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Iran: des cartouches d’une entreprise franco-italienne utilisées dans la répression

Depuis le 16 septembre, la répression des manifestations a fait près de 450 morts selon l'ONG Iran Human Rights. Ersahd Alijani est journaliste pour Les Observateurs de France 24 et à la rédaction persane de RFI. Il a mené une longue enquête sur l'utilisation de fusils de chasse contre les manifestants. Retour sur les principales révélations de son travail.

RFI : Quel a été le point de départ de cette enquête ?

Ershad Alijani : En fait, tout a commencé par une photo que nous avons reçue d’un internaute iranien. On y voyait une cartouche vide qu’il disait avoir trouvée après une manifestation. Je voulais comprendre d’où venait cette douille, par qui elle avait été fabriquée. J’ai trouvé qu’elle avait été produite par un fabricant franco-italien, l’entreprise Cheddite. J'ai alors voulu savoir si l’utilisation de ce type de cartouche était accidentelle ou habituelle dans la répression des manifestations en Iran. J’ai donc lancé un appel sur les réseaux sociaux en demandant aux Iraniens de nous envoyer tous les types de cartouches qu'ils trouvaient dans les manifestations. Au final, on a pu vérifier environ 114 photos prises dans trente manifestations en Iran. On a reçu des photos de bombes de gaz lacrymogène, de cartouches de fusil à pompe vides et de projectiles de paintball que les forces de l’ordre iraniennes utilisent aussi contre les manifestants.

Finalement, vous avez publié votre enquête en plusieurs volets, le premier porte sur l’utilisation de projectiles « non-létaux » pour tuer les manifestants.

Oui, particulièrement sur l’utilisation de fusils à pompe. Nous avons réussi à parler notamment à un membre du Basij, la force paramilitaire des Gardiens de la Révolution. Il nous a expliqué qu'ils utilisent beaucoup de fusils à pompe pour les répressions de manifestations avec des cartouches généralement destinées à la chasse. Il affirme qu'il y a un manque d’entraînement pour l’utilisation de ce type d’armes mais surtout que les membres du Basij ont carte blanche pour tuer. Il n’y a aucun encadrement ni poursuites en cas d’abus. Selon lui, ses camarades tirent vers la partie haute du corps des manifestants, le visage, la poitrine, etc. Des tirs qui peuvent donc facilement être létaux. Selon Amnesty International au moins 20 personnes sont mortes directement par les billes contenues dans les cartouches de fusil à pompe. Des milliers de gens ont été blessés. Certains ont perdu la vue. On a aussi reçu des photos impubliables de jambes, de bras à moitié arrachés à cause de tirs presque à bout portant.

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Depuis deux mois on parle d’une répression moins violente que celle des manifestations de 2019 sur laquelle vous avez enquêté également. À en croire vos récentes publications, il s’agit surtout d’un type différent de violence.

Tout d'abord, il ne faut pas oublier qu’on ne sait pas exactement combien de gens sont morts, ni en 2019, ni maintenant en 2022. Il y a en effet peut-être moins de morts puisque les estimations sont de 1 500 morts en deux semaines il y a trois ans et de 400 morts en trois mois actuellement. Mais d’un autre côté, il y a aujourd'hui des milliers de blessés, des blessés lourds. Je crois que les forces de l’ordre iraniennes ont tiré des leçons de 2019. Ils ont remplacé les Kalachnikov par des fusils à pompe. Ça tue peut-être moins mais ça blesse plus de monde. La violence est toujours là.

L’autre principal volet de cette enquête porte sur l’utilisation par les forces gouvernementales de cartouches de l’entreprise franco-italienne Cheddite dans la répression des manifestations. L’Union européenne interdit pourtant depuis 2011 l’exportation vers l’Iran de matériel pouvant être utilisé dans la répression de manifestations. Comment ces cartouches sont arrivées en Iran ?

On ne sait pas exactement comment, mais on a quelques indices qui nous ont permis de nous faire une idée. Des confrères italiens ont mené une autre enquête sur l’utilisation de cartouches de l’entreprise Cheddite en Birmanie, également soumises à des restrictions. Ils ont trouvé qu’elle avait dans un premier temps vendu ses cartouches à une compagnie turque et cette dernière les a ensuite vendues à la Birmanie. Mais le point important, c'est que Cheddite était actionnaire de cette même compagnie turque à l’époque.

Nous avons donc cherché les liens possibles entre Cheddite, la Turquie et l’Iran. Dans les données publiques des Nations unies, nous avons notamment trouvé qu’entre 2011 et 2020, la Turquie avait vendu l’équivalent de 7 millions d’euros de cartouches de fusil à pompe à l’Iran malgré toutes les interdictions de Nations unies, de l’Union européenne et des États-Unis. En plus, sur les forums des chasseurs iraniens, on a trouvé des photos et des discussions concernant des douilles Cheddite venues de Turquie. Ces douilles avaient le même marquage que celle utilisées en Birmanie.

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Y-a-t-il un autre point important à relever de cette enquête ?

Une certaine déception, peut-être ? J’estime que c’est un sujet important qui touche les Iraniens, littéralement. Parallèlement en Europe, en France et en Italie notamment, les politiciens affirment vouloir soutenir les manifestants. Dans ce cas précis ils pourraient faire quelque chose de concret : questionner ce fabricant franco-italien qu’est Cheddite pour comprendre pourquoi ses douilles sont actuellement en train de blesser des gens en Iran. Surtout qu’un autre article a été ajouté en 2012 à la législation européenne de 2011, mentionnant directement l’interdiction de vendre des douilles pour fusil à pompe car elles étaient déjà utilisées dans la répression de manifestations en Iran. Les gouvernements français et italien sont légalement responsables de faire respecter les sanctions contre l’Iran. Ces régulations européennes existent justement dans le but d’éviter le scénario actuel. Malheureusement, depuis la publication de notre article, nous n’avons vu aucune action.