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Procès de l'attentat de Nice: «J’ai l’impression qu’il a écrasé mon humanité»

Les auditions de parties civiles se poursuivent au procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Parmi les témoignages, des victimes blessées, celles qui ont perdu un proche, des familles décimées... Et ceux qui s’en sont sortis indemnes physiquement mais se débattent depuis six ans dans les affres du traumatisme psychologique. C’est notamment le cas d’Isabelle et de ses filles Coline et Juliette, qui avaient 10 et 16 ans au moment du drame.

De notre envoyée spéciale au palais de justice de Paris,

Ce 14 juillet 2016, Isabelle, qui va bientôt reprendre le travail, emmène ses filles au feu d’artifice pour « prolonger la joie des vacances ». Mais, arrivée sur la plage, elle n’est « pas tranquille », comme envahie d’un mauvais pressentiment. 

À sa gauche, il y a « cette femme noire très belle qui danse », derrière elle « cette grand-mère maghrébine » avec qui elle échange « un regard complice au vu des facéties du petit garçon » qui l’accompagne ; et pourtant c’est une sombre pensée qui lui traverse l’esprit : « si des hommes viennent avec des kalachs, ils feront un massacre. »  

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Dès la fin du feu d’artifice, Isabelle presse donc ses filles de partir au plus vite. Quand elle aperçoit le camion, elle « comprend tout de suite » : « parce qu’il avait les feux éteints et qu’il allait de plus en plus vite alors que la 'prom' n’est pas en pente, on ne peut pas prendre de vitesse sans accélérer... »   

« S’assurer que leurs chaussures leur permettent de fuir »

Tout se passe en une fraction de seconde. « Il y avait cette dame à vélo à gauche du camion, un petit garçon à droite. Ces gens sont devenus des ombres, j’ai perdu un morceau de mémoire, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus... », raconte Isabelle. Sa fille Juliette, qui témoigne après elle, le sait, malheureusement : « J’ai vu une dame à vélo se faire exploser par le camion, un enfant se faire percuter, les corps voler ».  

Longtemps, Isabelle refuse de se considérer victime « parce que vous touchez tellement du doigt votre finitude que vous tombez dans une solitude insondable », explique-t-elle, avant d’ajouter : « Je suis si heureuse que mes enfants aient survécu... On devrait ne pas avoir mal et pourtant on sombre : le 14 juillet ne s’arrête jamais, le 14 juillet dure éternellement ».  

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Pour Isabelle, cela veut dire, au quotidien, « scanner les habits de ses filles avant l’école pour les identifier s’il se passe quelque chose », « s’assurer que leurs chaussures leur permettent de fuir »... Mais aussi affronter « le mutisme » de la petite Coline, la colère explosive de son ado.

« Peur de tout »

Juliette, à 22 ans désormais, ne cache rien de ses tourments intérieurs : le « dégoût d’elle-même », pour « s’être enfuie sans aider »  et parce qu’aujourd’hui « elle a peur de tout ».

Sa certitude qu’elle va attirer le malheur sur ses proches : « j’ai besoin d’eux, quand ils ne sont pas là, je souffre, mais si on est ensemble, je n’en profite pas tellement je suis terrifiée ». Et puis « la haine ». Haine envers le conducteur, mais aussi haine d’elle-même pour avoir « pensé l’aider », l’espace d’une seconde, alors qu’elle croyait qu’il n’avait plus de freins.

Malgré ses crises d’angoisse à répétition et autres séquelles qui empoisonnent son quotidien, « ma plus grande peur, conclut Juliette, c’est de vivre avec cette haine toujours au fond de moi : car le camion ne m’a pas tuée, mais j’ai l’impression qu’il a écrasé mon humanité. »