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Pangzai, inventeur chinois de la «bière en torsade» et star de Twitter

Il fait partie de ces personnalités de l’internet chinois issues des campagnes qui ont su contourner la grande muraille informatique pour se faire connaître à l’étranger. Dans un contexte de polémique autour des vidéos à boire, Liu Shichao alias Pangzai cherche de nouvelles idées pour son retour sur Twitter. 

De notre correspondant à Pékin, avec Louise May, du bureau de Pékin

Impossible de ne pas remarquer cette silhouette parmi les dizaines de personnes qui attendent les voyageurs à la sortie de la gare de Gao Yi. Face de lune, tee-shirt rouge à son effigie et sourire qu’on a vu des dizaines de fois à l’écran, Liu Shichao alias « Pangzai » ou @hebeipangzai sur Twitter, a pris le temps de venir nous chercher juste avant l’heure du déjeuner. Nous sommes dans le Hebei, littéralement la province située au nord du fleuve jaune, à un peu moins d’une heure et demie de TGV de Pékin. Sur le parvis de béton écrasé par le soleil de midi, des vieillards assis sur des bancs entourant des arbres récemment plantés, regardent sans conviction l’écran géant qui distribue des consignes de sécurité routière. « On y va ! », lance Pangzai ! C’est parti pour une heure de route direction le village de Zhengyuansi, dont il est originaire.

Liu Shichao, alias « Pangzai ».
Liu Shichao, alias « Pangzai ». © Stéphane Lagarde / RFI

Tempête de grêle

Le village de ses parents compte 4 000 habitants. Après une enfance à la ferme, des études secondaires et des petits boulots notamment dans la maçonnerie, Pangzai s’est lancé dans les réseaux sociaux. « Quand j'étais petit, je voulais être scientifique ou fonctionnaire, devenir un officiel avec de grands pouvoirs, confie avec nostalgie celui qui vient de monter une affaire de rôtisserie mobile. Mais à l’âge adulte, j’ai compris que ce n'était pas du tout comme cela que les choses fonctionnaient. Je regrette de ne pas avoir étudié davantage ! » On n’échappe pas à ses racines, ou difficilement. Dans la campagne qui défile par les vitres de la voiture, les arbres sont chauves et les champs détrempés. La tempête à fait tomber les feuilles, les blés sont couchés et les paysans en sont pour leur poche. « Il y a quelques jours, la grêle à tout détruit, explique-t-il. Les habitants des bourgs alentours ont perdu leurs récoltes. Même ceux qui ont une assurance retrouveront à peine ce qu’ils ont investi. On ne peut rien faire face à des catastrophes naturelles qui malheureusement reviennent. La plupart des agriculteurs sont des personnes âgées. Les jeunes sont partis en ville. »  

Les campagnes chinoises se vident et les petits villages du Hebei n’échappent pas à cette exode. A la fin du lycée, la jeunesse rurale est aimantée par les grands centres urbains, où pourtant le travail se raréfie. Et si on ne peut pas partir, on voyage via l’écran des smartphones. C’est en tombant sur des vidéos de gars cassant des briques à la main ou se filmant en train de boire à la chaîne que Liu Shichao a décidé de se lancer sur Kuaishou. La plateforme chinoise de vidéos en ligne accueille toute sorte de « performances ». « Je ne sais pas si c’est un talent au sens reconnu, mais c’est un talent quand même, explique-t-il. Je peux casser des briques et je descends les bières très vite. C’est en voyant les autres faire que j’ai voulu essayer. » En 2016, premières vidéos postées sur Kuaishou. L’une d’entre elles dépasse les 2 millions de vues. Le nombre de ses abonnés s’envole. « Je n’ai pas dormi de la nuit, dit encore l’influenceur aujourd’hui âgé de 38 ans. J’ai passé des heures à répondre aux commentaires. Ma spécialité c’est la descente de bière en torsade, poursuit-il dans un éclat de rire. Tout le monde ne peut pas faire ça. Il faut être assez fort et donc les gens regardent ».

