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«Le pouvoir du pagne», le pouvoir des femmes, au Mali et dans le monde

« Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? » raconte avec le sourire de la sagesse la lutte des femmes pour leurs droits. « Nous sommes comme vous, rejoignez-nous pour mener le combat ! » Cette pièce madrée et malienne, écrite par Jeanne Diama et mise en scène par Assitan Tangara, a fait un triomphe aux Francophonies à Limoges, et connaîtra certainement une tournée agitée au Sénégal, Burkina Faso et au Mali. Elle joue et chante avec un élan collectif, renversant les oppressions quotidiennes et nous fait rire avec ses parodies d’hommes au service d’un récit libérateur.

Sur scène, les quatre comédiennes se dépassent. Éblouissantes avec leurs costumes et leurs caractères, elles nous dévoilent les histoires parmi les plus noires et les plus intimes d’une femme d’aujourd’hui.

Ella, la jeune femme narratrice incarnée, attaque au millimètre près et avec gravité et humour les points névralgiques du machisme et traditionalisme qui s’appuient aussi sur la collaboration des femmes. Pourquoi accepter les injustices et les violences ? L’interdiction pour une femme qui a ses règles de pénétrer dans la cuisine, la terreur de l’excision, les mariages forcés, l’obligation sociale de vénérer ces devoirs conjugaux dans ce foyer devenu La Petite Maison dans l’Enfer… L’évocation des hommes oppresseurs donne lieu à un ballet du ridicule en gestes et mouvements. Et pourquoi ne pas obliger la gent masculine de se doter d’un GPS intime pour qu’ils soient moins maladroits lors de l’acte sexuel ?

Sur le plateau, une quinzaine de pagnes accrochés sur de simples cordes à linge créent un merveilleux paysage de motifs et de couleurs. Très vite, la vérité éclate : derrière ce feu d’artifice de beauté, de tradition et de religion rôde le labyrinthe d’un mal-être et d’une oppression ressentie par beaucoup de femmes.

Oui, les réalités qui ont inspiré la pièce prennent leurs racines au Mali, mais, à la grande surprise de l’autrice Jeanne Diama et de la metteuse en scène Assitan Tangara, lors de leurs enquêtes en France, elles ont rencontré des femmes ayant sensiblement les mêmes expériences et questionnements. De toute façon, le pagne ne vient souvent plus du Mali et le pouvoir du pagne est universel. Entretien croisé.

RFI : Pour votre mise en scène, vous avez mis beaucoup de pagnes sur scène. Le pouvoir du pagne, est-ce un outil de libération ou d’oppression pour les femmes ?

Assitan Tangara : C’était un outil de domination que nous avons décidé de transformer en outil de libération. Vers la fin du spectacle, on attache les pagnes avec des ficelles. Au Mali, quand une femme attache cette « ceinture », c’est pour aller vers une revendication, pour aller à une lutte. C’est pour dire aux femmes : on est prête maintenant ! Qu’on se lève et arrache nos droits !  

Jeanne Diama : Quand on est gamine, on nous dit que nous, les femmes, nous avons le pouvoir. Et ce pouvoir est attribué au pagne que nous, on attache. Quand on grandit, on subit beaucoup de violences et d’injures. À un moment, on s’est dit : et si on questionnait le pouvoir de ce pagne-là ? Parce que nous ne voyons pas vraiment le pouvoir dont on nous dit qu’il aurait. Mais si on pose la question à la société, peut-être, elle pourrait nous répondre. Pour cela, le titre porte un point d’interrogation.

« Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? » Texte de Jeanne Diama, mise en scène d’Assitan Tangara. Création au Festival des Francophonies, Les Zébrures d’automne 2022.
« Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? » Texte de Jeanne Diama, mise en scène d’Assitan Tangara. Création au Festival des Francophonies, Les Zébrures d’automne 2022. © Christophe Péan

Quelles sont les attentes des femmes que vous avez questionnées pour monter ce spectacle ?

