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Hassane Kouyaté: «La création francophone donne de l’oxygène et du soleil» au théâtre français

Avec des spectacles inédits venant du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso, du Québec, de Haïti, de la France et des territoires d’Outre-mer, le Festival des Francophonies à Limoges, au centre de la France, redevient l’épicentre de la création théâtrale francophone dans le monde. À partir de ce 21 septembre, « Les Zébrures d’automne - des écritures à la scène » accueillent pendant dix jours 14 spectacles de plusieurs continents, dont six créations et deux premières en France. Entretien avec le directeur Hassane Kouyaté.

RFI : Les Francophonies démarrent cette année avec un spectacle participatif et en plein air, À nos combats, du chorégraphe burkinabè Salia Sanou. En quoi consiste pour vous le combat principal de cette édition 2022 des Zébrures d’Automne ?

Hassane Kouyaté : Le combat principal, c’est toujours de laisser l’espace aux créateurs pour qu’ils puissent rencontrer le maximum de publics. Il s’agit aussi de les faire travailler dans de bonnes conditions et que le public puisse voir aussi des œuvres inédites. C’est ça, notre combat.

Les Francophonies, c’est l’un des trois pôles pour la création francophone en France. Cette année, le point central des Zébrures d’Automne n’est plus la caserne Marceau, fermée pour travaux, mais vous vous êtes organisés en « archipel ». Dans quel état se trouve actuellement la création francophone en France ?

La francophonie théâtrale a une sorte d’aura : on en parle beaucoup, mais elle a très peu de moyens. Les moyens ne sont pas au niveau de cette aura… Depuis un certain temps, je dirais même que le Festival des Francophonies - des écritures à la scène représente l’arbre qui cache la forêt. Je pense qu’un effort important doit se faire à tous les niveaux pour la création francophone, en tout cas pour la création théâtrale et le spectacle vivant en général. Je pense qu’on est déjà dans un certain cloisonnement de la création francophone en France. Et – parlant du théâtre – la création française n’est pas seulement cloisonnée, mais elle est maintenant même « confinée ». Or, la création artistique francophone est l’un des éléments qui peuvent sauver cette création en lui donnant de l’oxygène et du soleil - et en lui donnant d’autres points de vue sur ce que nous sommes, sur ce que nous avons été et sur ce que nous voudrons être.

Le festival est organisé cette année en « archipel ». Les créateurs et les créations francophones viennent du Canada, du Burkina Faso, de Haïti… Ces « îles » de la création francophone que vous avez invitées au festival, comment sont-elles organisées entre elles ?

Dans notre programmation, nous parlons d’« archipel », parce qu’on est sur la place de la République à Limoges qui est pour nous une île. Nous sommes aussi à l’opéra de Limoges et à d’autres endroits de Limoges, sans oublier les lieux dans la région du Limousin : au Théâtre de la scène nationale à Aubusson, à l’auditorium Sophie Dessus à Uzerche, au Théâtre du Cloître à Bellac, au centre culturel Georges Brassens à Feytiat ou dans la salle d’exposition de la mairie d’Eymoutiers. Donc, il y a plusieurs « îles » qui se rejoignent et qui ont à peu près les mêmes préoccupations : comment investir le monde autrement, avec d’autres esthétiques.

Concernant la connexion des îles de la création francophone [comme La Réunion, Guadeloupe, Haïti, Martinique…] entre elles, c’est quelque chose de très difficile. Déjà dans les îles elles-mêmes, les îles ont du mal à développer leur création, n’en parlons pas de développer des créations inter-îles. C’est très compliqué. Et le festival à Limoges, justement, est un lieu de rassemblement. Pour cela, on fait un focus sur la création ultra-marine [avec des spectacles et une rencontre-débat sur le mouvement de la créolité, NDLR].

