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Premier procès contre un ancien milicien de la Seleka devant la Cour pénale internationale

Le procès du Centrafricain Mahamat Saïd Abdel Kani doit s’ouvrir ce lundi 26 septembre devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Premier des responsables de l’ex-coalition Seleka derrière les barreaux de la CPI, le « colonel Saïd » est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ils auraient été commis lorsqu’il dirigeait l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB), après la prise de pouvoir de Michel Djotodia en mars 2013.

De notre correspondante à La Haye,

Mahamat Saïd était un commandant et un sous-chef. Et l’ombre de son supérieur direct, Nourredine Adam, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI et en fuite, planera sans aucun doute sur ce procès. Les crimes reprochés au « colonel » Saïd remontent au printemps 2013, lorsqu’une coalition de plusieurs partis, la Seleka, renversait le général François Bozizé. Michel Djotodia prenait la tête du pays et récompensait quelques-uns de ses commandants, dont Nourredine Adam, qui héritait du portefeuille de la Sécurité publique. Placé sous ses ordres, Mahamat Saïd, l’accusé, dirige alors « au jour le jour » l’Office central de répression du banditisme (OCRB), lit-on dans le mémoire de l'accusation.

À l’époque, il faut mettre au pas la population et tuer dans l’œuf toute opposition. Le président déchu, François Bozizé s’est retiré au Cameroun pour reformer ses troupes, les anti-Balakas, et préparer la contre-offensive. Pour « empêcher la résistance et rester au pouvoir », la Seleka réprime les supposés supporteurs de M. Bozizé. Les membres de son ethnie, les gbaya, sont ciblés, comme les chrétiens et certains officiers et membres de la Garde présidentielle, soupçonnés de loyauté au général déchu. Dans les mois qui vont suivre le coup d’État, des opérations de désarmement ciblent les 4e et 7e arrondissements de Bangui, réputés pro-Bozizé, le carrefour du PK9, et le quartier de Boy Rabe, ou les miliciens s’adonnent au « porte-à-porte », pour piller, tabasser, violer, tuer. Les miliciens Seleka se déplacent à bord de « pick-up de type militaire », avec des vitres teintées, sans plaque d’immatriculation, et flanqués d’inscriptions comme « S’en fout la mort », ou « Danger de mort, lawa, lawa [On vous trouvera] ». Les détenus sont embarqués au CEDAD, le Comité extraordinaire pour la défense des acquis démocratique et à l’OCRB, installé face au quartier général de la police et proche du palais présidentiel à Bangui.

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Torture, persécutions, traitements cruels

C’est là qu’auraient été commis les emprisonnements, les traitements cruels, les tortures et les persécutions reprochés à Mahamat Saïd par le bureau du procureur de la CPI. À l’OCRB, le « colonel » y dispose d’un bureau, placé « sous un arbre, dans la cour ». Entre le 12 avril et le 30 août 2013, il dirige, ordonne, participe et incite aux crimes, écrit le procureur dans son mémoire. Il quittera la place le 30 août, sur décision de Michel Djotodia, suite à « des rapports et des plaintes d’atteintes aux droits de l’homme ». Ce même jour, Mahamat Saïd aurait reçu, au cours d’une cérémonie, « un sac de 5 millions CFA » des mains du chef de l’État, à distribuer aux soldats de la Seleka. Avant cela et pendant cinq mois, Mahamat Saïd aurait eu « pleine autorité » sur les quelque 35 à 60 miliciens de la Seleka postés à l’OCRB. « Il était connu comme le chef, le directeur, le colonel », assure le procureur.

