ? Aux producteurs, fournisseurs, et exportateurs de gaz naturel liquéfié, à savoir les États-Unis, le Qatar, l'Australie... On ne peut rien affirmer, mais objectivement, ce sont eux qui profitent et bénéficient de la situation. » 

D’un point de vue défensif et militaire, l’option de l’utilisation de drones sous-marins est plausible. « Un drone qui dépose 100 kilos de TNT à un endroit précis, ce n’est pas de la technologie très sophistiquée d’autant plus que la profondeur d’eau dans la mer Baltique est plutôt faible. Par exemple, un drone est plus simple à utiliser que de mobiliser des nageurs de combat, qui ont besoin de navires en surface pour les récupérer », soutient le spécialiste. Selon une source militaire de l’AFP, la zone est « parfaitement adaptée à des sous-marins de poche ». 

Une opération spéciale navale, coordonnée et préparée, n’est donc pas à écarter. « Les services secrets dans beaucoup de pays ne sont pas contrôlés à 100%. On ne peut pas exclure une initiative spontanée de tel ou tel service américain, russe, etc., à l’image de l’attentat du Rainbow Warrior [sabotage d’un navire amiral de l’ONG Greenpeace par les services secrets français en 1985 à Oakland, NDLR] », analyse l’expert en géopolitique.

L’Ukraine pourrait-elle être à l’origine des fuites, en pleine guerre contre la Russie ? Pour notre source, c’est une hypothèse, mais qui suppose un minimum de moyens logistique dans la Baltique, moyens que les forces ukrainiennes ne détiennent pas pour l'instant. « L’intérêt de l’Ukraine, de viser un outil logistique qui sert à approvisionner un ami, l’Europe, me paraît saugrenu », déclare-t-il, même s’il concède que l’Union européenne est un allié moins puissant que les États-Unis en matière d’approvisionnement militaire et financier. « Peut-être pourraient-ils être beaucoup moins sensibles à l’impact que détient une fuite de gaz sur les consommateurs européens ? », s’interroge le spécialiste sans trop de conviction. Ce mardi 27 septembre, l'Ukraine a dénoncé une « attaque terroriste planifiée » de la Russie « contre l'Europe ».

Depuis le « sabotage » présumé des gazoducs, la Norvège, désormais le principal fournisseur de gaz en Europe, a renforcé son dispositif de sécurité autour de ses installations pétro-gazières, perçues comme potentielles cibles de choix. À la demande de la Russie, une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU doit se tenir ce vendredi pour éclaircir la situation.