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Le nouveau musée et les nouvelles ambitions de l’Institut du monde arabe à Paris

C’est la consécration de dix ans de présidence de Jack Lang et un tournant pour l’Institut du monde arabe : « une institution unique en Occident ». Jeudi 2 février a été présenté la configuration du très attendu nouveau musée de l’IMA, le « Beaubourg des arts arabes », qui devrait voir le jour en 2025/2026, grâce à la donation extraordinaire de plus de 1700 œuvres de Claude et France Lemand et un apport financier de 6 millions d’euros du ministère de la Culture. Entretien croisé avec Jack Lang et la directrice du musée, Nathalie Bondil.

RFI : Vous avez été nommé président de l’Institut du monde arabe en 2013. Et vous êtes, comme l’ancien ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, candidat pour un nouveau mandat à partir de mars. Quel est le changement ou la réussite dont vous êtes le plus fier de vos dix ans de présidence à l’IMA ?

Jack Lang : Beaucoup de gens pourraient témoigner que cette maison a été transfigurée, métamorphosée. Lorsque je suis devenu président de l’IMA, le journal Le Monde titrait sur une page entière : « L’IMA, un si joli champ de ruines ». Aujourd’hui, beaucoup reconnaitront que l’IMA a retrouvé vie et vigueur, des projets, un sens, une philosophie, un rêve qui s’accomplit chaque jour, à travers des expositions qui suscitent un engouement croissant, à travers la reconnaissance pleine et entière de la langue arabe [avec une certification internationale au même titre que le « Toefl » anglais, NDLR], à travers des conférences, des débats, des projections de films, et surtout la présence de plus en plus forte de jeunes venant de partout.

RFI : En présentant le nouveau musée de l’Institut du monde arabe, avec la première collection d’art moderne et contemporain en Occident, vous avez parlé d’une « consécration » et d’« une première ». Quelle est son ambition ?

Jack Lang : L’ambition est que ce musée soit à la fois un musée de l’histoire et de la culture du monde arabe, et un musée de la culture moderne et contemporaine du monde arabe. Cela sera une institution unique en Occident, la plus importante voire la seule de ce type, ayant la chance de bénéficier d’une donation exceptionnelle, celle du collectionneur et galeriste Claude Lemand qui nous a donnés près de deux mille œuvres tout à fait remarquables d’art moderne et contemporain.

RFI : En quoi consiste la rupture, le changement de dimension du nouveau musée par rapport à l’ancien ?

Nathalie Bondil : Par rapport à la présentation actuelle du musée, la rupture, l’innovation, l’originalité, la singularité va être que nous allons présenter des artistes d’art moderne et contemporain qui, au travers de leurs œuvres, vont nous amener dans un voyage. Un voyage dans l’histoire où l’on va rencontrer des civilisations antiques, préislamiques, islamiques, populaires, autochtones… Donc, les artistes eux-mêmes, avec leurs œuvres, vont être autant de fenêtres pour comprendre ces mondes arabes dans leur complexité.

Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), en février 2023.
Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), en février 2023. © Siegfried Forster / RFI

Le nouveau musée de l’IMA restera un musée ancré en France qui va parler des mondes arabes, de l’antiquité jusqu’au monde contemporain, abordant aussi bien les califes arabes et les sultans ottomans, la colonisation, la décolonisation ou le patriotisme artistiques dans le monde arabe. Comment allez-vous traiter ces thèmes sans avoir une vision française ou européocentrée qui pourrait nuire à l’universalité du projet ?

Nathalie Bondil : Moi, je suis Canadienne, et aussi d’origine méditerranéenne, algérienne… À l’Institut du monde arabe, la plupart des collègues avec lesquels je travaille sont aussi issus de ces mondes arabes par leur origine ou par leur famille. Toutes ces questions qui sont liées à la colonisation, à la décolonisation, au décentrement du regard, à l’histoire, à l’iconographie, toutes ces questions vont être abordées dans l’exposition grâce aux artistes, parce que les artistes abordent de manière très frontale, très directe, ces enjeux qui sont importants et que nous devons montrer et exposer pour nos publics.

Pourquoi avez-vous particulièrement souligné la création d’une section intitulée « L’esprit de la Nahda – des colonisations aux émancipations » ?

Nathalie Bondil : La donation Lemand, avec notre collection d’art moderne et contemporain, va nous permettre d’aborder des sujets qui n’étaient pas présents à l’Institut du monde arabe. Auparavant, nous avons eu une collection qui était davantage ethnologique, ethnographique. Maintenant, grâce aux œuvres d’art, peintures, sculptures, gravures, livres d’art… nous allons pouvoir aborder par exemple la Nahda, pour montrer l’émancipation de ces Arabes qui veulent sortir du joug ottoman, mais également les échanges très fructueux que toute cette intelligentsia arabe a pu créer avec l’Occident. Nous allons expliquer aussi comment ils ont pu affirmer leur identité en renouant avec leur passé et lancer les guerres de décolonisation, lutter contre les impérialismes, s’affirmer dans leur patriotisme et dans leur indépendance. Ce sont des sujets importants et que les jeunes générations souhaitent voir. Et nous avons des œuvres très fortes qui permettent d’aborder ces questions sous un angle apaisé, mais non censuré.