Mais que s’est-il passé derrière les hauts murs de l’OCRB ? Au cours du procès qui s’ouvre, et qui devrait durer plusieurs mois, le procureur entend s’appuyer sur 85 témoins, mais seuls 18 d’entre eux devraient venir déposer en personne face aux juges et à l’accusé à La Haye. Aux enquêteurs, ils ont raconté la vie entassée dans sept cellules, sombres et exigües, ainsi que dans un cachot placé sous le bureau du chef. Les hommes s’y entassent avec parfois des rats ou des lézards. Sans toilettes, ils sont condamnés à boire leur urine. C’est Mahamat Saïd qui, selon l’accusation, « a supervisé la détention d’hommes battus à coups de crosse ou violemment giflés et menacés de mort ». D’autres y sont fouettés, « avec des fouets en peau de cheval ou des bâtons avec des fils métalliques », frappés sur la plante des pieds, brûlés. Certains ont eu leurs oreilles partiellement arrachées avec des pinces. D’autres subissent l’« arbatachar », une méthode de torture qui consiste à lier ensemble, dans le dos, les poignets et les mollets d’un détenu. « Certains étaient temporairement paralysés, accuse le procureur, d’autres avaient les bras pourris et décolorés et ne pouvaient même pas se nourrir ; certains étaient tellement épuisés par la torture qu’ils avaient même besoin d’aide pour changer de position ». Lorsque Mahamat Saïd dirigeait l’OCRB, seize personnes au moins auraient subi l’« arbatachar ». À l’un des miliciens, inquiet, il aurait rétorqué que « la méthode arbatachar est la plus efficace pour obtenir des aveux ».

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La défense critique l’enquête

Le plus grand ennemi du procureur dans l’affaire Saïd pourrait être le désordre structurel que traverse la Centrafrique contemporaine. Un désordre alimenté par de petits chefs de guerre, qui se partagent la scène armée et politique depuis parfois trois décennies. Pour démontrer que des crimes de guerre ont bien été commis, le procureur doit notamment prouver que des groupes armés étaient en conflit, et qu’il existait une structure de commandement. Dans son mémoire, l’accusation estime que « la structure de commandement de la coalition Seleka était suffisamment organisée et coordonnée pour lancer un assaut militaire victorieux sur Bangui en mars 2013. » Mais pour les défenseurs de l’accusé, « la Seleka est une alliance circonstancielle, composée de groupes désorganisés au sein desquels se multiplient les luttes de pouvoir ».

Ce ne sera pas la seule difficulté de l’accusation. Les crimes de guerre reprochés à l’accusé auraient été commis dans le cadre d’un conflit armé interne, avance le procureur. Mais les avocats de la défense contestent, s’appuyant sur un rapport d’une commission d’enquête des Nations unies qui, en 2014, sur la base d’analyses du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), estimaient que sur cette période, la Centrafrique n’avait pas connu de conflit armé, mais des violences.

À l’ouverture du procès, l’accusé devrait dire qu’il plaide « non coupable » des chefs d’accusation. Ses avocats contestent l’authenticité des preuves, et reprochent aux enquêteurs de s’en être remis aux autorités centrafricaines « pour l’identification » de documents. Les avocats Jennifer Naouri et Dov Jacobs, affirment qu’il est impossible de tracer les preuves, alors que les institutions ont été systématiquement pillées, que des documents ou pu être détruits ou manipulés. C’est souvent le lot des enquêtes après-guerre. Les deux défenseurs de Mahamat Saïd reprochent encore au procureur de ne pas avoir cherché à obtenir des preuves auprès des pays « qui ont eu un rôle dans la crise en République Centrafricaine », comme le Tchad, l’Afrique du Sud ou l’Ouganda.

Arrêté en janvier 2021 et envoyé à La Haye, Mahamat Saïd devait aussi répondre de crimes commis au CEDAD, le Comité extraordinaire pour la défense des acquis démocratiques, mais les juges ont rejeté ces accusations faute de preuves. Cet homme du nord de la Centrafrique comparaitra seul. Suspecté par la Cour de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, son supérieur hiérarchique, Nourredine Adam, est en fuite. Coté anti-balaka, un premier procès visant deux chefs, Alfred Yekatom et Edouard-Patrice Ngaïssona est ouvert. L’un des commandants, Maxime Mokom, a été transféré à la Cour en mars dernier. Mais les charges portées contre lui n’ont toujours pas été confirmées et l’affaire traîne en longueur, alors que les juges refusent l’avocat choisi par l’accusé. Ce conflit, opposant Seleka et anti-balakas et sur lequel la Cour enquête depuis 2014, aurait fait des milliers de morts et de déplacés.

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