« Bière en torsade »

La « spécialité » est revendiquée par d’autres, jusque dans le nord de l’Europe paraît-il. Mais Liu Shichao affirme qu’il a découvert la technique de la « torsade » tout seul. Il en fait d’ailleurs volontiers la démonstration autour d’une table. La bière chez Pangzai se décapsule avec une baguette. Il faut ensuite balancer la tête en arrière, prendre le goulot pleine bouche et ajuster la bouteille à la verticale que l’on agite en tournant pour créer la fameuse tornade. L’effet spirale accélère la descente. En 6 à 7 secondes, 50 cl de houblon sont avalés. Sur les vidéos, le cérémonial s’accompagne d’autres breuvages de différentes couleurs et d’une cigarette. Liu Shichao trempe son doigt dans une eau-de-vie qu’il a précédemment enflammée avec un briquet. Rien à voir avec un truc de magicien, juste une façon de montrer qu’il ne boit pas de l’eau, mais bien du bajiu -l’alcool de sorgho-. Mélangé parfois a du soda, le tout est accompagné d’un œuf cru pour former un cocktail au nom révélateur : « fleur dans la brume ». Une recette qui n’est pas forcément recommandée par les médecins. Certaines plateformes comme Douyin (TikTok en Chine) ont même carrément interdit la consommation d’alcool lors des live streaming.

Le 17 mai dernier, l’un de ces influenceurs picoleur a été retrouvé mort après s’être filmé en ingurgitant des quantités délirantes d’alcool devant ses abonnés. Surnommé « Sanqiange », l’homme âgé de 34 ans a bu la veille au moins sept bouteilles d’eau-de-vie. Sa famille l’a retrouvé inanimé quelques heures plus tard. Un fait divers qui a suscité émotion et consternation sur les réseaux sociaux. Quand on évoque le sujet de la santé, Pangzai, 38 ans, devient prudent. Il affirme qu’il ne boit pas plus depuis qu’il est sur les réseaux sociaux, ce qui n’est pas forcément rassurant. Il dit faire aussi effectuer régulièrement des contrôles de santé et que son épouse le limite dans sa consommation. Et puis, il tourne un peu en rond avec les bières en torsade. Pendant les années Covid on l’a vu cuisiner pour ses enfants et filmer la vie quotidienne du village. Cela fait probablement moins de vues, mais c’est plus reposant. « J’ai un peu ralenti les publications sur les réseaux dit-il, car je n’ai pas trouvé de meilleur contenu. Je ne veux pas passer tout mon temps à poster des vidéos ou je bois cul sec. Je voudrais évoluer. Mais en ce moment je n’ai pas le temps de réfléchir. Je n'ai pas le temps de travailler sur le tournage de vidéos sous d’autres thèmes ».

Spring is coming. Everything wakes up. An irrigation will make wheat grow a lot. The farms of green wheat sprouts look like a green sea stretching to the horizon. pic.twitter.com/GOV6wE9NPH

— Pangzai (@hebeipangzai) March 16, 2020

Traduction via les applis

Il n’y a pas beaucoup d’occupations à la campagne, relativise encore le frère cadet de son épouse qui travaille pour l’entreprise familiale. Les dîners arrosés en fin de semaine sont un moyen d’évacuer le stress. Nous ne sommes que mardi, mais la convivialité d’un bon repas est le minimum que l’on doit aux amis venus de loin laissent entendre nos hôtes. Des connaissances de Liu Shichao nous ont rejoint pour le déjeuner. De manière contrainte ou par choix, ce sont les murs qui isolent les masses en Chine. On ne parle pas ici de la grande muraille, parmi les monuments les plus visités du Hebei. Mais des murs des cours de fermes, les murs des résidences en ville, les murs des quartiers, les murs de la cité ou encore les murs de petites pièces séparées de ce restaurant de spécialités régionales. Au rez-de-chaussée, la salle commune où l’on avale un bol de nouille ou un plat de riz sauté au lance-pierre avant de reprendre la route. A l’étage, des salons privatifs avec des tables rondes accueillant un grand faitout dans lequel on jette tout ce qu’on a trouvé dans la campagne alentour : des patates douces, des côtes de porcs, des nouilles cellophanes et un poulet entier, la tête, la crête et les ergots compris.  

