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Quel soutien politique au mouvement de protestation iranien?

Voilà bientôt deux semaines que l’Iran est secoué par un mouvement de contestation de grande ampleur. Comme souvent lorsque les régimes autoritaires sont défiés, se pose la question d'une solution politique pour accompagner le changement auquel appelle le peuple.

Depuis l'annonce de la mort de la jeune Mahsa Amini à Téhéran, les Iraniens manifestent contre le régime malgré une répression de plus en plus sévère. Ce qui était un mouvement d'indignation contre la mort de cette jeune femme arrêtée par la police des mœurs pour port incorrect du voile, est devenu une mobilisation plus large pour les libertés et contre le système politique iranien dans son ensemble. Au cœur de ce mouvement, on retrouve la jeunesse née après les années 2000. Une jeunesse « qui estime que l’on ne peut plus attendre de réforme de la part du système politique actuel, même de la part des progressistes », constate le spécialiste de l’Iran Jonathan Piron. « Ces dernières années leur ont démontré qu’il n’était pas possible de changer le régime de l’intérieur. »

Pour l’heure, les rassemblements semblent donc s’organiser entre associations étudiantes et messages sur les réseaux sociaux. « Une situation bien différente de celle de 2009 », poursuit le chercheur au centre Etopia. « Les manifestations qui avaient suivi la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad étaient bien plus structurées. Elles étaient menées par le Mouvement Vert et son leader Mir Hossein Moussavi. Il y avait des revendications politiques. Aujourd’hui, il n’y a rien de tel, et c’est le cas depuis plusieurs années. C’est aussi la force du régime, il a su écraser toute opposition pour pouvoir s’installer dans la durée. »

►À lire aussi : Iran: derrière la mort de Mahsa Amini, le soulèvement d'un peuple

Mir Hossein Moussavi, ancien Premier ministre de la République Islamique, est d'ailleurs toujours en résidence surveillée, comme bon nombre de réformateurs qui ont tenté un changement de l'intérieur. Aujourd'hui, le porte-parole du Mouvement Vert, Ardashir Amir Arjomand, est exilé en France. De son point de vue, la solution doit venir du peuple iranien, mais il appelle les réformateurs encore actifs en Iran à rejoindre ce mouvement populaire. « Les anciens chefs des réformateurs tiennent toujours les mêmes discours. Ça ne marche pas ! ça ne marche pas depuis une dizaine d’années. C’est pour cela que les réformateurs ont perdu en influence au sein de la société. Mais à l'intérieur de ces mouvements même, il y a des jeunes qui veulent faire de la politique autrement. Le peuple exige aujourd’hui un changement radical et les réformateurs religieux toujours sur la scène politique sont obligés de suivre cet élan. »  Ardashi Amir Arjomand affirme par ailleurs que même dans les rangs des conservateurs, certains hommes ou femmes politiques ne soutiennent plus le régime, forcés de constater qu’il ne fonctionne plus.

Quel rôle pour l’opposition en exil ?

L'autoritarisme du régime a poussé une grande partie de l'opposition à l'exil. Certains espèrent voir cette opposition s’unir à la lutte du peuple iranien.« Le problème, c'est que l'opposition iranienne est malheureusement très divisée, reconnaît Asso Hassan Zadeh, lui-même ancien vice-secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran. Il y a les royalistes, les moudjahidines du peuple, les nationalistes, les partis de gauche… Il y a aussi surtout des leaders qui ont émergé à l'intérieur de la société iranienne. Nous participons tout de même à des discussions entre les différents courants de l'opposition iranienne afin de nous mettre d'accord sur un carnet de route pour mettre à bon terme ce qui se passe actuellement en Iran. » 

Le défi est de taille, au-delà d’une collaboration entre les différents partis, il faut également réussir à atteindre la jeunesse qui défile dans les rues iraniennes. Ce ne sera pas chose facile pour le chercheur Jonathan Piron. « En Iran, ces mouvements sont souvent vus avec suspicion. Ils sont considérés comme étant en dehors du pays depuis trop longtemps. Certains sont partis à l'avènement de la République islamique. Une partie de la population iranienne considère donc qu'ils sont en fait déconnectés de la réalité et qu’ils ne comprennent pas la manière dont l'Iran a évolué », explique le chercheur. 

Pour Jonathan Piron, les manifestants appellent avant tout aujourd’hui à respecter la spontanéité du mouvement actuel. Au-delà de la structuration politique du mouvement, la répression organisée par le régime menace directement la mobilisation sur le long terme. Le commandement de la police en Iran a averti aujourd'hui que ses unités s'opposeraient « avec toute leur force » aux manifestants.

L’épouvantail du séparatisme

Pour justifier cette violente répression, le régime se présente également comme le garant de l’existence même de l’Iran. « Les autorités soutiennent que les manifestations sont causées de l’étranger, analyse Jonathan Piron. Il y aurait une espèce de complot contre l’Iran et contre sa survie. Et elle serait donc obligée de se défendre. »

C’est en suivant cette même idéologie que les Gardiens de la révolution ont annoncé ce mercredi avoir ciblé plusieurs quartiers généraux de « terroristes séparatistes dans le nord de l’Irak ». Ces attaques ont fait neuf morts et une trentaine de blessés. Parmi les trois partis d’opposition kurde iraniens ciblés figure le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran dont Asso Hassan Zadeh est l’ancien vice-secrétaire général. « Nous assistons aujourd’hui à un mouvement de protestation et d'unité historique du peuple iranien soutenue par la communauté internationale. Par ces attaques, l’Iran a voulu montrer sa force de destruction et de déstabilisation non seulement en Irak et au Kurdistan irakien, mais dans toute la région. C’est aussi un moyen de dire à la société iranienne : "Si vous protestez, des séparatistes kurdes et d’autres régions d’Iran vont démembrer notre pays !" », détaille-t-il.

► À écouter aussi : Mahsa Amini, symbole de l'oppression des femmes en Iran

Asso Hassan Zadeh affirme pourtant qu’une grande partie des formations politiques issues des minorités qui constituent les populations iraniennes appellent à trouver un processus démocratique à l’ensemble de l’Iran. La province iranienne du Kurdistan a été particulièrement mise en avant ces derniers jours, car Mahsa Amini en était originaire. C’est donc de là qu’ont débuté les mobilisations.

Mais en réalité, la question du séparatisme est secondaire, selon Jonathan Piron. « Il y a eu dans le passé d’autres manifestations qui ont touché la partie arabophone dans le sud de l’Iran. Mais les revendications ne demandent pas une scission, elles ne font que demander le respect de certains droits de base, la dignité, des droits sociaux, économiques. Parce qu'en effet, certaines minorités sont réprimées, mais ça ne les empêche pas de se revendiquer comme iraniennes. » Le porte-parole du Mouvement Vert, Ardashi Amir Arjomand, lui non plus ne croit pas à cette hypothèse séparatiste. Il appelle à faire confiance au peuple iranien dans son ensemble pour protéger l’esprit d’unité et de solidarité incarné par les manifestants ces derniers jours.