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Liban: l'impossible deuil des disparus du massacre de Sabra et Chatila

Le bilan des victimes du massacre de Sabra et Chatila, perpétré par des milices chrétiennes sous l’œil des Israéliens, entre le 16 et le 18 septembre 1982, varie entre 800 et 3 500 morts, selon les sources. Il y a aussi des centaines de disparus dont les corps n’ont pas été retrouvés et que les familles refusent de considérer comme morts.

De notre correspondant à Beyrouth, 

« Un jour, j’entendrai des coups frappés à la porte, j’irai ouvrir et mon fils Jamal sera là, debout, devant moi. Je le reconnaîtrai malgré toutes ces années écoulées, je l’étreindrai longtemps. Alors, je pourrai mourir en paix. » Quarante ans après la disparition de son fils lors des massacres de Sabra et Chatila, Abou Jamal Maarouf espère qu’il le reverra un jour. Cet octogénaire à l’apparence soignée épingle tout le temps sur sa veste un pin’s à l’effigie de son fils disparu.

Tous les ans, le 17 septembre, il refait le dernier trajet parcouru avec son fils il y a 40 ans. Les images reviennent comme si c’était hier. Les cadavres de femmes et d’enfants jonchent la rue principale du camp de Chatila, un corps écrasé par un pan de mur, face contre terre, les membres enchevêtrés d’un homme et d’un cheval morts... Certaines plaies, béantes, saignent encore. Au milieu de la rue, il arrête de compter les cadavres. Des hommes en treillis vert olive, parlant l’arabe avec l’accent libanais, hurlent des obscénités, s’emparent d’eux et les poussent avec d’autres détenus vers l’extrémité du camp.

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Il ne reverra plus son fils et son corps ne sera jamais retrouvé. Aucun faire-part de décès ne sera publié, les funérailles ne seront pas organisées. Abou Jamal refuse de considérer son fils comme mort. « Il est disparu ("mafqoud") », martèle-t-il.

Pendant des années, il consacre son temps, son énergie et ses ressources à essayer de « le retrouver ». Il frappe à toutes les portes, remet un dossier au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et sollicite l’aide d’ONG au Liban et ailleurs.

Dix-sept jeunes enlevés dans une ruelle

« Dans notre ruelle, dix-sept jeunes gens ont disparu, se souvient Oum Salim. Des miliciens avec un insigne cousu sur l’épaule portant les lettres MP ("Military police") nous ont parqués comme des animaux avant de nous ordonner de marcher dans la rue principale de Sabra en direction de Chatila. Les hommes avançaient au milieu de la chaussée, les femmes et les enfants sur le côté. On enjambait des cadavres couverts de mouches. » Ce jour-là, Oum Salim serre son nouveau-né contre sa poitrine et cherche du regard son frère Walid, dans la longue file des hommes qui se frayaient péniblement un chemin entre des corps démembrés.

«Pour moi, Walid n’est pas mort», espère Oum Salim.
«Pour moi, Walid n’est pas mort», espère Oum Salim. © Paul Khalifeh / RFI

Arrivée au pied d’un talus de terre, la foule est sommée de s’arrêter. « Les hommes sont emmenés un à un derrière le monticule pour être exécutés sommairement par "les miliciens kataëb". Des soldats israéliens sont arrivés, ils ont amené les hommes survivants vers la Cité sportive [située à trois cents mètres à l’ouest de Chatila, NDLR] et ont dit aux femmes de retourner dans le camp qui était en flamme », raconte Oum Salim.

La jeune femme escalade le talus et essaye en vain de retrouver le corps de son frère, rentré d’Allemagne début juin pour passer quelques semaines auprès de sa famille. Elle se rend ensuite à la Cité sportive, devenue un champ de ruines sous les bombes de l’aviation et transformée en centre de détention provisoire par l’armée israélienne. Un soldat, pris de pitié pour elle, l’autorise à chercher son frère dans la foule de détenus. « J’ai regardé partout, pendant des heures, sans succès, se souvient-elle. Je les ai vus au loin embarquer des jeunes dans des véhicules militaires qui prenaient la direction du sud. Peut-être était-il avec eux… ».

« Pour moi, Walid n’est pas mort, espère-t-elle. Je participe aux activités des associations de personnes disparues pour que ma cause et son sort ne soient pas oubliés. »

Des hommes de tout âge

Les disparus sont essentiellement des hommes, par forcément jeunes, comme ce groupe de notables du camp qui n’a jamais été revu. « Le 15 septembre, le lendemain de l’assassinat du président élu Bachir Gemayel, des obus ont commencé à s’abattre sur le camp, raconte Jamilé Chéhadé, militante dans les domaines social et humanitaire. Une quinzaine de notables se sont réunis pour discuter de l’opportunité d’aller voir les Israéliens, postés aux entrées du camp, afin de leur dire qu’il n’y a ici que femmes et enfants sans armes. Une délégation de sept personnes a été formée, mon père en faisait partie. »

À l’heure du départ, un voisin, pas convaincu de la démarche, tire le père de Jamilé par la manche et l’entraîne prendre un café. La délégation part sans lui. Après des heures d’attente, des habitants de Chatila décident d’aller à la recherche des hommes partis en médiation. Leur voiture vide et calcinée fume encore à l’entrée du camp. Aucun corps ne sera jamais retrouvé. « Le plus jeune avait 75 ans. Malgré cela, pour nous, ils ne sont pas morts ce jour-là », ajoute Jamilé Chéhadé.

On ne connaît pas avec précision le nombre de disparus des camps de Sabra et Chatila. Ils seraient des centaines, des hommes de tout âge, séparés de leurs familles, ou enlevés durant des rafles opérées pendant le massacre, et dont les corps n’ont jamais été retrouvés.

Ni mort ni vivant, le seul statut auquel ils peuvent prétendre est celui de « disparus ». Mais aucun d’eux n’est un revenant.