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Reconstruction de l'Ukraine: «Les besoins immédiats sont chiffrés à 9 milliards de dollars»

Alors que la guerre fait rage en Ukraine et que les Européens s’engagent à aider le pays, le financement de la reconstruction devient une priorité. Alain Pilloux, vice-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui intervient dans 38 pays, détaille les urgences et dévoile les dispositifs qui doivent permettre de répondre aux difficultés actuelles.

RFI : L'économie ukrainienne s'est écroulée depuis un an. Qu'a fait la Berd pour l'aider ? 

Alain Pilloux : Nous avons injecté 1,7 milliard d'euros en Ukraine l'année dernière dans divers secteurs. Premièrement pour assurer la continuité des services publics indispensables comme le gaz, l'électricité ou les chemins de fer, et pour maintenir à flot le secteur privé, notamment les secteurs qui sont exportateurs en Ukraine comme l'agroalimentaire. 

Quels sont aujourd’hui les besoins prioritaires ? 

Il y a d’abord un besoin de financement du déficit budgétaire qui cette année va atteindre à peu près 40 milliards de dollars. C’est sur un bon chemin, car le financement est maintenant devenu prévisible. Il est assuré essentiellement par l'Union européenne et par le G7, principalement les États-Unis, dans des proportions à peu près comparables. Il y a bien sûr des besoins urgents de réparation, de remplacement des infrastructures touchées par les bombardements.

L'énergie est prioritaire, notamment les infrastructures de transmission, les sous-stations, les infrastructures de haut voltage indispensables pour assurer l'approvisionnement en électricité, mais également l'accès au chauffage urbain, l'accès à l'eau. C'est absolument vital. Au-delà du secteur énergétique, il y a évidemment des besoins extrêmement importants et urgents dans les domaines du transport, des habitations, des infrastructures sociales.

Plus tard, peut-être, pas dans le court terme, il faudra s'occuper du déminage. La Banque mondiale a estimé que les besoins de déminage en Ukraine se chiffrent à plus de 70 milliards de dollars. C'est un besoin énorme. 35% du territoire ukrainien est miné actuellement. 

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Certains évaluent les besoins potentiels à 1 000 milliards de dollars, avec une guerre qui dure et donc des besoins qui augmentent de jour en jour ? 

Il faut toujours se méfier des effets d'annonce et des chiffres. La Banque mondiale a évalué l’an dernier les besoins à 350 milliards de dollars. Cette étude est maintenant corrigée. Le chiffre sera probablement plus important. Mon estimation personnelle sera entre 400 et 500 milliards de dollars. Mais ce qui compte peut-être davantage, c'est le court terme, parce qu'on est toujours en guerre.

Les besoins immédiats sont chiffrés à peu près à 9 milliards de dollars par le gouvernement ukrainien. L'argent n'est pas tout à fait là, mais il est en partie là et ce besoin sera comblé par les différents partenaires. Ce qui est très important, c'est que l'argent arrive là où il est nécessaire, que la vie des gens s'améliore. À la Berd et dans les autres institutions internationales, nous faisons en sorte d'accélérer les transferts monétaires à l'Ukraine. 

D'un point de vue financier, quel est le meilleur procédé ? Par prêts ou par dons ? 

Les deux, parce que la communauté internationale a prêté beaucoup d'argent à l'Ukraine et également aux entreprises d'État ukrainiennes. Mais il y a une limite à l'absorption des prêts. Je ne sais pas exactement quand elle limite va être atteinte, mais en 2023, il faut un meilleur équilibre entre les prêts et les dons. Par exemple, nous avons fait un prêt de 3 millions d'euros à Naftogaz pour acheter du gaz, mais en plus de ce prêt, la Norvège a donné 2 millions. C'est un bon exemple de l'équilibre entre prêts et dons et ceci devra s'accroître cette année. 

Le président du Conseil européen Charles Michel a évoqué l’idée d’une utilisation des fonds gelés de la Russie pour générer des revenus pour l'Ukraine. Est-ce selon vous réalisable et souhaitable ? 

