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Gérard Garouste, peindre à la folie

Il est l’un des plus grands peintres français contemporains. Gérard Garouste fait l’objet d’une rétrospective d’ampleur au Musée national d'art moderne - Centre Pompidou, à Paris - avec pas moins de 120 tableaux grand format, des installations et des sculptures. Marqué par une enfance difficile et des troubles bipolaires, le peintre se définit lui-même comme « intranquille ». Ses œuvres sont en tout cas inclassables, qu'elles s'inspirent de contes, de légendes ou de la religion juive, à laquelle Gérard Garouste, 76 ans, s'est converti. Entretien.

RFI : Vous vous souvenez du moment où vous vous êtes dit « peindre, c'est ça que je veux faire ? » Parce que vous avez commencé dans la décoration de théâtre, puis à un moment, il y a peut-être eu un déclic ? Vous vous en souvenez ? 

Gérard Garouste : Non, en fait, il n'y a jamais eu de déclic. Parce que, quand j'étais enfant, tout allait mal autour de moi, j'étais un très mauvais élève. Et la seule chose qui était naturel, chez moi, intuitif, c'était de dessiner. C'était ma seule manière de séduire mes petits copains et la maîtresse d'école. Au moins, j'existais par cela et non pas pour mes dictées. Donc voilà, je n'ai jamais oublié ça. Plus tard, j'ai fait mes études dans les arts appliqués. Je les ai toutes ratées. Mais, c'est pas grave. Et puis voilà, c'est comme ça que je me suis retrouvé à l'école des beaux-arts parce que j'étais incapable d'aller ailleurs. Finalement, la raison pour laquelle j'étais aux beaux arts, c'était pour le resto universitaire. On mangeait pour 2,50 francs comme n'importe quel étudiant. Et puis aussi, le sursis. On était sursitaire comme les étudiants en médecine pour 6, 8 ans. Pour le reste, je n'apprenais absolument rien. Mais sinon, tout était nul. À l'école des beaux-arts : les élèves se croient géniaux et les professeurs sont des vieux cons. Bref, c'était nul. On n'apprenait pas à peindre. Moi, j'ai appris à peindre en regardant les tableaux d'assez près dans les musées. Et puis surtout, j'ai eu la chance, à un moment donné, d'avoir deux excellents professeurs malgré eux qui étaient les restaurateurs du Louvre. Ils m'avaient confié une de leurs élèves qui faisaient un diplôme de chimie pour être restauratrice et parce que, pour être restaurateur, il faut être chimiste et donc j'ai eu cette chimiste comme assistante, donc là vraiment sur le plan formation professionnelle, c'était parfait. 

Vous avez dit que vous avez été formé en regardant les œuvres des autres peintres. De ce point de vue, les peintres comme Tintoret, Le Gréco, ont joué un rôle majeur, non ? 

Oui, c'est-à-dire une formation extrêmement classique. Mais d'abord j'aimais ça ! Le Gréco, Tintoret puis plus plus, et puis aussi des peintres français comme Manet, influencés par la même peinture espagnole, Goya, j'adore. Et Goya, cette peinture espagnole vue par les Français comme Manet, c'était pour moi formidable comme base.

Est-ce que c'est l'influence de Goya qui fait que vous aimez bien déformer la figure humaine, la tordre, la décomposer, parfois décomposer les corps ?

Vu l'époque maintenant, tout est possible. On est libre. Donc en effet, il y a un côté Goya qui ouvre cette possibilité. Mais il y a aussi, tout simplement, j'ai vu de très belles petites lettrines, par exemple au musée Marmottan sur des calligraphies, des pages arrachées dans des livres religieux. Je m'en suis beaucoup inspiré pour faire Les Indiennes, de neuf mètres de haut, inspirées, donc, d'une petite peinture de 5 cm de hauteur. 

Je me demandais si vous travaillez de la même manière quand vous travaillez sur des textes sacrés, comme les rouleaux d'Esther, que quand vous faites une peinture ?

Oui, il y a en tous les cas, le même état d'esprit. Je m'amuse à ne pas dépasser la peinture à deux dimensions. Une peinture à l'huile, c'est une peinture sur une toile, tendue sur châssis. Je n'ai pas envie de dépasser cela. Tout a été fait dans l'invention, dans le côté iconoclaste. Alors comment, dans une peinture à l'huile, peut-on inventer alors que c'est un procédé que l'on connaît par cœur. Eh bien, selon moi, c'est au niveau du sujet. La forme est classique, mais le sujet est très nouveau. Enfin, c'est ce que j'essaie de faire. D'où mon inspiration du côté talmudique, biblique. 

Rétrospectivement, est-ce que vous pensez que la maladie a eu une influence sur votre peinture ? Est-ce que cela a pu apporter quelque chose, malgré toutes les épreuves que cela implique ?

Vous savez, quand on est malade, tout s'arrête. On est totalement KO debout. Après, on est soigné, on est un légume. Et après, il y a les médicaments. Vous savez, ce sont des espèces de camisoles chimiques et avec le temps, les choses se remettent en place, petit à petit. Mais je pense en effet que si je n'avais pas vécu tous ces délires, peut-être que ma peinture ne serait devenue ce qu'elle est. Il y a une espèce de liberté, ça, c'est l'avantage de la peinture ! Parce que si j'étais, par exemple banquier, je crois qu'il vaudrait mieux que je change de métier. Personne n'oserait me confier de l'argent ! 

■ Rétrospective Gérard Garouste au Centre Pompidou jusqu'au 2 janvier 2023