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Mal-logement en France: les femmes et les mères célibataires davantage vulnérables

Ce mercredi 1er février, la Fondation Abbé Pierre publie son 28e rapport sur le mal-logement. En plus des chiffres accablants présentés, le rapport met aussi l’accent, pour la première fois, sur le « genre » du mal-logement et les difficultés qui touchent particulièrement les femmes, et les mères célibataires.  

Le logement, ce « grand absent des priorités de l’exécutif ». C’est ce que constate la Fondation Abbé Pierre dans son nouveau rapport, publié ce mercredi, sur l’état du mal-logement en France. Les chiffres sont sans appel : 4,1 millions de personnes mal-logées en 2022, dont 330 000 sans domicile fixe. Une tendance à la hausse d’après le rapport, notamment due à la « chute de l’effort public ».

Cette année, la fondation consacre pour la première fois un chapitre entier de son rapport aux obstacles et aux discriminations spécifiques que subissent les femmes, les personnes LGBTQ+ et surtout les mères seules, face au mal-logement. « En analysant les différents parcours résidentiels, nous avons constaté que le genre est un facteur qui déclenche ou aggrave le mal-logement », remarque Pauline Portefaix, chargée d’études à la Fondation Abbé Pierre.

Les femmes et les mères célibataires, encore plus vulnérables

De façon simple, selon le rapport, les femmes célibataires sont moins bien logées. Car si 20% de l’ensemble des ménages français est fragilisé par rapport au logement, ce taux grimpe à 40% pour une femme seule avec un enfant, et atteint 59% pour celles avec trois enfants ou plus.

Avec en toile de fond la forte présence de violences de genre, plusieurs facteurs expliquent ces inégalités, d’après le rapport : des revenus plus bas pour les femmes seules et la prédominance d’emplois précaires moins bien rémunérés. S’ajoute à cela les inégalités d’accès à la propriété et au patrimoine (« il est deux fois plus fréquent qu’un homme possède seul du patrimoine immobilier qu’une femme »), mais aussi les violences conjugales, qui constituent un facteur « particulièrement aigu » du mal-logement pour les femmes. Pour preuve, 40% des femmes victimes de violence conjugales qui demandent un hébergement ne l'obtiennent pas.

Dans le détail, la séparation conjugale entraîne un « choc financier et résidentiel » bien plus fort pour les femmes que les hommes, puisque leurs revenus disponibles dégringolent d’environ 20% (contre 2,5% en moyenne pour les hommes) après la séparation. Une précarisation immédiate en termes de logement, en grande majorité pour les mères seules.

En effet, alors que 83% des familles monoparentales sont constituées par des femmes seules, un tiers d’entre elles vit sous le seuil de pauvreté, et doivent très souvent accepter un logement social inadapté à la composition familiale. « Souvent, les mères célibataires ne gagnent pas de revenus assez élevés pour se payer un logement assez grand. Alors beaucoup de mères n’ont pas de chambre à elles et occupent le salon, avec tout ce que ça implique en termes d’intimité et de dysfonctionnement de la famille », explique Pauline Portefaix.

Femmes à la rue, une précarité « peu visible »

Quand elles sont à la rue, les analyses montrent que les mères sans-abri bénéficient d’un « statut de mère qui les protège puisque l’on protège d’abord les enfants », rappelle Pauline Portefaix. Sauf que comme le souligne le rapport, dans la dernière décennie, l’augmentation du nombre de femmes avec enfants à la rue est venue conforter l’hypothèse que ce statut les protège moins qu’auparavant.

Un phénomène dû à la saturation du système d’hébergement d’urgence, selon Pauline Portefaix. « On va prioriser et trier les femmes avec enfants selon la vulnérabilité des personnes. Même des familles et des mères avec des enfants de 4 ans ne sont plus jugées assez vulnérables pour être hébergées, comme il n’y a plus assez de place. »

Une femme et son fils, migrants et sans-abri, assis dans leur tente lors d'une action organisée par l'association Utopia 56, pour protester contre le mal-logement à Paris, le 24 juin 2021.
Une femme et son fils, migrants et sans-abri, assis dans leur tente lors d'une action organisée par l'association Utopia 56, pour protester contre le mal-logement à Paris, le 24 juin 2021. © GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Hommes et femmes à la rue sont tous deux extrêmement vulnérables. Cependant, même si les femmes sont « moins nombreuses que les hommes parmi les sans-abri », leur décompte serait sous-estimé, à cause d’un manque de visibilité. Puisqu’elles se retrouvent « surexposées aux violences sexistes et sexuelles » dans la rue et les bidonvilles, les femmes partent en quête de sécurité et mettent au point des stratégies pour se dissimuler.

Ce besoin de se cacher peut justement les « amener à déserter les lieux d’accueil de jour ou de certaines douches municipales quand ils sont fréquentés en majorité par des hommes », analyse Pauline Portefaix. C’est pour cela que, selon la chargée d’études, il n’existe pas assez de lieux non-mixtes pour accueillir les femmes sans domicile. « Il faut, en plus de cela, former les professionnels dans les lieux mixtes à repérer et à accompagner les personnes qui ont subi des violences », recommande-t-elle. 

Face au mal-logement, les « insuffisances du gouvernement »

Plus largement, la fondation dénonce des politiques publiques qui aggravent ces situations de mal-logement, ou ne font que « déplacer et entretenir les difficultés » rencontrés par les sans-abri. Par exemple, la Fondation Abbé Pierre pointe du doigt les « coupes budgétaires opérées dans les APL (l'aide personnalisée au logement) et dans les ressources des bailleurs sociaux ». Ainsi, le montant des aides au logement n’a jamais été aussi faible qu’en 2021, à 1,5 % du PIB, alors qu’il s’élevait à 2,2 % en 2010. Soit l’équivalent d’une baisse de 15 milliards d’euros par an.

Sur la question des femmes mal-logées, la fondation préconise de revaloriser les emplois précaires, ainsi que les pensions alimentaires allouées aux mères séparées. « Pour nous, il y a un clair manque de volonté politique de régler cette situation. L’exécutif mise sur plus de places d’hébergements d’urgence, alors que la solution est de donner un logement durable aux personnes sans domicile », ajoute Pauline Portefaix.

Autre alerte « choquante » du rapport : le nombre d’enfants toujours à la rue, malgré la promesse d’Olivier Klein, ministre délégué à la Ville et au Logement « qu’il n’y ait plus aucun enfant à la rue cet hiver ». Le soir du 19 décembre 2022, il y avait encore plus de 4000 personnes en familles refusées par le 115 faute de place, dont 1172 enfants et 335 de moins de trois ans.

« C’est aussi parce qu’on considère que certaines personnes sont moins prioritaires que d’autres, que celles sans situation administrative régulière n’ont pas à être hébergées. Et cette criminalisation a un impact sur les enfants. On parle beaucoup d’eux comme étant "sans papier". Ça veut dire qu’on regarde la situation administrative des enfants pour savoir s’il est légitime ou nous de les héberger, plutôt que le simple fait qu’ils sont des enfants », s’indigne Pauline Portefaix.

Les questions du sans-abrisme transcendent donc la seule politique du logement. Et d'après la chargée d'étude de la fondation, elle ne peut être efficace que si elle s'accompagne de politiques ambitieuses de santé, d'économie, de justice et d'immigration pour résorber les chiffres accablants du mal-logement.

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