Assitan Tangara : Nous avons échangé avec énormément de femmes maliennes et européennes sur ce sujet. Même l’écriture s’est faite avec des groupements de femmes, des ateliers d’échanges avec des femmes. J’étais deux mois à Grenoble. Et j’ai échangé avec beaucoup de femmes, dont des Françaises, des Maghrébines, des Italiennes… C’était hyper fort. Je me suis rendu compte que, en fait, peu importe notre couleur ou notre continent, nous avons un sujet en commun : la femme ! C’est quoi la place de la femme ? C’est quoi la femme ? J’ai échangé avec ces dames-là, et après l’échange, tu te rends compte qu’elles pleurent. Et moi-même, qui suis là pour faire mes recherches, je pleure. Tellement on avait des choses à se dire. Au Mali, nous avons aussi échangé avec des femmes urbaines et des femmes du village. Quand tu entends les femmes témoigner de ce qu’elles vivent quotidiennement à longueur de la journée, c’est incroyable. Nous ne pouvons pas tout mettre dans la pièce. Non. Cela pourrait même paralyser les gens dans la salle. Tellement c’est énorme.

Vous avez 28 ans, est-ce l’âge de sagesse pour de telles questions ? Dans votre pièce, vous souhaitez que la langue des femmes se libère. Qu’est-ce qui se passe alors ?

Jeanne Diama : Quand les femmes décident de mener les combats, il faut trembler ! Surtout, aujourd’hui, il y a une ère qui est très favorable au combat, parce qu’il y a la libération de la parole, les femmes prennent beaucoup plus de pouvoir, elles sont beaucoup plus indépendantes. 28 ans, ce n’est pas forcément l’âge de la sagesse [rires], mais c’est un bon âge pour savoir qui on est, où on va, et ce qu’on veut faire de sa vie. Moi, personnellement, j’ai décidé d’être dans ma vie cette Ella qui dit ce qu’elle ne veut pas être et dit qui elle est. Je pense que beaucoup de femmes devraient être cette femme-là.

Quelles sont vos attentes ?

Assitan Tangara : C’est vraiment pouvoir changer les mentalités, de réveiller les femmes qui n’ont pas encore décidé de se réveiller. Et d’encourager celles qui ont décidé de se réveiller, mais ne savent pas où commencer la lutte ou quelle direction il faut prendre. C’est un cri de ras-le-bol des femmes face à la violence de la société, face à des gestes, des actions, des réactions à la longueur de la journée. Je souhaite que les femmes comprennent qu’elles peuvent décider ce qu’elles veulent faire de leur vie, porter comme habit, d’avoir des enfants ou pas, de se marier ou pas. Qu’elles soient en paix avec elles-mêmes. Et que les hommes comprennent et acceptent cela.

Les femmes occupent tous les rôles de la pièce, autrice, metteuse en scène, comédiennes… Quelle est la place des hommes dans la pièce ?

Jeanne Diama : Un des rôles dans la pièce est la voix de Thomas Sankara. Il représente tous les hommes qui ne sont pas contre les femmes ni contre les droits des femmes. Donc, on a bien posé la voix de Thomas Sankara pour que les hommes entendent aussi une voix d’homme leur parler. Ensuite, dans la pièce, nous n’avons pas insulté les hommes. Nous avons juste imité certains comportements de certains hommes. Donc, le texte n’est vraiment pas contre les hommes, mais contre certains hommes. Quelle place donnons-nous dans la pièce aux hommes – s’ils veulent bien prendre cette place : pour une fois, ils écoutent ce que nous avons à dire. Après, ils décident s’ils veulent s’allier à nous ou pas. Nous ne voulons pas les forcer, mais on aimerait bien qu’ils soient avec nous.