Quelle est la vocation de ce nouveau musée par rapport aux autres musées existants dans le monde ?

Jack Lang : Le positionnement, c’est de montrer la filiation entre l’histoire et le présent. La part qui va être réservée à l’art moderne et contemporain sera très importante. Nulle part ailleurs en Occident, on n’aura la chance de voir d’aussi beaux chefs-d’œuvre qui représentent cette créativité arabe. Et dans quelques jours, je me rends à Rabat pour inaugurer au musée Mohammed VI une exposition sans précédent, avec des chefs-d’œuvre de la collection qui seront présentés en dehors de l’Institut du monde arabe et vont faire le tour de plusieurs villes du Maroc, Rabat, Marrakech, Fès, Tanger…

Arwa Abouon (Libye, 1982 - Canada, 2020) : « I’m Sorry, I Forgive You », 2012.
Arwa Abouon (Libye, 1982 - Canada, 2020) : « I’m Sorry, I Forgive You », 2012. © Musée de l’IMA

Quel sera le positionnement par rapport à d’autres institutions phares comme le musée de Doha, au Qatar ?

Nathalie Bondil : Le musée Mathaf à Doha a une collection sensationnelle [9 000 œuvres, de 1840 à nos jours, NDLR], ils ont collectionné très tôt. Ensuite, il y a le musée de Sharjah, de la Fondation Barjeel, qui a également une remarquable collection [1 300 œuvres d’artistes originaires de tout le Moyen-Orient, NDLR) sur le monde arabe. Nous, on se positionne en Occident ayant la plus grande collection d’art moderne et contemporain. Pour cela, ces artistes modernes et contemporains vont nous servir de guide à travers de ce grand voyage dans les civilisations. L’important pour le nouveau musée de l’IMA, c’était de ne pas concurrencer ce que le musée du Louvre fait très bien, avec un département des arts islamiques extraordinaire, ou le Metropolitan Museum à New York, ou le Victor et Albert Museum à Londres. Ici, nous avons la chance, le privilège, d’avoir des œuvres d’art moderne et contemporain, ce que nul autre musée en Occident n’a en telle quantité et avec une telle qualité.

S’appuyer sur cette collection-là permet d’examiner le passé tout en regardant les problématiques et les enjeux actuels – on parle des questions de genre, de décolonisation, de toutes ces questions très pertinentes. Ce faisant, nous n’allons pas dédoubler ce que d’autres musées font très bien sur la place de Paris. Nous allons apporter une pierre nouvelle. Pour moi, c’est très important, parce que la connaissance et la reconnaissance des arts arabes sont fondamentales – en faisant que l’art arabe fasse partie des arts de la scène globale au plus haut niveau. Ce nouveau musée va permettre de donner la reconnaissance, la fierté, à cette scène exceptionnelle, internationale - qui est aussi la nôtre -, dans une mesure qui n’a jamais été faite auparavant.

Lors de son inauguration en 1987, sous la présidence du président Mitterrand où vous étiez ministre de la Culture, l’aventure de l’IMA a commencé avec les pays membres de la Ligue arabe, une vingtaine de pays. Quelle sera leur part, leur contribution, leur participation au nouveau musée de l’Institut du monde arabe (IMA) ?

Jack Lang : Depuis la création de l’IMA, cela a beaucoup changé. À l’origine, les pays arabes, la Ligue arabe, devaient participer au financement. C’est terminé. Depuis vingt ans, c’est terminé. Donc, ils participent par leur « appui moral », par leur présence au sein du Conseil de l’Institut. Au-delà du Conseil, il y a évidemment les rapports qu’on pourra établir nous-mêmes avec tel ou tel pays. Le plus souvent, c’est avec les créateurs, les artistes, les universités, plutôt qu’avec les gouvernements, néanmoins, nous avons des relations avec certains gouvernements.

Y aura-t-il un porte-étendard du musée comme la Joconde au Louvre ? Quelle sera la pièce iconique du nouveau musée pour attirer les visiteurs ?

Nathalie Bondil : Il faudra en parler avec les équipes [rires]. Moi, personnellement, j’ai quelques œuvres que j’aime énormément. Je pense à La Mère [huile sur toile, 1965] de M’Hamed Issiakhem [Algérie, 1928-1985], une œuvre avec à la fois une conscience politique, indépendantiste, mais en même temps une conscience artistique. Un tableau profondément émouvant d’un point de vue autobiographique et avec une portée universelle. Pour moi, c’est un des chefs-d’œuvre de la collection, mais j’imagine que vous avez aussi le vôtre…

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