C'est un sujet d'une grande importance et, bien sûr, il faut travailler là-dessus. C'est un sujet qui est d'une extraordinaire complexité, une armée de juristes a été rassemblée par le président Zelensky pour y travailler. Ça va prendre du temps, mais il faut absolument continuer à mobiliser les financements pour l'Ukraine. Si nous arrivons dans le futur à mobiliser les fonds gelés, ce sera très bien, mais il ne faut pas en même temps que cela nous détourne de l'action à court terme. 

Il y a beaucoup de donateurs potentiels. Qui va coordonner ? 

C'est aussi un sujet très important. Il se trouve que je préside le groupe international opérationnel de coordination de l'aide financière à l'Ukraine. Il inclue tous les pays du G7, l’Ukraine et les organisations internationales que sont le FMI, la Banque mondiale, la SFI et, en Europe, la BEI et la Banque de développement du Conseil de l'Europe. Dans ce groupe, nous discutons des réponses à court terme dans le secteur de l'électricité ou dans le secteur des infrastructures et ensuite, nous voyons qui peut faire quoi, comment on peut se répartir les rôles. En plus, il y a maintenant un niveau politique de coordination qui vient de se réunir et où le G7 prend la main. 

Quels sont vos partenaires dans le secteur financier en Ukraine ? 

Nous travaillons avec la majorité des banques locales ukrainiennes et avec les banques étrangères présentes en Ukraine. Elles n'ont jamais fermé leurs agences, sauf dans les zones occupées par l’armée russe. À travers elles, nous apportons de la liquidité pour apporter du soutien aux PME et aux autres entreprises ukrainiennes. 

Les investisseurs étrangers vont vouloir un retour sur investissement. Comment le garantir dans un contexte de guerre qui pourrait durer ? 

Récemment, nous avons soutenu un grand investisseur polonais qui a rouvert une usine de production de céramiques dans l'ouest du pays. Nous avons soutenu une entreprise dans le secteur de l'acier et j'espère que nous soutiendrons bientôt des investissements dans le secteur des télécommunications. En ce qui concerne les investisseurs, il leur faudra du soutien, qu'ils soient locaux ou étrangers. Il faudra un système de couverture du risque de guerre et de conflit. Nous y travaillons. 

L’une des préoccupations des investisseurs, c'est le niveau de corruption qui est souvent un frein à la reconstruction dans les pays en guerre. L'Ukraine n'est pas exempte de cette difficulté. 

La bonne nouvelle, c'est que des actions extrêmement rapides, coordonnées et je l'espère efficace, sont menées en Ukraine. Avec le FMI, l'Union européenne, le G7, nous travaillons beaucoup aussi sur ces questions d'État de droit et de lutte contre la corruption. Dans le programme actuel du FMI et dans l'aide financière de l'Union européenne, il y a des conditions sur la lutte contre la corruption. Elle conditionnera le montant, le volume et la rapidité de l'aide internationale. 

Est-ce que ces projets en Ukraine se feront au détriment d'autres projets dans d'autres pays du monde ? 

Absolument pas. La situation en Ukraine a accru la demande pour nos financements en Europe centrale, dans les pays baltes, dans les Balkans, en Roumanie, en Bulgarie. En 2021, nous avions investi 4 milliards d’euros dans cette région. L'année dernière, nous avons investi 5 milliards. Même chose en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où nous avons ajouté un milliard d’euros. Un choix lié à la situation géopolitique en Ukraine et, pour ce qui est de l'Afrique et du Moyen-Orient, à l'augmentation des prix des denrées alimentaires et aux difficultés d'approvisionnement. 

Précisément, vous êtes déjà présent au Maghreb. Envisagez-vous des projets en Afrique subsaharienne ? 

Nous sommes en effet présents au Maroc, en Tunisie, mais aussi en Égypte, en Jordanie, au Liban et dans les territoires palestiniens. L'Algérie pourrait devenir un pays d'opération. La seconde chose, c'est qu’à notre Assemblée générale qui se tiendra au mois de mai à Samarcande en Ouzbékistan, nos actionnaires se poseront la question d'une expansion éventuelle de la BERD, en Irak et dans certains pays d'Afrique subsaharienne dont la liste n'est pas encore définitivement établie. Cette expansion sera de toute façon prudente et limitée. 

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