Jeanne Diama, Assitan Tangara et les comédiennes du spectacle « Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? » après la création au Festival des Francophonies, Les Zébrures d’automne 2022.
Jeanne Diama, Assitan Tangara et les comédiennes du spectacle « Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? » après la création au Festival des Francophonies, Les Zébrures d’automne 2022. © Siegfried Forster / RFI

Votre pays, le Mali, vit depuis un certain temps une époque très difficile. Comme beaucoup de fondamentaux vacillent et sont remis en question, est-ce un bon moment pour évoquer et changer la situation des femmes ?

Assitan Tangara : Je pense que oui, cela peut être un peu plus facile de changer les mentalités, parce que, en ce moment, tout le monde se cherche. Avec ces histoires de terrorisme et des guerres partout, les hommes se rendent compte que leurs revenus sont moindres. C’est malheureux de le dire, mais, en fait, à quelque chose malheur est bon. Car, ils se tournent vers où ? Vers les femmes bien sûr. Ils demandent aux femmes d’aider dans les dépenses de la maison, etc. Je pense que c’est vraiment le moment où les femmes peuvent prendre de l’avant aussi et se faire une place.

Vous êtes autrice et comédienne dans le théâtre, mais vous travaillez aussi beaucoup dans le cinéma. Qu’est-ce que le théâtre apporte de plus que le cinéma par rapport à cette question de femmes ?

Jeanne Diama : Le théâtre est quelque chose de vivant. Nous sommes très proches du public. Nous avons ce rapport les yeux dans les yeux avec les spectateurs, c’est tout chaud, il y a toutes les réactions, tu sens les vibrations. Ce qui le cinéma n’a pas, parce que, quand tu tournes, le film passe à la télé ou au cinéma et le public regarde. Mais sur la question des femmes, surtout concernant les projets cinématographiques sur lesquels j’ai travaillé - et c’est aussi ainsi que je choisis mes rôles – je travaille sur des rôles qui portent sur les femmes et la voix des femmes. Je fais de ma vie, de mon art et de mon travail un combat. Ma vie personnelle et mon art s’allient.

Dans votre mise en scène, les comédiennes incarnent des rôles avec une telle intensité que cela donne l’impression que leur rôle est la réalité, et la réalité est le rôle. Est-ce la spécificité de votre approche théâtrale ?

Assitan Tangara : Oui, je fais un théâtre assez réel. Et à chaque fois, quand je fais un casting, je demande aux comédiennes : « Ne vous éloignez pas de vous-mêmes. Soyez vous-mêmes. Restez naturelles et sincères. » Même pour aller chercher des sentiments, du texte, des émotions, plongez-vous dans votre propre histoire, dans vos vécus. Peut-être que vous n’avez pas vécu toutes ces choses-là, mais vous avez vu. Vous avez des familles, des sœurs, des frères, des voisins, des amis… Aller chercher autour de vous. Pas très loin. Juste à côté de vous. C’est là. » Pour cela, nous avons cette réciprocité entre la personne qui est la comédienne et le personnage. 

Le public du Festival des Francophonies à Limoges s’est montré très touché par votre pièce. Quelle sorte de réactions attendez-vous des spectateurs et spectatrices dans votre pays, le Mali, où le spectacle sera montré en mars ?

Jeanne Diama : Je pense qu’on va être très bien reçu. On aura évidemment quelques réactions hostiles. Il faut s’attendre à cela quand on défend les causes des femmes en général. Mais on sait aussi que les plus grandes et les plus belles réactions seront les réactions de certains alliés : des hommes et des femmes. Surtout, on sait que beaucoup de femmes vont comprendre beaucoup de choses, parce que nous ne sommes pas là pour les accuser ou pour leur mettre quelque chose sur la tête. Elles ont déjà beaucoup de choses sur la tête. On est là pour leur dire : nous vous comprenons, vous êtes comme nous, nous sommes comme vous. Rejoignez-nous pour mener le combat.

Tafé Fanga ? Le pouvoir du pagne ? Texte de Jeanne Diama, mise en scène d’Assitan Tangara. Création en français et bambara au Festival des Francophonies, Les Zébrures d’automne 2022. Tournée en novembre au Sénégal, en mars au Mali et en avril au Burkina Faso.