« Cette Terre me murmure à l’oreille », de Christiane Emmanuel, présentée aux Zébrures d’automne 2022.
« Cette Terre me murmure à l’oreille », de Christiane Emmanuel, présentée aux Zébrures d’automne 2022. © Peggy Fargues

Tafé Fanga – le pouvoir du pagne s’appelle la création de la Malienne Jeanne Diama sur la voix des femmes. Une pièce de théâtre féministe, mais aussi bilingue, en français et en bambara. D’autres spectacles sont également conçus en mode bilingue ou avec d’autres langues comme le kinyarwanda, le créole haïtien, le créole réunionnais... Cette présence très forte d’autres langues, est-ce un choix éditorial de votre part ? Une tendance dans notre époque actuelle ? Ou quelque chose qui s’impose, parce que c’est devenu techniquement plus facile ?

De mon point de vue, on ne peut pas parler de francophonie sans parler d’autres langues que le français. Pour moi, la francophonie est la rencontre entre le français et une autre langue, ou entre la culture française et une autre culture pour enfanter une nouvelle langue, une nouvelle culture francophone. Les deux s’enrichissent mutuellement et créent une francophonie plurielle.

Dans la création francophone apparaissent de plus en plus d’autrices et de metteuses en scène. Ce phénomène, est-il différent de la même évolution qu’on peut observer en France dans la création française ?

Dans notre cas, c’est une volonté d’être attentif à la création féminine francophone. Après, on constate des petites évolutions qui ont lieu suite à des volontés politiques, à des volontés de personnes, des envies et parfois des nécessités de la création. Aujourd’hui, on ne peut pas continuer à parler du monde sans parler de celles qui enfantent le monde. Tant mieux, si c’est une tendance, mais, en générale, la création féminine n’est pas encore suffisamment développée.

L’un de vos objectifs affichés est une « démocratisation de la culture ». À part d’offrir une entrée gratuite pour beaucoup de spectacles, qu’est-ce que la « démocratisation » signifie concrètement pour un festival comme les Zébrures d’automne ?

Pour moi, la démocratisation de la culture commence d’abord par l’information des gens sur ce qui se fait, sur ce qu’on veut faire et sur ce qu’on veut montrer et pourquoi on veut montrer ces œuvres artistiques. C’est une discussion avec les territoires et avec les gens pour lesquels on travaille. Cela nous amène à ne pas téléporter des choses incompréhensibles sur des territoires. Nous expliquons pourquoi l’objet artistique est là, à la disposition du public et à l’appréciation des gens. Ce premier travail se situe sur le terrain de l’information et parfois de la formation des publics. La démocratisation commence par cela.

Le deuxième travail est autour de la question : où montrer l’objet artistique et comment le faire ? Le comment concerne aussi la question des lieux, des dates, de l’accessibilité, des lectures possibles des œuvres. Il y a plein de choses qui entrent en ligne de compte pour qu’une culture soit populaire et démocratique.

La crise climatique traverse aussi la culture. Certains musées ont décidé de fermer plusieurs jours par semaine pour économiser de l’énergie ; des expositions, mais aussi des productions de film ont commencé à calculer leur bilan carbone ; il y a des centres de création qui exigent des artistes invités de prendre le train pour des trajets à l’intérieur de l’Europe… Cette prise de conscience de plus en plus aiguë par rapport aux défis écologiques, comment se reflète-t-elle chez vous aux Francophonies ? S'agit-il forcément d'une quadrature du cercle pour un festival qui est véritablement intercontinental avec des artistes venant souvent d’Outre-mer, d’Afrique ou d’Amérique ?

Il y a certaines choses que nous ne pouvons pas changer malheureusement, comme le transport. Notre festival est porté sur l’international et c’est difficile de dire à des artistes qui viennent du Québec ou du Congo de prendre un bateau un mois et demi avant l’ouverture du festival… Pour l’instant, nous ne pouvons pas nous passer des avions. Mais, nous pouvons changer certaines manières de travailler. Nous pouvons mener ce combat de l’écologie sur certaines productions et sur certains objets de la création, le poids des décors, concevoir des décors transformables… Avec notre aide à la diffusion des œuvres, nous cherchons aussi à éviter que les créations ne se fassent pas uniquement pour deux représentations, parce que c’est terrible pour les artistes, mais aussi sur le plan écologique.

 Les Francophonies – des écritures à la scène, Les Zébrures d’Automne, festival des créations théâtrales, à Limoges, du 21 septembre au 1er octobre 2022