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Politique «zéro Covid» en Chine: les autorités «ne vont pas reculer sous la pression»

Après trois années d’une politique « zéro Covid » draconienne, la grogne populaire en Chine est telle que le régime communiste est confronté à une vague de contestation inédite depuis le mouvement pro démocratie de Tiananmen en 1989. Les autorités peinent à répondre au ras-le-bol d’une population exaspérée et frustrée. Entretien avec le sinologue Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS-Sciences politiques Ceri.

RFI : Dans les universités chinoises, c'est le départ en vacances avant l'heure : les étudiants sont renvoyés chez eux, deux mois avant les vacances du nouvel an lunaire. Est-ce une manière de tuer dans l'œuf toute nouvelle manifestation de mécontentement ?

Jean-Philippe Béja : Évidemment, l’idée étant que les mobilisations s'arrêtent faute de combattants. Si on veut éviter que la contestation se répande dans l'ensemble du pays, le meilleur moyen est en effet de ne pas avoir d'étudiants dans les universités. On pense qu’une fois les étudiants répandus partout en Chine, ils ne pourront plus se regrouper pour organiser de nouvelles manifestations. C’est une manière assez efficace d’empêcher la mobilisation estudiantine de se développer.

On sait que la censure est efficace en Chine, mais ne pourraient-ils pas toutefois tenter de se coordonner et de garder la mobilisation intacte sur les réseaux sociaux ?

Bien sûr, les gens continueront à être mécontents, ils vont continuer à échanger des messages. Mais échanger des messages et descendre dans la rue pour dire « Xi Jinping, démission ! », ce sont deux choses différentes. Je pense que le parti sait – du moins, j'espère – qu'il ne va pas convaincre l'ensemble de la population de la nécessité et du bienfondé de sa politique. Le parti ne pense pas qu'il va réussir à remporter les cœurs et les esprits, mais ce qui compte, c'est d'empêcher la manifestation de l'opposition.

On peut se demander combien de temps va durer cette pause. Peut-être tant qu'il y aura un risque de manifestation ? Le pouvoir en place peut aussi envisager de faire des exemples, c'est-à-dire. On va peut-être voir un certain nombre d'étudiants faire des confessions télévisées, en disant qu'ils ont été manipulés par des forces étrangères hostiles. Tout le monde comprendra qu'il faut véritablement arrêter de descendre dans la rue pour protester.

Les autorités chinoises sont confrontées au mouvement de contestation le plus important et le plus étendu depuis la mobilisation pro démocratie de 1989. Mais la police quadrille désormais les villes dans lesquelles la grogne populaire s'est exprimée. Plusieurs manifestations étaient prévues lundi, mais n'ont pas eu lieu. Certains participants ont reçu des appels de la police qui les a interrogés sur leur présence aux rassemblements les jours précédents. Pensez-vous que cela suffise pour étouffer la contestation ?

Il faut toujours faire très attention concernant les mouvements sociaux parce qu'on ne sait jamais comment ils évoluent, comment ils continuent de manière souterraine, même lorsqu'il y a une répression officielle. Rappelons-nous qu’on est aujourd’hui dans une situation différente de 1989. Tout d’abord, le parti ne semble pas être divisé en deux factions. Aujourd’hui, il n'y a pas une faction qui soutiendrait le mécontentement populaire. D'autre part, depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir, l'embryon de société civile qui a pu exister auparavant a été complètement éliminé.

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Dans ces conditions, la répression risque d'être beaucoup plus efficace. Mais il ne faut jurer de rien, on voit émerger des mobilisations très rapidement, elles se sont faites dans plus d'une dizaine, voire une quinzaine de villes dans l'ensemble du pays. C'est quelque chose qui doit vraiment beaucoup inquiéter les cadres du parti, parce qu'ils ne craignent rien tant que les manifestations et les mouvements de protestations qui dépassent les limites d'une ville ou d'une province. 

Sous la pression de la rue, Pékin a commencé à alléger quelques-unes des restrictions « anti-Covid », notamment dans la région du Xinjiang, où un incendie mortel avait déclenché le mouvement de colère. Le numéro un chinois Xi Jinping doit-il s’en inquiéter ? Sera-t-il forcé de changer son fusil d’épaule et de revoir sa stratégie « zéro Covid » ?

Il est sans aucun doute inquiet. La question se pose, c’est certain, mais ce n'est pas facile. D'abord, parce que cette politique « zéro Covid » a été lancée par Xi Jinping en personne, et donc il est très difficile de revenir là-dessus. D’autre part, parce que le relâchement des contrôles risquerait de se traduire par une flambée de l'épidémie, étant donné que les gens sont peu vaccinés et que le vaccin est assez peu efficace. Cela pourrait aussi entraîner des conséquences assez graves au niveau de la mortalité. C'est un vrai dilemme.

De toute façon, ils ne vont pas reculer sous la pression, c'est évident, même si, à Ürümqi, on a vu qu'on a un petit peu relâché les contrôles.  L’autre difficulté est que les cadres locaux sont évalués en fonction de leur réussite à juguler l'épidémie. S’ils sont confrontés à une flambée de cas, ils risquent de le payer de leur place. Dans ces conditions, même s'il y avait des mesures de relâchement du contrôle, ils y réfléchiront à deux fois avant de les mettre en œuvre.