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San Sebastian: «Los reyes del mundo» de Laura Mora (Colombie), grand prix du festival

Des enfants qui cherchent un coin à eux dans un pays, la Colombie, qui leur tourne le dos, c'est l'histoire que raconte la réalisatrice Laura Mora. Son film, Los reyes del mundo (Les rois du monde), a été couronné par la Concha de oro, le grand prix du festival international de San Sebastian. Un road-movie « épico-punk », selon Laura Mora.

De notre envoyée spéciale,

Laura Mora est une habituée de San Sebastian où elle avait déjà présenté son premier long-métrage, Matar a Jesus, salué alors par un prix. Filmé dans sa ville de Medellin, profondément marquée par la violence du conflit colombien - aux multiples facettes -, il racontait l'histoire d'une vengeance : celle d'une adolescente décidée à tuer le sicario qui avait assassiné son père. Le choc de deux univers, de deux Colombies, la bourgeoise et celle des quartiers pauvres. La réalisatrice raconte que, lors du tournage de ce premier film, elle avait rencontré beaucoup de jeunes des rues et que tous lui disaient que ce dont ils rêvaient, c'était d'avoir un endroit à eux. Un endroit sûr et à eux. Ce rêve, le jeune Rá, son personnage principal, va peut-être le réaliser. L'adolescent apprend que l'action en justice tentée par sa grand-mère pour faire reconnaître ses titres de propriété a été validée. Il a les précieux papiers.

Comme beaucoup de paysans colombiens, la grand-mère a été chassée des sa terre par des paramilitaires à la solde d'intérêts privés ou de gros propriétaires terriens. Rá et ses copains, sa famille, les quatre garçons perdus, quittent Medellin en quête de cette terre promise. Enfin un bout de quelque chose à eux, une maison, un toit. Rá rêve devant la vieille photo passée de la maison familiale. Ils y seront les rois du monde. Le film raconte leur périple semé d'embûches, les rencontres malveillantes - le plus souvent des hommes, comme ces hommes de main racistes qui enlèvent les garçons - et bienveillantes - comme les vieilles femmes de ce bordel de campagne ou ce couple de petits vieux comme des fantômes dans leur maison en ruine.

Los reyes del mundo, film colombien de Laura Mora, a remporté le premier prix du festival de San Sebastian 2022.
Los reyes del mundo, film colombien de Laura Mora, a remporté le premier prix du festival de San Sebastian 2022. © Festival de San Sebastian

Un road-movie, magnifiquement filmé, comme ce plan séquence qui plonge le spectateur au bord de la nausée quand les adolescents descendent, sur leurs vélos, une très longue pente aux virages serrés, suivis par la caméra.

Le Bajo Cauca ou le nord de l'Antioquia, une région riche et dure, profondément marquée par la guerre. Les hommes, des Blancs en ponchos et chapeaux vissés sur la tête, sont hostiles. Les enfants ont été prévenus : ne dites jamais pourquoi vous êtes là. « Je suis toujours vivant parce qu'on me croit fou », explique un vieil ermite. Des adolescents qui ne sont pas des silhouettes d'enfants des rues mais de vrais personnages, avec chacun son tempérament autour de Rá, qui se bat pour que les droits que lui donnent ces bouts de papier soient reconnus, suivant ce cheval blanc, figure poétique qui symbolise la maison, comme dans les poèmes de Mahmoud Darwish, raconte Laura Mora. 

Des millions de déplacés chassés de leurs terres

Les films mettant en scène des enfants perdus des villes colombiennes sont légion. Le festival de San Sebastian avait, dans sa sélection, deux autres longs métrages, La Jauria de Andrès de Ramirez Pulido et Un varón de Fabian Hernandez, présentés dans la section Horizontes latinos, deux co-productions franco-colombiennes. Los Reyes del mundo de Laura Mora souligne un aspect important de la réalité sociale de la Colombie : le drame de ces paysans chassés de leur terre par la guerre, venus peupler les bidonvilles des métropoles. La Colombie est le pays qui compte le plus de déplacés au monde. Plus de six millions de personnes ont été chassées par le conflit armé.

En 2011, le président d'alors, Juan Manuel Santos, avait créé une unité dédiée à la restitution des terres aux paysans. Des dizaines de milliers de dossiers de réclamation avaient été déposés et, au final, peu d'affaires ont été traitées. Surtout, si tant est qu'une décision de justice favorable ait été rendue, le processus de restitution n'est pas achevé car, souvent, les terres accaparées sont occupées par des intérêts plus gros que ces petits paysans : agrobusiness, mines, etc. Rendre justice à tous ces déplacés est l'un des grands dossiers qui attend le nouveau président colombien Gustavo Petro. Ces adolescents sur la barricade, une scène poignante du film, n'ont pas fini de réclamer un toit, voire tout simplement le droit de vivre.

À lire aussi Les violences en Colombie provoquent une forte augmentation des déplacements forcés

Palmarès de la 70e édition du festival international du film de San Sebastian :

Concha de oro : Los reyes del mundo de Laura Mora (Colombie)

Concha de plata :  Hyakka / A Hundred Flowers de Genki Kawamura (Japon)

Prix spécial du jury : Runner de Marian Mathias (Allemagne) 

Meilleur scénario : Dong Yun Zhou et Wang Chao pour Kong Xiu / A Woman (Chine)

Meilleurs premiers rôles ex-aequo : Carla Quílez dans La Maternal de Pilar Palomero (Espagne) et Paul Kircher dans Le lycéen de Christophe Honoré (France)

Prix Horizontes latinos : Tengo sueños eléctricos de Valentina Maurel (Costa-Rica-France)

Tout le palmarès à retrouver ici