Il a deux enfants monsieur Liu et sous les apparences du macho costaud, c’est quelqu’un de plutôt introverti. « Avant de me lancer sur les réseaux, je ne savais pas comment parler devant la caméra, raconte-il. » A ceux qui trouvent ce « miracle du soft power chinois » un peu trop lisse, qui le soupçonnent d’avoir un studio, une équipe lui écrivant ses textes ou répondant aux fans, il montre ses deux iPhone 12 Pro et jure tout faire lui-même, en s’appuyant sur le traducteur automatique des applications pour écrire. « Pour l’anglais, je traduis trois fois du chinois vers l’anglais, puis de l’anglais vers le chinois et encore du chinois vers l’anglais, pour que ce soit le plus correct possible, précise celui qui n’a jamais appris une langue étrangère ». « Ces célébrités "ordinaires" du Net chinois ont en commun de diffuser leur contenu également sur des réseaux occidentaux censurés en Chine », écrivait-on avant le début de la pandémie. Est-ce que les autorités font pression ? Est-ce qu’il a eu des remarques de l’appareil de sécurité publique concernant l’utilisation des VPN, interdits en Chine théoriquement ? C’est le seul moment de l’entretien ou Pangzai met les mains en croix : « là-dessus dit-il, je préfère ne pas répondre. »  

Today, I celebrate my birthday. I want to give you a complete drinking video. I don't know why I violated the You Tube rules. I hope you wish me a happy birthday. pic.twitter.com/UGjyhU0aXq

— Pangzai (@hebeipangzai) January 28, 2022

Soft power utile

En Chine, deux réalités du monde coexistent en parallèle, sans jamais se croiser, ou très rarement : celle du Net chinois et celle des réseaux étrangers. Les applications, les moteurs de recherches ont leurs équivalents chinois. Même les applications chinoises comme TikTok, ont une déclinaison nationale, en l’occurrence Douyin qui ne propose pas les mêmes contenus. On s’est beaucoup demandé avant de pouvoir le rencontrer, comment Pangzai pouvait continuer à passer sous les radars de la censure, en faisant le grand écart entre ses publications locales et ces vidéos postées sur Twitter ? À partir d’une certaine surface médiatique, il est difficile de passer inaperçu auprès des gardiens du Net. L’hypothèse la plus probable est donc, qu’au contraire, cet homme issu d’un milieu modeste est bien vu de la propagande. Car Pangzai est aussi l’un des meilleurs promoteurs du soft power chinois. Marquée par la communication officielle, la puissance douce aux caractéristiques du socialisme à la chinoise fait pâle figure à côté du soft power de la Corée du Sud par exemple, pays dont la superficie n’atteint pas celle de la province du Hebei. Liu Shichao reste dans les clous. Il chante la ruralité heureuse et ne sort pas du récit de son quotidien « ordinaire ».

L’argument est souvent sorti aux étrangers, quand on ne veut pas s’aventurer sur le terrain glissant de la politique. Quoi de plus ordinaire que la viande d’âne au gingembre comme pat préféré à déguster devant des séries en costumes, telles que « les plumes volent vers le ciel ».  Au sortir du « zéro Covid » au printemps, Pangzai a évoqué à un moment son envie de se rendre à Munich, pour la fête de la bière. Il n’en parle plus aujourd’hui, trop occupé dit-il par la rôtisserie mobile : un grand bac de cuisson en métal, juché à l’arrière d’un camion et dont les braises sont réveillées à coup de souffleur à feuilles. La province du Hebei est voisine de celle du Shandong. A l’échelle chinoise, nous ne sommes pas loin de la ville de Zibo, devenue en moins de deux mois et grâce aux influenceurs, la capitale chinoise du barbecue et du kebab. Le visage rougit par la chaleur, Liu Shichao explique être passé au barbecue de mouton, conscient de la fragilité du métier d’influenceur. « La célébrité sur internet arrive par accident, elle disparaît dès qu’on cesse de poster du contenu », ajoute celui qui fait des vidéos avec de fausses montres dessinées sur son bras. On lui demande pourquoi il a un drapeau du parti et du pays dans sa voiture ? Il répond qu’être patriote est la moindre des choses. Et puis comme les montres, signes extérieur de richesse, les drapeaux font penser à ceux des officiels. Ceux qu’on voit alors surtout ce sont ces deux gants blancs et le tee-shirt rouge. En fait, Liu Suichao alias Pangzai semble tout droit sorti d’un dessin animé.